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mardi 19 mars 2024

L’acculturation n’est pas synonyme d’assimilation

assimilation
Tareq Oubrou.

Le concept d’acculturation, abondamment utilisé par certains acteurs de la communauté musulmane française comme Tareq Oubrou, est souvent mal compris et fait l’objet d’une réduction à la notion d’assimilation. Une incompréhension décortiquée par Mouhib Jaroui, chroniqueur à Mizane.info, dans un texte où il clarifie les termes de cette notion d’acculturation, références sociologiques à l’appui.

C’est en constatant un usage équivoque et dangereux du concept socio-anthropologique d’« acculturation », que nous décidons d’apporter de la clarté à ce concept assez problématique en sciences sociales.

En effet, qu’ils soient imam ou responsable associatif, certains musulmans emploient ce concept en lui donnant le sens d’assimilation. On entend en effet que les « musulmans doivent s’acculturer », « l’islam doit s’acculturer », « nous appelons à une acculturation des musulmans », « théologie de l’acculturation », « acculturer l’islam », etc.

acculturation
Camel Bechikh.

Par exemple, pour Camel Bechik : « l’acculturation c’est ce qui suit un phénomène migratoire, c’est à dire que la minorité qui a émigré chez la majorité, par le temps, par l’interaction, par la communication, adopte les codes de la majorité (…) les us et coutumes de la majorité ».

Comment les sociologues et anthropologues définissent-ils cette notion ?

Acculturation, éléments de définition

Selon le dictionnaire de sociologie dirigé par le sociologue Gilles Ferréol, le terme d’acculturation trouve son origine dans la discipline d’anthropologie.

Il désigne « les mécanismes d’apprentissage et de socialisation, l’intégration d’un individu à un environnement qui lui est étranger et, plus fondamentalement, les processus et changements entraînés par des interactions ou des contacts directs ou indirects, prolongés ou discontinus, spontanés ou organisés, libres ou imposés, entre groupes ethniques différents à l’occasion d’invasions, de colonisations ou de migrations, qu’il s’agisse d’échanges ou d’emprunts, d’affrontements ou de rejet, d’assimilation ou d’accommodation, de syncrétisme ou de réinterprétation » (Gilles Ferréol, Dictionnaire de sociologie, p.5).

Remarquons bien, d’une part, que le phénomène d’acculturation survient lors d’une situation d’arrivée d’une nouvelle culture dans un environnement qui lui est étranger, celui de la culture d’accueil.

Remarquons ensuite que le phénomène d’acculturation traduit une pluralité de modalités de changements culturels qui surviennent suite à des interactions entre groupes ethniques ou de cultures différentes, et peut, le cas échéant, déboucher sur une assimilation, mais pas nécessairement, car d’autres configurations relationnelles sont possibles, comme le stipule la définition.

Acculturation ou assimilation ?

Nous voyons donc d’emblée l’illégitimité du concept d’acculturation pour étudier le fait islamique en France à travers le prisme de l’ethnie et de la religion.

En effet, il est erroné et dangereux de renvoyer les musulmans français exclusivement à une culture étrangère, autre que « la » culture française.

Ensuite, il apparaît que l’acculturation n’est ni plus ni moins un ensemble de diverses possibilités de changement ou non de la culture arrivante dans le nouvel environnement.

Les musulmans sont des citoyens « normaux » puisqu’ils partagent les mêmes aspirations que le reste de leurs concitoyens (…) faire des études plus ou moins prestigieuses, occuper des emplois stables et bien rémunérés, fonder un foyer, devenir propriétaires (si possible avec un jardin pour faire des barbecues…), regarder les mêmes émissions, séries et films que le reste des Français…

Et même si nous supposions – à tort ! – que les musulmans avaient une culture autre que celle de la France – et à supposer d’ailleurs que celle-ci soit homogène ! -, les résultats d’interactions interculturelles resteraient très incertains et ouverts en termes de possibilités.

Alors pourquoi ce sens tronqué attribué à l’acculturation ? Pourquoi réduire l’acculturation à l’assimilation, qui n’est qu’une issue possible parmi beaucoup d’autres options ?

