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mardi 19 mars 2024

Campagne CCIF : «Les femmes se mobilisent sur l’islamophobie car elles ont conscience d’être ciblées»

Dans le cadre de l’actuelle campagne de collecte de fonds organisée par le Collectif contre l’islamophobie en France pour le Ramadan, Camilya, chargée de communication, a accepté de répondre aux questions de Mizane.info sur le financement, l’action et les dernières décisions judiciaires obtenues par le CCIF.

Mizane.info : Le Collectif contre l’islamophobie en France termine sa campagne Ramadan de récolte de fonds pour financer ses activités. Quelles dépenses ces fonds doivent-ils vous permettre d’assumer ?

Camilya : Depuis notre création, nous mettons un point d’honneur à maintenir notre indépendance financière. C’est ce qui garantit une autonomie politique et un engagement menés avec justesse et dignité. Nous ne souhaitons pas dépendre d’instances extérieures mais être financé par nos soutiens et nos adhérents. L’islamophobie touche les musulmans, elle implique une solidarité des musulmans. Il est naturel qu’eux-mêmes s’engagent pour leurs droits. L’islamophobie concerne également tous les citoyens et tous les soutiens que nous pourrions avoir dans cet engagement. De l’accompagnement juridique à l’aide psychologique, en passant par l’équipe de communication, les relations presse, les événements qui peuvent être organisés, les conférences débats, l’organisation des antennes : toutes ces actions nécessitent des financements et un soutien pour que nous puissions accompagner les victimes.

Quelle est la masse salariale du CCIF aujourd’hui ? Combien d’avocats ou de personnel juridique ?

islamophobie

Nous comptons dix salariés dans notre équipe. Nous avons une vingtaine d’antennes sur le territoire gérées par des bénévoles. Juste une précision. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’action en justice n’est pas une part si importante numériquement que cela. La plupart de nos actions consistent en médiations, certes appuyées par des conseillers juridiques, même si les actions en justice sont plus spectaculaires et engagent davantage de communication reprise par les médias traditionnels. Nous avons quatre juristes, deux juristes permanentes au siège et deux autres en région, sans compter Lila Charef, avocate de formation, mais qui est en l’occurrence la directrice exécutive. Cette équipe juridique accomplit un gros travail de médiation, une fois la qualification islamophobe des faits établie, en prenant contact avec les discriminants dans l’objectif de trouver une issue et un terrain d’entente. Le CCIF intervient la plupart du temps pour rappeler la loi. Les musulmans ont des droits comme tous les autres citoyens, les discriminations sont anormales. Si le rappel à la loi est insuffisant et que la victime est partante, nous allons au procès.

Quel budget devez-vous atteindre pour financer ces dépenses ? Avez-vous atteint cette somme ?

Nous n’avons pas atteint cette somme. Plutôt que de parler de budget, nous parlons plutôt d’adhérents. Deux choses sont importantes : le poids politique et les moyens financiers. Notre action n’aboutira pas sans lobbying et sans plaidoyer. Pour cela nous avons besoin d’une masse d’adhérents qui nous permettent de financer nos équipes de travail. Actuellement, nous avons connu une diminution des adhésions du fait de leur non renouvellement.

Beaucoup vont penser que le CCIF se complaît dans un rôle de victimisation et ne vont pas adhérer à son discours parce qu’ils vont considérer que la situation n’est pas si grave. Le piège devient alors celui de la surenchère sensationnaliste alors qu’en réalité, cette surenchère n’est pas utile. La réalité témoigne en soi de la gravité des agressions

Avec 20 000 adhérents, nous pourrions avoir une équipe en place et réactive sur tous les fronts. A 30 000 adhérents, nous pouvons avoir une équipe de communication complète. A 40 000 adhérents, nous pouvons être présent sur tous les secteurs avec une plus-value politique pour endiguer l’islamophobie. En 2016, nous avions connu un pic d’adhésion après l’affaire du burkini avec 14 000 adhérents. Actuellement, nous sommes repassé à un niveau de 5000 adhérents. Les montants de cotisation ne sont pas astronomiques. A titre d’exemple, une ONG classique part sur une cotisation mensuelle de 10 €, cotisation déductible d’impôts.

A quoi attribuez-vous la baisse des adhésions ?

La bonne question serait : à quoi attribuons-nous l’augmentation des adhésions, en 2016 ? Comme nous l’avons vu, cette augmentation a coïncidé avec la polémique sur le burkini et notre présence médiatique assurée par Marwan Muhammad.

Malheureusement, il y a eu parfois un défaut de solidarité, même s’il faut prendre en compte le fait que la communauté musulmane est énormément sollicitée et qu’elle compte davantage de membres des classes populaires que des classes moyennes supérieures. Mais les choses changent aussi à ce niveau. La communauté musulmane est dans une phase d’organisation et de construction. Les pics d’adhésions surviennent lorsqu’il y a une attente majeure et spectaculaire exprimée à propos d’une affaire ou d’une question perçue comme une ligne rouge à ne pas franchir.

La médiatisation ne devient-elle pas un piège dès lors qu’une mobilisation et qu’un financement s’obtiennent par une culture du buzz médiatique qu’il faut sans cesse entretenir ? N’est-ce pas là un effet pervers ?

