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vendredi 26 avril 2024

Zainab al-Alwani : Le Coran expliqué par lui-même 

Zainab al ‘Alwani. © zainabalwani.com.

L’explication du Coran par le Coran lui-même est une méthode exégétique classique dans les sciences islamiques. Quelques savants contemporains se sont employés à l’utiliser de manière approfondie dans leurs recherches. Dans un article extrait d’une étude publiée en 2018, traduit par le site islamactuel.org et que Mizane.info publie avec leur aimable autorisation, la docteure Zainab Al ‘Alwani nous dresse un tableau intellectuel sur cette recherche fondamentale.

Al-wahdah al-binâ-iyyah lilqur’ân ou l’unité de la construction du Coran est un principe méthodologique qui consiste à penser le Coran comme un tout dont chaque partie est interdépendante. Ce principe méthodologique fait partie de la méthode d’explication du Coran par le Coran.

Il existe une diversité d’explications du Coran. Mais les savants reconnaissent que l’explication du Coran par le Coran (tafsîr al-qur’ân bi al-qur’ân) est la méthode la plus fiable. Ils résument ainsi le principe de cette méthode de compréhension : « Le Coran, d’un passage à l’autre, s’explique de lui-même » (al-Qurʾān yufassiru baʿḍahu baʿḍan).

La méthode d’explication du Coran par le Coran permet d’éclairer n’importe quel sujet : la famille, le mariage, le bonheur, la construction de la paix, l’éthique de la guerre, etc.

Ibn Taymiyya (728 AH / 1328 JC), dans son Introduction aux principes d’explication du Coran (Muqaddima fī Uṣūl al-Tafsīr1), insiste sur le fait que l’explication du Coran par le Coran « est la méthode d’explication la plus correcte » (aṣaḥḥ al-ṭuruq), expliquant que « lorsque le Coran est synthétique sur un point, il le développe par ailleurs »2.

C’est aussi la méthode la plus légitime car elle se base sur la façon dont le Prophète Muhammad expliquait lui-même le Coran à ses compagnons, en éclairant un signe ou une idée par une autre contenue dans le Coran.

Par exemple, un jour, des compagnons étaient intimement perturbés à l’écoute de ce signe révélé 3 :

« Ceux qui sont convaincus par Dieu et qui n’entachent pas leur conviction par une injustice, ceux-là sont en sécurité et ils sont bien dirigés ». Coran 6 : 82

الَّذِينَ آمَنُوا وَلَمْ يَلْبِسُوا إِيمَانَهُم بِظُلْمٍ أُولَٰئِكَ لَهُمُ الْأَمْنُ وَهُم مُّهْتَدُونَ

Qui ne commet pas d’injustice ? Personne n’est pas parfait. On peut être convaincu par Dieu, on peut adhérer à l’islam et malgré cela commettre des injustices. Est-on dans l’égarement pour autant ? Les compagnons, inquiets, interrogent le Prophète pour essayer d’y voir plus clair. Il leur explique le sens de ce signe en leur citant cet autre signe :

« Et lorsque Luqmân dit à son fils tout en l’exhortant : ‘’ Ô mon cher fils ! N’associe rien à Dieu. Lui donner des associés est vraiment une énorme injustice’’ ». Coran 31 : 13

وَإِذْ قَالَ لُقْمَانُ لِابْنِهِ وَهُوَ يَعِظُهُ يَا بُنَيَّ لَا تُشْرِكْ بِاللَّهِ ۖ إِنَّ الشِّرْكَ لَظُلْمٌ عَظِيمٌ

Ainsi, il leur explique que l’injustice dont il est question dans le premier signe, ce n’est pas le fait de commettre des fautes. C’est le fait de prendre des choses, des personnes ou ses propres passions pour un dieu.