Pourquoi supposer qu’un « individu acculturé » -expression qui n’a aucun sens en sociologie – aurait forcément subi une soustraction de quelques-unes de ses singularités culturelles ?

C’est bien ce qu’écrit un disciple du prédicateur Bordelais : « L’acculturation ? C’est le remplacement progressif de la culture des parents ou grand-parent, primo-migrant, pour celle de son pays de naissance, d’avenir » (Camel Bechikh, Le Figaro, Juin 2015)

L’acculturation, avant d’être une réponse, est une question…

Et même si l’on employait le terme d’acculturation sans lui donner ce sens tronqué souligné plus haut, c’est-à-dire au sens d’assimilation, il n’en demeure pas moins que l’on assiste là à une réelle tautologie.

C’est en ces termes que Denys Cuche, dans son ouvrage « La notion de culture dans les sciences sociales » (2004, p. 52), nous dit la chose suivante :

« On n’a rien expliqué du tout quand on se contente d’utiliser le mot « acculturation » pour rendre compte des conséquences d’un contact culturel. Faire usage du concept, c’est désigner le phénomène à analyser, ce n’est pas réaliser l’analyse elle-même ».

En effet, qu’a-t-elle d’extraordinaire l’acculturation si l’on ne problématise pas les issues potentielles ainsi que la complexité des mécanismes d’interaction, à moins que l’on suppose que certains musulmans n’entretiendraient aucune relation avec les éléments de leur environnement français ?

Car c’est bien ce qui est sous-entendu de façon insidieuse quand on enjoint les musulmans de « s’acculturer ».

Si cette supposition était fondée, qu’on nous dise quels seraient ces musulmans qui vivent exclus et en marge de la culture française ? Cette supposition n’est-elle pas absurde à double titre ?

D’une part, parce qu’il n’y a pas une culture française, mais des cultures, il n’y a qu’à lire la sociologie des pratiques culturelles pour s’en rendre compte.

D’autre part, les musulmans sont des citoyens « normaux » puisqu’ils partagent les mêmes aspirations que le reste de leurs concitoyens, ils aspirent en effet à faire des études plus ou moins prestigieuses, à occuper des emplois stables et bien rémunérés, fonder un foyer, devenir propriétaires (si possible avec un jardin pour faire des barbecues…), regardent les mêmes émissions, séries et films que le reste des Français…

C’est pourquoi, aussi bien pour les sociologues que les anthropologues, « un tel concept [acculturation] pose cependant plus de questions qu’il n’en résout » (Gilles Ferréol).

L’acculturation, un concept équivoque et douteux

Enfin, il convient de proposer une brève généalogie de ce concept dont l’histoire est fort douteuse. Il est de surcroît important de souligner les divergences de compréhension de ce concept :

« Acculturation : modification d’une culture au contact d’une autre (…) A une époque marquée par le colonialisme et les transformations opérées au sein des sociétés traditionnelles par la modernité, on a surtout employé le terme d’acculturation dans le cas d’une culture dominée qui se trouve mise au contact d’une culture dominante, subit très fortement son influence et perd de sa propre substance originelle » (Le dictionnaire des sciences humaines, sous la direction de Jean-François Dortier, éditions sciences humaines, p.3).

Pourtant, certains de nos compatriotes musulmans appellent dans une double confusion sémantique et intellectuelle, qui nous laisse perplexe, à une acculturation d’un autre temps, comme si ces interactions n’existaient pas depuis toujours, accusant les musulmans de ne pas suffisamment aimer la France, puisqu’on peut lire sur le site internet du prédicateur de Bordeaux qu’« il y a une acculturation de fait. Les musulmans sont des Français jusqu’à la moelle, même s’ils le refusent par schizophrénie » (T. Oubrou).

A la lumière de ces clarifications scientifiques, on comprendra donc le fait qu’il ne suffit pas d’employer vaguement le terme d’acculturation pour prétendre à l’analyse sociologique.

Mouhib Jaroui

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