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vendredi 29 mars 2024

Réorganisation de l’islam et l’AMIF : « Mais quel gâchis ! »

Noureddine Aoussat. 

Mizane.info publie la tribune de Noureddine Aoussat concernant le projet de l’Association Musulmane pour l’Islam de France lancée par Hakim el Karoui, auquel se sont ralliés certains acteurs de la communauté musulmane. Il fournit plusieurs critiques sur le projet défendu par l’ancien banquier et auteur de plusieurs rapports sur l’islam et l’islamisme à l’Institut Montaigne. Noureddine Aoussat est écrivain, imam et conférencier.   

Noureddine Aoussat
Noureddine Aoussat est l’auteur de « 10 questions/réponses pour découvrir le Prophète Muhammad »

À l’instar de nombreux acteurs du culte musulman en France, je tiens à exprimer les réserves qui fondent ma totale opposition à la démarche, à la configuration et à l’esprit de l’association dite AMIF (Association Musulmane pour l’Islam de France).

La tribune « Croire et agir au service d’un islam de France » publiée par le journal Le Monde du jeudi 6 décembre 2018 signée par plusieurs personnalités, appelle plusieurs remarques.

D’emblée je dois préciser que l’immobilisme actuel de l’organisation du culte musulman en France, par ailleurs, que nous dénonçons depuis des années, est certes dommageable, et, plus que jamais intenable.

Toutefois, il est fort à craindre que la démarche suivie par Hakim El Karoui depuis deux ans, -appuyée et/ou entérinée aujourd’hui par le collectif de l’AMIF-, ne soit pire.

La démarche très peu démocratique de la mise en place de l’AMIF, son accaparement de nombreuses missions qu’elle projette de faire siennes, amalgamant -sans crier garde- (j’y reviendrai plus loin) le cultuel, le sociétal, le politique et l’économique, sont bien plus dommageables à mon sens que l’immobilisme actuel. Il s’agit, à n’en pas douter un instant, d’une grave régression.

« Une étroite collaboration avec l’Etat … sans soumission, ni rébellion »

En effet, avec toutes ces prérogatives annoncées concentrées sous sa coupe, l’AMIF nous rappelle le fameux « Khalifat occidental » très cher à Lyautey, que l’administration coloniale n’avait pas réussi à mettre en place au début du siècle dernier. (Voir à ce propos « La politique musulmane de la France » un projet chrétien pour l’islam ? 1911-1954).

Par ailleurs, s’il y a bien un point sur lequel nous sommes nombreux à être d’accord avec les signataires de la tribune et leur accordons du crédit, c’est bien leur affirmation que leur « association travaillera en étroite collaboration avec les institutions, notamment l’Etat … Sans soumission, ni rébellion ». C’est clair, et c’est évident !

Les musulmans de France, à l’instar de tous leurs concitoyens, sont demandeurs de décentralisation, et de participation à la gestion des affaires de l’islam. Aussi, ils ne peuvent cautionner une réorganisation de l’islam qui débouchera sur une centralisation immobilisant les énergies ou une curatelle déresponsabilisant les acteurs de proximité.

En effet, « la coïncidence » du projet El Karoui -dont la création de l’AMIF est l’aboutissement- et sa totale synchronie avec le projet de l’actuel exécutif de réformer l’organisation de l’islam de France, ne laissent place ni à une quelconque soumission ni même à une rébellion. Et pour cause ?  Il s’agit du même schmilblick !

Aussi, il va sans dire que parler de progrès dans ce cas, c’est prendre les musulmans de France pour des crétins. Ce qu’ils ne sont pas, évidemment.

Les musulmans de France, notamment les fidèles qui fréquentent les mosquées, que je croise sur le terrain depuis plus de trente ans, en dépit de leur manque de réactivité, et d’une certaine propension à laisser « des bac moins sept » incompétents ou « des bac plus sept » filous et très intéressés, parler en leur nom, ne sont pas dupes.

Les quatre péchés capitaux de l’AMIF

La tribune « Croire et agir au service d’un islam de France », outre le flou et divers amalgames qui la caractérisent, promeut la création d’une Association qui ramène l’islam de France un siècle en arrière.

La centralisation à outrance, le non-respect des règles démocratiques de constitution d’une association, la déconnexion totale avec les associations musulmanes de terrain et la rupture avec le principe de séparation des Eglises et de l’Etat.

Primo :  est-ce démocratique que 80 personnes, cooptées et sélectionnées en catimini, se réunissent à huis clos pour créer une association, qui ensuite, prétendra défendre les intérêts de millions de citoyens musulmans ? Non ! Ce n’est pas démocratique.

La manière dont a été mise en place l’AMIF est bien pire que le mode très peu démocratique qui prévaut actuellement au sein des instances du CFCM. Et, cerise sur le gâteau, si au sein du CFCM, certains ont enfin compris qu’il faut décentraliser et étendre à l’échelle départementale la représentativité, l’AMIF semble prôner un centralisme qui ferait pâlir de jalousie le soviet suprême.

Les musulmans de France, à l’instar de tous leurs concitoyens, sont demandeurs de décentralisation, et, en l’occurrence de participation à la gestion des affaires de l’islam. Aussi, ils ne peuvent cautionner une réorganisation de l’islam qui débouchera sur une centralisation immobilisant les énergies ou une curatelle déresponsabilisant les acteurs de proximité.

Force est de dire qu’on va à contre sens et à rebours du changement souhaité.