Oui c’est un piège car notre positionnement en pâtit. Une des catégories que nous avons du mal à toucher concerne celle des Français financièrement privilégiés dans la communauté musulmane qui estiment que nous sommes dans l’exagération et la victimisation. Beaucoup vont penser que le CCIF se complaît dans un rôle de victimisation et ne vont pas adhérer à son discours parce qu’ils vont considérer que la situation n’est pas si grave. Le piège devient alors celui de la surenchère sensationnaliste alors qu’en réalité, cette surenchère n’est pas utile. La réalité témoigne en soi de la gravité des agressions. Il y a beaucoup d’affaires sur lesquelles nous ne communiquons pas car ce sont des affaires sensibles, et en cours de traitement.

Vous parliez d’autonomie financière. Le CCIF a-t-il fait des demandes de subventions publiques ?

La question du financement est une question sensible constamment reprise par nos détracteurs. Des demandes de subvention ont été faites et aucune n’a été acceptée. Suite à ces refus, nous avons décidé d’adopter la politique dont je vous ai parlé. La question est donc pourquoi ces demandes sont refusées.

Nos bénévoles sont essentiellement des femmes, tout comme nos juristes et une grande partie de notre équipe. Nous leur avons consacré la campagne Ramadan car nous avons estimé qu’elles avaient besoin de s’exprimer, de prendre le dessus et le pouvoir sur leur propre narration

Nous avons déjà du mal à faire accepter la légitimité de la lutte contre l’islamophobie aux institutions publiques, a fortiori le sommes nous de la faire financer par des subventions. Le mot d’islamophobie commence seulement à être accepté progressivement.

Faites-vous un appel au bénévolat ? De quel type de compétences avez-vous besoin ?

Sur le plan local, des besoins de gestion de projet. Des besoins commerciaux également. Nous avons aussi besoin de relais locaux pour prendre contact avec les associations, lieux de culte, etc. La réalisation de vidéos et l’écriture d’article font également partie des missions disponibles pour des bénévoles qualifiés dans ces domaines. Citons aussi l’organisation d’événements, la distribution de tract, etc.

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Bénévoles du CCIF.

Combien d’affaires avez-vous traité en 2017 ? Pour combien de réussites ?

Nous avons mené une vingtaine de procès avec un taux de réussite d’environ 70%. Nous gagnons la plupart des procès. Nous avons globalement traité plus de 400 dossiers en 2017.

70 % des affaires d’islamophobie concerne les femmes et ce nombre monte à 85 % pour les agressions. L’islamophobie est-elle une affaire de femmes ?

L’islamophobie est l’affaire de tous. Mais il s’agit effectivement d’un racisme genré. Il y a une dimension sexiste. Les femmes se mobilisent sur l’islamophobie car elles ont conscience d’être ciblées. Nos bénévoles sont essentiellement des femmes, tout comme nos juristes et une grande partie de notre équipe. Nous leur avons consacré la campagne Ramadan car nous avons estimé qu’elles avaient besoin de s’exprimer, de prendre le dessus et le pouvoir sur leur propre narration. Mais nous avons également besoin du combat et de l’énergie des hommes dans cet engagement. D’ailleurs, nous savons que les hommes sont plus touchés sur d’autres problématique comme celle des fiches S ou des signalements abusifs.

Est-ce réellement un racisme genré ? Si les chiffres cités comporte en effet une écrasante majorité de femmes, ces chiffres ne recoupent-ils pas en majorité des affaires liées au voile et donc de ce fait à une visibilité et à une forme de discrimination qui se situe sur le plan religieux et non pas sur le genre, ce qui ne serait plus le cas si les chiffres concernaient des femmes musulmanes ne portant pas le hijab ?

Précisément, nos rapports montrent que de plus en plus de femmes musulmanes non voilées sont elles aussi parfois victimes de discriminations, même si nous n’atteignons pas des niveaux comparables aux femmes voilées. Le cas de Rokhaya Diallo est parlant. Mennel Ibtissem ne portait pas de hijab mais un simple turban. Des femmes non voilées qui pratiquent le jeûne se voient souvent reprochés de le faire.

Le CCIF a-t-il permis la constitution d’une jurisprudence garante des droits des citoyens de confession musulmane ?

Avant l’action du CCIF, il n’existait pas de décisions de justice en matière d’islamophobie. C’est bien l’expertise judiciaire développée par le CCIF qui a permis de faire jurisprudence en rappelant le droit. Pour vous donner un exemple, nous avons l’affaire du Burkini où l’action du CCIF a fait jurisprudence. Nous avons également l’exemple des IFSI que nous avons mis en avant sur nos réseaux sociaux : avant l’intervention du CCIF, la règle en usage dans les centres de formation étaient l’interdiction de tous signes religieux. Cette règle illégale a été retirée après notre action.

La Cour d’appel a relaxé Georges Bensoussan, accusé d’avoir tenu des propos racistes et islamophobes. Le CCIF a saisi la Cour de Cassation. Comment expliquer cette relaxe ?

Il y avait énormément de tension au procès. Une trentaine de partisans de Georges Bensoussan ont fait le déplacement, des insultes ont été proférées contre nos avocats accusés de « renégats ».

Il y a eu également l’affaire Mireille Knoll au même moment. L’effet contextuel a pu jouer. Le premier verdict avait décidé l’acquittement et il est assez rare que les juges se déjugent entre eux. Nous nous sommes pourvus donc en cassation.

A lire sur le même thème :

"Le mythe de l'islamisation", un ouvrage de Raphaël Liogier contre l'islamophobie.

« La peur de l’islam », Olivier Roy

 

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