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mardi 19 mars 2024

17 octobre 1961 : « Quand l’Etat commet un crime, il essaie autant que faire se peut d’en effacer les traces »

17 octobre 1961

A l’occasion des commémorations du massacre du 17 octobre 1961 où des centaines d’Algériens ont trouvé la mort, tués par la police française à Paris, Mizane.info publie cet entretien que nous a accordé Olivier Le Cour Grandmaison pour revenir sur les circonstances obscures de ce drame. Olivier Le Cour Grandmaison est historien et auteur de plusieurs ouvrages dont le célèbre « Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial » (Fayard), qui sera traduit en arabe, et chez le même éditeur « La République impériale. Politique et racisme d’Etat ».

Mizane.info : Que s’est-il passé le 17 octobre 1961 ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Commençons par rappeler quels étaient les motifs des rassemblements du 17 octobre 1961 : le couvre-feu raciste établi par le préfet de police Maurice Papon avec l’aval du gouvernement.

Ce couvre-feu était raciste car il n’était opposable qu’à ceux que l’on appelait à l’époque les Français musulmans d’Algérie (FMA) et non aux Français dits de souche.

Il s’agit bien d’une discrimination établie sur un fondement raciste qui visait à limiter l’action du Front de Libération Nationale, limitant la liberté de circulation des Français musulmans d’Algérie, limitant la liberté économique de ces mêmes FMA.

C’est pour lutter contre ces restrictions à la liberté que le FLN appela à un rassemblement pacifique. Les consignes du FLN étaient à l’époque très strictes : aucune arme ne devait être portée pas même d’objets susceptibles d’être utilisés comme arme.

C’est dans ce contexte qu’est intervenu ce qui ne peut pas être qualifié de sanglante répression mais doit bien être qualifié de massacre d’Etat violent et sans commune mesure avec les rassemblements pacifiques et qui vont se solder par plusieurs centaines de morts le soir du 17 octobre.

Les personnes ont été tuées par coups de matraque, précipitation dans la Seine, exécutions sommaires dans la cour même de la préfecture de police de Paris, à quoi s’ajoutent des dizaines de milliers d’arrestations, ce qui en bon français s’appellent des rafles.

Connait-on le bilan exact des victimes de ce massacre ?  

17 octobre 1961

Les chiffres que nous avons ont été principalement rapportés par le regretté historien Jean-Luc Einaudi qui a consacré des travaux sur ce massacre du 17 octobre 1961. Je pense en particulier à « La bataille de Paris ».

D’après ses estimations qui reposent sur des recherches d’archives et sur un certain nombre de témoignages importants, il estime qu’il y a eu entre 200 et 300 morts.

On ne peut pas penser que l’ensemble du dispositif n’ait pas été validé par le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre

Il sera sans doute à jamais impossible de savoir combien il y a eu précisément de morts car selon ses informations un certain nombre de cadavres rassemblés à l’Institut médico-légal de Paris ont été rejetés dans la Seine.

Tous les morts n’ont pas été répertoriés, ce qui est somme toute assez classique dans les affaires de crimes d’Etat. Quand l’Etat commet un crime il essaie autant que faire se peut d’effacer les traces de ce crime. Le 17 octobre n’échappe pas à cette règle.

Vous parliez de Papon. Jusqu’où remonte la responsabilité dans la chaîne de commandement. Jusqu’au Premier ministre Michel Debré ? Le général de Gaulle a-t-il une responsabilité directe dans ce massacre ?   

Dans le cas du couvre-feu décidé par Maurice Papon, on ne peut pas croire, sauf à faire preuve de naïveté stupéfiante, que ce couvre-feu n’a pas été couvert par le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre de l’époque Michel Debré, eu égard à l’importe de ce couvre-feu et à la situation politique contre laquelle il s’agissait d’agir et de réagir.

Par ailleurs, on ne peut pas penser compte-tenu de ce qu’est la Ve République, compte-tenu du contexte d’exception dans lequel se situent ces divers événements, que le couvre-feu qui débouche sur les manifestations, le massacre perpétré, et le mensonge d’Etat forgé immédiatement, on ne peut pas penser que l’ensemble du dispositif n’ait pas été validé par le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre.

En ce qui concerne le chef d’Etat, le général De Gaulle, en l’état de nos connaissances nous n’avons pas d’information précise sur ce qu’était son niveau d’information. Sur le 17 octobre, on ne connait que ce commentaire qu’il aurait eu : « Regrettable mais secondaire ».

Il a forcément été informé des décisions prises avant, des actes perpétrés pendant et des dispositifs de communication qui ont été mis en place pour forger la version mensongère d’Etat. Reste qu’en l’état de nos connaissances, il est très difficile d’établir la responsabilité directe du général de Gaulle dans ces événements.