Secondo : Les signataires de la tribune, et dès le premier paragraphe, s’autorisent -ou se font autoriser ? – à parler des objectifs de l’actuelle organisation du culte musulman. « Quels sont les objectifs de cette réorganisation ? » questionnent-ils, en effet ! « Le bien-être des fidèles et des ministres du culte (imams), mais aussi la concorde nationale… » répondent-ils.

Le problème que pose ce paragraphe introductif de la tribune, n’est ni la question ni la réponse. Mais le flou de qui pose la question et qui répond ? Qui a décidé que les objectifs de cette organisation/réorganisation soient ceux énoncés ici.

AMIF

Si c’est l’État, il y a violation du principe de séparation, clairement défini par la loi de 1905.  Si c’est l’AMIF, en l’occurrence, c’est encore plus grave que la violation de la loi de séparation.

En fait le flou est total ! On ne comprend pas : de quelle organisation/réorganisation de l’islam il s’agit au juste ? Celle amorcée par l’exécutif, ou celle dont Hakim El Karoui se fait l’apôtre depuis deux ans ?

En effet, ce qui est troublant, c’est que le chef de file de l’AMIF, à qui il arrive parfois de se présenter comme le conseiller pour les affaires de l’islam de Macron, se prête à dénoncer des conflits d’intérêt de quelques acteurs actuels ; alors que lui-même, en l’occurrence, se trouve au centre d’une confusion d’intérêts. C’est inadmissible !

L’argent, couronne d’épines de l’islam français

Par ailleurs, la tribune passe totalement sous silence et ne souffle mot sur le projet du gouvernement d’amender la loi de 1905. Cela en dit long sur leur « strict respect de la loi de 1905 ».

Tertio : Tout le dispositif de l’AMIF, outre les éléments de langage et la rhétorique plutôt déclarative des rédacteurs de la tribune, tourne autour de l’argent. Deux sous-titres sont écrits en gras dans la tribune : « Plus de transparence » et « structure neutre ». Ces deux sous-titres sont très parlants.

Faut-il croire l’AMIF sur parole quant à sa future gestion transparente de l’argent qui affluera vers ses caisses ? Or que les musulmans n’ont, d’ores et déjà, pas le moindre contrôle démocratique sur cette association.

La concomitance, les croisements et la confusion même, par moment, du projet de Hakim El Karoui avec celui de Macron de réformer l’organisation de l’islam, ont sapé totalement le moindre crédit ou confiance pour que l’AMIF ou une autre appellation naissant de ce processus, soit une structure neutre ou plus transparente dans son fonctionnement.

Comment peut-on croire à « plus de transparence » dans le domaine du halal ou celui du pèlerinage, quand nous ne savons pas du tout comment elle agira dans ces deux marchés ? Si tant est qu’elle souhaite les intégrer loyalement -ce dernier mot est à souligner.

À titre d’exemple : au mois de juillet, la presse s’est faite l’écho de l’argent du hajj que l’AMIF espère capter. Des sommes faramineuses ; 12 millions d’euros par an rien que dans ce marché. Si nous rapportons cette somme au nombre de musulmans qui se rendent au hajj chaque année, cela équivaudra à 600 euros par pèlerin.

Sous quel titre l’AMIF espère recevoir cette taxe extravagante ? En contrepartie de quel(s) service(s) prodigué(s) aux consommateurs musulmans ? Qui peut accepter une telle taxe ?

El Karoui peut bien clamer ici et là que cet argent servira à former les imams, et construire certaines mosquées, mais il n’en demeure pas moins que cette taxe est triplement inacceptable. Elle est inacceptable si le musulman n’est pas libre de choisir de la donner ou non, à savoir selon son consentement.

Elle reste inacceptable, si par malheur, -ce qui est fort envisageable-, les pouvoirs publics français en complicité avec les autorités saoudiennes chercheraient à donner un coup de pouce à l’AMIF en l’imposant par de nouvelles dispositions juridiques (ou manipulation des règles du marché du pèlerinage) comme acteur privilégié et incontournable pour l’obtention des visas hajj !!

L’AMIF : l’histoire d’une usurpation

Quant à parler de « structure neutre », je pense que la plaisanterie ne prête pas du tout à sourire. Si les signataires voulaient que nous croyions à la prétendue neutralité de cette structure, il fallait pour le moins s’y prendre autrement.

La concomitance, les croisements et la confusion même, par moment, du projet de Hakim El Karoui avec celui de Macron de réformer l’organisation de l’islam, ont sapé totalement le moindre crédit ou confiance pour que l’AMIF ou une autre appellation naissant de ce processus, soit une structure neutre ou plus transparente dans son fonctionnement.

Dans cette tribune, de nombreux points restent encore à relever et analyser. Mais à quoi bon ? Le mal est fait !

En somme, et en guise de conclusion, -nonobstant sa bonne ou mauvaise foi qui ne nous concerne pas ici, force est de dire que Hakim El Karoui (dans ladite réorganisation de l’islam dont il est question depuis plus de deux ans) a usurpé la parole des musulmans et l’action de certains acteurs qui espéraient une nouvelle et meilleure organisation du culte, et de la représentation de l’islam de France.

En se focalisant sur l’aspect financier, les grandes questions concernant la place et les droits et devoirs de l’islam en France ont été éludées ; la parole des musulmans –ne nous méprenons pas sur les cérémonieuses assises de l’islam décidées dans la précipitation, et mises en œuvre en catimini- se trouve in fine confisquée.

Si nous devions résumer cette situation, nous ne trouvions pas mieux que de dire : quel gâchis !

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