Une autre fois, le Prophète récite à ses compagnons ce signe 4 : « C’est Lui qui détient les clés de l’invisible. Personne d’autre que Lui ne les connaît. Et Il connaît ce qui est dans la terre ferme, comme dans la mer. Et pas une feuille ne tombe qu’Il ne le sache. Et pas une graine dans les ténèbres de la terre, rien de frais ou de sec, qui ne soit enregistré dans un livre explicite ». Coran 6 : 59

وَعِندَهُ مَفَاتِحُ الْغَيْبِ لَا يَعْلَمُهَا إِلَّا هُوَ ۚ وَيَعْلَمُ مَا فِي الْبَرِّ وَالْبَحْرِ ۚ وَمَا تَسْقُطُ مِن وَرَقَةٍ إِلَّا يَعْلَمُهَا وَلَا حَبَّةٍ فِي ظُلُمَاتِ الْأَرْضِ وَلَا رَطْبٍ وَلَا يَابِسٍ إِلَّا فِي كِتَابٍ مُّبِينٍ

Quelles sont ces « clés de l’invisible » ? Le Prophète apporte la réponse en citant cet autre signe : « Seul Dieu a connaissance de l’Heure du Jugement. Il fait tomber la pluie salvatrice, et Il sait ce que contiennent les matrices. Personne ne sait ce qu’il acquerra demain et personne ne sait en quelle terre il mourra. Dieu, en vérité, sait et est informé de tout ». Coran 31 : 34

إِنَّ اللَّهَ عِندَهُ عِلْمُ السَّاعَةِ وَيُنَزِّلُ الْغَيْثَ وَيَعْلَمُ مَا فِي الْأَرْحَامِ ۖ وَمَا تَدْرِي نَفْسٌ مَّاذَا تَكْسِبُ غَدًا ۖ وَمَا تَدْرِي نَفْسٌ بِأَيِّ أَرْضٍ تَمُوتُ ۚ إِنَّ اللَّهَ عَلِيمٌ خَبِيرٌ

À travers ces deux exemples, nous voyons le Prophète expliquer un passage du Coran à la lumière d’un autre passage du Coran.

Cette méthode existe depuis des siècles mais depuis deux siècles, des savants l’ont encore développé en proposant de nouvelles façons de comprendre le Coran dans son unité.

Au 20e siècle, des savants ont commencé à approcher des sourates du Coran de façon globale, en les reliant à l’ensemble du Coran, en les reliant à des thèmes généraux et à la vision d’ensemble du Coran, plutôt que comprendre le Coran comme une compilation de signes et de sourates isolés les uns des autres. Parmi les méthodes développées qui s’inscrivent dans la démarche d’explication du Coran par le Coran, il y a l’unité structurelle du Coran. Cette méthode approche le Coran comme un ensemble cohérent dans sa langue, dans sa structure et dans ses concepts. Elle approche également chaque sourate comme un ensemble cohérent.

La langue coranique

Al-Raghib al-Isfahani (502 AH /1108 JC) a proposé une riche réflexion sur les éléments thématiques, littéraires et structurels du Coran. Son œuvre al-Mufradāt fī Gharīb al-Qurʾān a contribué au développement d’al-mafāhīm al-Qurʾāniyya (les concepts coraniques) un sous-domaine du domaine de la philologie dans lequel des liens sont établis entre différents mots et leur signification pour montrer l’unité structurelle et la cohérence du vocabulaire du Coran 5.

Le livre d’al-Isfahani a deux apports méthodologiques importants. Le premier est de comprendre les mots du Coran à l’intérieur du Coran lui-même, en explorant les passages où un même mot, ou ses dérivés, apparaît dans le Coran. Le second est la mise en pratique réussie de ce premier principe méthodologique. En effet, al-Isfahani a prouvé que les mots arabes utilisés par les arabes avant la révélation avaient été transformés en de nouveaux concepts par le Coran. Son travail a ouvert la voie à un domaine très important de la lecture conceptuelle coranique qui part du principe que chaque mot coranique a un sens plus profond et doit être lu et étudié comme un concept, et pas seulement comme un simple terme. Al-Isfahani s’est également efforcé de compiler un dictionnaire coranique pour expliquer la signification des mots situés dans le Coran lui-même, sans se baser sur la poésie arabe préislamique. Malheureusement, à ce jour, sa méthodologie n’a toujours pas été utilisée de façon systématique pour éclairer le sens des mots et des concepts du Coran. Le projet de développer une encyclopédie des concepts coraniques est encore d’actualité.