Avons-nous des éléments (matériels, traces, témoignages) établissant que des ordres formels de massacrer les « Français musulmans d’Algérie » ont été donnés ?

Vous mettez le doigt sur un élément important. En général, quand des crimes d’état se préparent et se perpétuent, les ordres ne sont évidemment pas donnés par écrit. Nous avons par contre des preuves que ces consignes ont bien été donnés à travers les déclarations de Maurice Papon exprimées au cours d’une cérémonie en l’honneur d’un policier tué par le FLN. Maurice Papon a déclaré devant des policiers parisiens : « Pour un coup reçu, nous en porterons dix ».

Cette déclaration est un message adressé aux policiers qui peuvent plus que jamais utiliser une violence disproportionnée dès lors que les actes constatés sont ceux de FMA et militants du FLN. Cette consigne de Papon prend tout son sens ce 17 octobre 1961, et ceci bien que les policiers français n’ont quasiment pas reçus de coups, à l’exception de quelques blessés, et aucun tué.

C’est bien la bataille de Paris que mène Papon et il entend bien frapper un grand coup pour signifier très clairement au FLN qu’aucune manifestation significative ne sera toléré dans la capitale.

Vous rappeliez à juste titre le contexte de guerre entre l’Etat français et le Front de Libération Nationale (FLN) dans le cadre de la lutte pour l’indépendance et la décolonisation de l’Algérie. Une série d’attaque du FLN avait été portée contre des policiers parisiens faisant plus d’une dizaine de morts. Dans ce contexte de violences et de fortes tensions dans la capitale, peut-on considérer que le FLN a une part de responsabilité dans cette tragédie du 17 octobre, pour avoir organisé ces rassemblements fussent-ils pacifiques et appelé les FMA à y participer massivement, étant donné qu’une violente répression était prévisible dans ce contexte ? Le FLN était-il ou non conscient des risques ?

Les dirigeants du FLN étaient tout sauf naïf. Ils savaient pertinemment qu’en appelant à des rassemblements même pacifiques, ils allaient se heurter à une répression, sans doute sanglante, mais pas équivalente à un massacre d’état de cette ampleur. Ils n’imaginaient sans doute pas les moyens policiers qui allaient être mis en œuvre et de la violence qui allait être déployée par les policiers.

Ce qui est surprenant est qu’à cette époque-là, les négociations secrètes entre la France et le FLN allaient bon train et finiraient par se traduire quelques mois plus tard par la signature des accords d’Evian qui allaient mettre un terme à la guerre d’Algérie. Comment dès lors comprendre ce massacre du 17 octobre 1961 qui faisait peser le risque d’une annulation des négociations ?

On peut aussi penser exactement l’inverse. C’est précisément parce que les négociations approchaient de la conclusion qu’il fallait que le FLN et l’Etat français arrivent à la table des négociations en position de force. Chacun cherchant à déployer sa force sur le plan politique et militaire.

La guerre d’Algérie et le passé colonial français fonctionnent comme un révélateur photographique. Mais ce qui apparaît sur la photo est ruiné du point de vue de la mythologie nationale et du panthéon national de la IVe et de la Ve République

Ce n’est donc pas du tout contradictoire avec le massacre organisé le 17 octobre 1961. C’est une manière de signifier au FLN que sur le plan militaire et policier, l’Etat français est plus fort que lui. C’est une manière de garantir la position la moins faible possible dans ces négociations.

Pourquoi la France a finalement tant de mal à reconnaître la guerre d’Algérie ?

La France a beaucoup de mal à reconnaître ce qui a été pudiquement appelé les « événements » d’Algérie pendant très longtemps, pour plusieurs raisons. D’une part, parce que cette guerre implique la quasi-totalité des forces politiques. La gauche, avec le parti socialiste et y compris les communistes.

C’est à l’initiative du président du Conseil Guy Mollet que sont votées des dispositions d’exceptions, avec l’aval des députés communistes à l’Assemblée nationale. La guerre d’Algérie a également à voir avec le général de Gaulle et les fondateurs de la Ve République comme Michel Debré. François Mitterrand, ministre de l’Intérieur signera des décrets d’exécution de militants du FLN et avait déclaré que « la France s’étendait de Dunkerque à Tamanrasset ».

Au fond, la guerre d’Algérie et plus généralement le passé colonial français fonctionnent comme un révélateur photographique mais ce qui apparaît sur la photo est ruiné du point de vue de la mythologie nationale, du point de vue partisan et du point de vue du panthéon national de la IVe et de la Ve République. C’est ce qui explique sans doute la difficulté pour la France à reconnaître les crimes coloniaux.

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