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Muhammad Rafiuddin : Quand la science matérialiste redécouvre l’Esprit métaphysique

Muhammad Rafiuddin : Quand la science matérialiste redécouvre l’Esprit métaphysique

Dans son oeuvre majeure, Ideology of the Future (1946), le philosophe et penseur pakistanais Muhammad Rafiuddin déroule les étapes qui ont mené à la remise en cause du paradigme matérialiste dans la science occidentale. Une présentation de Arslan Akhtar à lire sur Mizane.info.

Muhammad Rafiuddin (1904-1969), philosophe et penseur pakistanais, appartient à cette lignée d’intellectuels musulmans du XXᵉ siècle qui ont tenté de restaurer, face à la crise de la modernité, une vision métaphysique de l’homme et du monde. Formé à la fois dans les sciences (mathématiques, physique, biologie), les langues (ourdou, arabe, persan, anglais) et la philosophie, et dans la continuité spirituelle de Muhammad Iqbal, Rafiuddin s’efforce de rétablir la suprématie de la conscience, c’est-à-dire de l’Esprit, sur la matière, et de rappeler la nature principielle de la Réalité.

Son œuvre maîtresse, Ideology of the Future (1946), se présente comme une critique radicale du matérialisme moderne et une tentative de réintégrer les découvertes scientifiques dans une compréhension hiérarchique et spirituelle de l’existence.

Pour Rafiuddin, la science moderne, en dissolvant la matière dans des abstractions mathématiques et énergétiques, ouvre malgré elle la voie à une redécouverte du Réel métaphysique. Ce que la physique du XXᵉ siècle révèle sous le voile des apparences n’est autre qu’un ordre de pure intelligence : la conscience universelle, principe éternel de toute manifestation. 

Dans cette perspective, les extraits suivants, tirés d’Ideology of the Future, s’appuyant sur la tradition idéaliste (de Berkeley à Croce) tout en dialoguant avec les découvertes de la physique moderne (relativité, mécanique quantique), expriment une même intuition fondamentale que l’on retrouve chez les grands métaphysiciens de l’Orient et de l’Occident traditionnels : l’Être est Esprit, et toute existence n’a de réalité que dans la mesure où elle participe à la Conscience absolue. 

Ainsi, Ideology of the Future s’inscrit pleinement dans le projet d’une restauration de la métaphysique véritable, celle qui reconnaît l’unité du savoir et du sacré, et qui voit dans la connaissance de l’esprit le fondement même de toute connaissance du monde.

La conscience en Dieu et dans l’Univers est le grand sujet non seulement de la philosophie médiévale, dont l’objectif était de rationaliser la théologie chrétienne, mais aussi des grandes théories philosophiques modernes de Descartes, Leibniz, Schopenhauer, Nietzsche, Kant, Spinoza, Hegel, Fichte, Croce et Bergson, dans lesquelles elle est traitée sous divers titres : Dieu, l’Esprit universel, l’Absolu, l’Idée absolue, l’Activité mentale, la Volonté du monde, l’Esprit éternel, les Monades, le Soi, l’élan vital, etc.

Le premier défi sérieux lancé à la philosophie du matérialisme scientifique vint toutefois de l’évêque George Berkeley d’Angleterre, qui soutenait que le monde matériel ne pouvait avoir d’existence indépendante, car nous ne pouvons le connaître qu’à travers notre perception, laquelle est une expérience de l’esprit. Puisque le monde physique, tel que nous le percevons, n’a pas d’existence indépendante de l’esprit, ce qui existe réellement, c’est l’esprit, et non le monde physique.

Ce que nous percevons n’est pas la matière, mais certaines qualités de couleur, de forme, de son, de dureté, etc., et pour que ces qualités existent telles que nous les connaissons, elles doivent être perçues par l’esprit. Sans esprit, rien n’existerait. La réalité du monde physique est donc l’esprit ou la conscience.

À la lumière de sa théorie, Berkeley soutient l’existence d’un Esprit éternel comme suit : Toute la cohorte du ciel et tout le mobilier de la terre, en un mot, tous ces corps qui composent la puissante charpente du monde n’ont aucune substance sans l’esprit. Aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectivement perçus par moi ou n’existent pas dans mon esprit ou dans celui de tout autre esprit créé, ils ne peuvent exister du tout, ou bien ils subsistent dans l’esprit d’un Esprit éternel. 

Georges Berkeley.