Les développements de la méthode au 20e siècle

Des chercheurs tels que Mustansir Mir 6 ont étudié les savants du 20e siècle qui utilisent la méthode d’explication du Coran par le Coran. Il cite six savants majeurs : Hamiduddin Farahi (mort en 1930), Ashraf ʿAli Thanavi (mort en 1943), Sayyid Qutb (mort en 1966), Amin Ahsan Islahi (mort en 1997), ʿIzzat Darwaza (mort en 1984), and Muhammad al-Tabatabaʾi (mort en 1981). Muhammad ʿAbd Allah Draz (mort en 1958).

Ces savants partent de l’idée que le Coran doit être compris comme un seul et même message et non pas de façon fragmentaire :

« Dis-leur : ‘’Moi, je suis l’avertisseur explicite !’’. De la même façon, Nous avons fait descendre (l’annonce du châtiment) sur ceux qui semaient la division, présentant le Coran comme des fragments décousus ».  Coran 15 : 89-91

وَقُلْ إِنِّي أَنَا النَّذِيرُ الْمُبِينُ

كَمَا أَنزَلْنَا عَلَى الْمُقْتَسِمِينَ

الَّذِينَ جَعَلُوا الْقُرْآنَ عِضِينَ

Par conséquent, pour chaque sourate, ils cherchent à trouver un thème central, le message principal autour duquel gravitent tous les autres signes et messages. En ce sens, une sourate s’organise autour d’un ‘amûd, d’un pilier, ou encore d’un mihwar ou d’un axe. La langue du Coran est parfaite et doit être comprise à l’intérieur du Coran. Chaque sourate a sa « personnalité » qui peut être découverte à travers les mots et les concepts qu’elle contient.

Selon cette méthode, comprendre le Coran, c’est donc identifier le pilier d’une sourate, diviser celle-ci en sections correspondant à des sous-thèmes. L’ensemble de ces sections apportent un éclairage sur le pilier ou le thème principal de la sourate. C’est aussi comprendre tous les signes, dans les différentes sourates, qui concernent un mot, un concept ou un thème étudié.

Le professeur égyptien Aïcha ʿAbd al-Rahman Bint al-Shatiʾ7 a développé l’idée de comprendre le Coran comme un tout. Elle a développé l’idée que pour comprendre des signes ou des passages du Coran, il est nécessaire de les relier à l’esprit du Coran plutôt que de s’arrêter à un fragment du puzzle, en arrachant le fragment de son contexte à l’intérieur du Coran. Elle nomme sa méthode d’explication du Coran « tafsîr bayânî ».

Al-wahdah al-binâ-iyyah lilqur’ân : signification et application

Cette méthode permet d’explorer l’unité structurelle du Coran. Le Coran a une structure parfaite avec ses mots, ses signes, ses parties et ses sourates. Son organisation est aussi précise que l’organisation de l’univers :

« Celui qui a créé sept cieux bien ordonnés. Tu ne vois dans la création du Miséricordieux aucune faille. Regarde encore ! Aperçois-tu quelque brèche ? ». Coran 67 : 3

الَّذِي خَلَقَ سَبْعَ سَمَاوَاتٍ طِبَاقًا ۖ مَّا تَرَىٰ فِي خَلْقِ الرَّحْمَٰنِ مِن تَفَاوُتٍ ۖ فَارْجِعِ الْبَصَرَ هَلْ تَرَىٰ مِن فُطُورٍ

Le Coran se présente lui-même comme un Livre qui contient des signes solides et parfaits :

« Alif, Lâm, Râ. C’est un Livre dont les signes sont parfaitement clairs, détaillés par un Sage, Parfaitement Connaisseur ». Coran 11 : 1

الر. كِتَابٌ أُحْكِمَتْ آيَاتُهُ ثُمَّ فُصِّلَتْ مِن لَّدُنْ حَكِيمٍ خَبِير

« Nous n’avons envoyé avant toi aucun envoyé ou prophète sans que le diable n’ait essayé d’altérer le sens des signes qui leur étaient révélés (pour semer la confusion et la division). Dieu enregistre les interférences de satan et Il renforce Ses signes. Dieu est Savant et Sage ». Coran 22 : 52

وَمَا أَرْسَلْنَا مِن قَبْلِكَ مِن رَّسُولٍ وَلَا نَبِيٍّ إِلَّا إِذَا تَمَنَّىٰ أَلْقَى الشَّيْطَانُ فِي أُمْنِيَّتِهِ فَيَنسَخُ اللَّهُ مَا يُلْقِي الشَّيْطَانُ ثُمَّ يُحْكِمُ اللَّهُ آيَاتِهِ ۗ وَاللَّهُ عَلِيمٌ حَكِيمٌ

« (…) Et on ne vous a donné que peu de connaissance ». Coran 28 : 2

تِلْكَ آيَاتُ الْكِتَابِ الْمُبِينِ

« En vérité, c’est Nous qui avons fait descendre le Rappel (le Coran), et c’est Nous qui veillons à le garder intacte ». Coran 15 : 9

إِنَّا نَحْنُ نَزَّلْنَا الذِّكْرَ وَإِنَّا لَهُ لَحَافِظُونَ

Shaykh Tâhâ Jâbir al-‘Alwânî a développé une méthode systématique de compréhension du Coran qui permet de minimiser les erreurs de compréhension de son contenu. Elle permet de repenser toutes les questions à la lumière du message du Coran. Elle replace la Sunnah et la pensée islamique sous l’autorité du message coranique.

Ce texte est basé sur l’article de Zainab al-Alwani, “Al-waḥdah al-bināʾiyyah li-l-Qurʾān: A Methodology for Understanding the Qurʾān”, disponible ici. Dr. al-Alwani interviendra pendant l’Université d’été Islam actuel en août 2021.

Notes

1-Ibn Taymiyyah. Muqaddimah fi usul al-tafsīr, edited by Adnan Zarzour, 1st ed. Beirut, Lebanon: Dar al Qurʾān, 1972.

2-Ibn Taymiyyah, Muqaddimah fi usul al-tafsīr, ed. Adnan Zarzour, 2nd edition (Beirut, AH 1392), 93. See also his book: Majmū’at al-rasa’il wal-masa’il (Beirut Dar al-Kutub al-˛Ilmiyah, 1983), 363.

3-Hadîth Sahîh al-Bukhari, selon Ibn Mas’ûd, n°3429.

4-Hadîth Sahîh al-Bukhari, n°4778.

5-Al Raghib al asfahani, Al-Mufradat fi Gharib al-Qurʾān, ed. Muhammad Seyd Kaylani. (Beirut: Dar al M’arifa, n.d).

6-Mir, Mustansir. “The Sura as a unity: A Twentieth-Century Development in Qur’ān Exegesis.” In Approaches to the Qur’ān, edited by G. R. Hawting and Abdul-Kader A, 211-224. Shareef. London, UK: Routledge, 1993.

7-Professeure de littérature arabe à l’University College for Women de ‘Ain Shams University, au Caire (morte en 1998). Bint Shati, ‘Āʾisha Abd al-Raḥmān Bint. al-Tafsīr al-bayānī lil-Qurʾān al-karīm, 3rd Edition. Cairo, Egypt: Dār al-Maʿārif, 1968.

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