L’idéalisme subjectif de Berkeley a été fortement soutenu, à l’époque moderne, par l’école du néo-idéalisme, dont les principaux représentants sont deux philosophes italiens : Benedetto Croce et Giovanni Gentile. Tous deux soutiennent que l’Univers n’est rien d’autre qu’esprit ou pensée. Leur système n’est pas seulement l’un des plus récents, mais aussi, selon de nombreux philosophes, l’un des plus originaux et des plus remarquables développements de la philosophie moderne. Il repose sur l’hypothèse que l’expérience de notre esprit est la seule réalité dont nous puissions être certains.

Cela conduit à la conclusion logique que la réalité de l’Univers, si réalité il y a, doit être similaire à notre propre expérience mentale. Puisque la conscience de soi est l’expérience mentale la plus élevée, la réalité de l’Univers doit être de nature à la conscience de soi. Comme nous l’avons déjà mentionné, les scientifiques du XIXᵉ siècle ne pouvaient accepter de telles idées, car elles ébranlaient le fondement même des lois physiques.

Lorsque les axiomes de la physique newtonienne furent pour la première fois remis en question par Berkeley, il fut accueilli avec dérision par les scientifiques. Mais qui aurait pu savoir que, dans la controverse entre l’esprit et la matière, ce serait finalement le philosophe qui aurait le dernier mot sur les scientifiques, et cela grâce aux armes mêmes que leur avaient fournies leurs propres découvertes ?

Les philosophes avaient toujours insisté sur une explication spirituelle de l’Univers. Si leur point de vue n’avait pu recevoir une acceptation générale, c’était principalement en raison de l’obstacle de la science. Mais grâce à la théorie de la relativité, à la théorie quantique et à certaines découvertes en biologie, cet obstacle a maintenant disparu, et le matérialisme, idole de la science, a reçu de la science elle-même un coup fatal.

Les découvertes de la physique ont réduit la matière (jadis considérée comme un fait dur, simple et évident), ainsi que l’énergie, le mouvement, l’espace, le temps et l’éther, au néant absolu. La matière moderne, pour citer le Dr. Joad, est quelque chose d’infiniment atténué et insaisissable ; c’est une bosse dans l’espace-temps, une bouillie d’électricité, une onde de probabilité s’effaçant dans le néant, souvent rien d’autre qu’une projection de la conscience de celui qui la perçoit. 

Le professeur Rougier, discutant les implications de la théorie de la relativité, écrit dans son livre Philosophy and New Physics : ainsi la matière se résout en électrons, qui eux-mêmes se volatilisent en ondulations éthérées, si bien qu’il y a une perte finale de matière et une dissipation non compensée d’énergie. Car le principe universel d’invariance que les philosophes naturels ioniens avaient placé à la base de la philosophie naturelle, et qui assurait son intelligibilité, à savoir “rien n’est créé, rien ne se perd”, nous devons désormais le remplacer par le principe contraire : “rien n’est créé, tout se perd”. Le monde marche vers une faillite finale, et l’éther, dont on affirmait en vain qu’il était la matrice des mondes, se révèle être leur tombeau.

Le Dr Harry Schmidt, dans son livre Relativity and Universe, est presque touché de désespoir lorsqu’il décrit l’état de l’Univers tel qu’il fut découvert avec l’introduction de la théorie de la relativité dans le schéma des choses. L’espace et le temps, dit-il, se sont enfoncés dans les ombres, le mouvement lui-même a perdu son sens, la forme des corps est devenue une question de point de vue, et le monde entier a été banni pour toujours.

Hélas, hélas,

Tu as détruit

Le beau monde

D’un violent coup.

‘Il s’est brisé’, il est en miettes,

Les fragments dispersés par un demi-dieu,

Et maintenant nous balayons

Les débris dans le néant,

Regrettant tendrement

La beauté qui n’est plus.

Mais si la matière n’est ni réelle ni permanente, les faits indiquent l’existence d’une entité supérieure à la matière morte, d’un Créateur vivant. Car comment pourrions-nous autrement rendre compte de toute la richesse variée de la création, dans laquelle existent la beauté, l’art, le dessein, le but, l’harmonie et la pensée mathématique exacte ?

Ce sont assurément là les attributs de la conscience, qui doit être la seule réalité de l’Univers. Il est donc évident que la disparition de la matière n’a pas seulement clarifié la voie d’une explication spirituelle du monde, mais l’a aussi rendue indispensable. Admettre une réalité métaphysique de l’Univers, aujourd’hui, est aussi impératif qu’il l’était au XIXᵉ siècle d’affirmer que l’Univers n’était rien d’autre que la matière. 

La pensée philosophique, quoique longtemps subordonnée à la science, avait toujours mis en avant une explication spirituelle de l’Univers indépendamment de la matière. À présent, cette explication se trouve renforcée par des preuves solides issues de la science elle-même.

Muhammad Rafiuddin

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