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Pourquoi il faut soutenir les Gilets jaunes

La manifestation annoncée samedi 15 décembre comme le dernier acte d’une fronde sociale historique des classes populaires rurales contre l’oligarchie incarnée par la présidence Macron est un événement majeur que les classes populaires urbaines ne doivent pas boycotter, au risque d’être les éternels perdants de l’Histoire. L’éditorial de la rédaction de Mizane.info.

L’histoire de France est à un tournant social. Samedi 15 décembre, va se jouer l’un des moments phares de la vaste contestation de l’ordre établi par le néolibéralisme prédateur.

Il n’est pas certain que ce soit là l’épilogue d’une fronde qui vient de très loin, au moins des années 80, de la conversion des élites françaises à la mondialisation libérale, au culte de l’argent-roi, à la diffusion d’un modèle libéral-sécuritaire fondé sur l’exploitation financière des masses, leur embrigadement dans le moule de la société de consommation, et l’effondrement progressif de toutes les économies locales, des métiers agricoles, des PME, des usines sidérurgiques nationales, de toutes les entreprises artisanales et familiales, et dans leur sillage, de toutes les valeurs traditionnelles.

Depuis plusieurs semaines, les couches laborieuses du peuple français se sont levées et ont dit NON à cette exploitation inhumaine, à cette idolâtrie du veau d’or et à toutes les régressions qu’elle implique, qu’elle provoque. Le politique n’est pas mort !

L’isolationnisme n’est plus une option

Dans ce réveil de l’Homme qui dans un sursaut de dignité, de survie, a pu desserré un instant les dents voraces de la Bête capitaliste, une question a été soulevée, et pas des moindres : que vont faire les habitants des quartiers dans cette vaste mobilisation ? Vont-ils la bouder ? La rallier ? La combattre ?

Ces questions ont été abordées au sein de plusieurs débats (indirects) entre militants, organisations de quartiers, mouvements politiques et idéologiques issus de l’immigration et/ou post-colonial.

Et le moins que l’on puisse dire est que la convergence des luttes n’est pas à l’ordre du jour de tous les agendas !

Prétexter l’isolationnisme politique au nom d’une péremptoire et irréductible autonomie des luttes (…) imperméable à tout partage des luttes, à toute coalition fondée sur autre chose qu’elle même est une utopie illusoire, une célébration idéologique de soi sans lendemain.

Pourtant, un nouveau chapitre de l’histoire de ce pays est en train de s’écrire sous nos yeux.

Dans ce contexte, est-il responsable de donner des leçons de morale raciale, comme on peut le lire ou l’entendre ici ou là, à ceux qui ont fait le seul et unique choix politique, le plus juste, de s’allier aux Gilets jaunes pour renverser un système dont les plus grandes victimes, ses principaux exclus proviennent de ces quartiers ghettoïsés, jetés à la périphérie, ces culs-de-sacs où s’entassent des populations qui ne survivent qu’à coup de minima sociaux (que l’oligarchie s’emploient à réduire), de salaires précaires (que l’oligarchie s’emploie à reproduire), celles qui se heurtent à tous les plafonds de verres (banques, employeurs, hiérarchie professionnelle, logements) et que la pression migratoire impulsée par les mêmes centres de pouvoir capitalistes ne cesse d’aggraver ?

Prétexter l’abstinence sociale à cette mobilisation en raison d’une supposée composante réactionnaire des Gilets jaunes n’est pas très sérieux, au vu de la bonne conduite générale et des slogans responsables des GJ (les contre-exemples existent partout).

Prétexter l’isolationnisme politique au nom d’une péremptoire et irréductible autonomie des luttes, une spécificité conditionnelle (relative à la condition raciale) imperméable à tout partage des luttes, à toute coalition fondée sur autre chose qu’elle même est une utopie illusoire, une célébration idéologique de soi sans lendemain.

L’art de la politique

La politique est l’art de faire bouger les lignes, de créer des rapports de force réels s’appuyant sur des forces politiques et sociales constituées (et non fantasmées).

L’antiracisme politique, en délaissant la question sociale, en croyant pouvoir convertir à ses dogmes la vieille gauche de la gauche, usée, décrépie et sans élan vital, sans devoir faire elle-même le travail de conscientisation des masses françaises en allant à son contact, a décrété du haut de sa tour de Babel toute mobilisation comme inutile et ne concernant pas les habitants des quartiers.

Sans doute ne l’exprime-t-elle pas avec un ton aussi lapidaire. Les débats persistent car le réel à la vie dure. Mais que de temps perdu, que d’occasions manquées depuis 1983.

La question n’est plus de savoir quelle est la meilleure ligne. Les lignes sont figées quand le réel se meut sans cesse. La question est : quel horizon politique proposent les organisations issues des quartiers ?

Dans le combat contre l’oligarchie et contre les discriminations systémiques, les quartiers ont la double opportunité unique de se débarrasser, ou à tous le moins de porter les coups les plus douloureux à une institution étatique inféodée à l’oligarchie néolibérale, et de se trouver un nouvel allié qui a pour l’instant l’avantage de n’être embrigadé par aucun parti, aucun mouvement, ni aucun leader spécifique.

La pureté du caractère populaire et sociale des Gilets jaunes en fait un mouvement privilégié pour l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire française dans laquelle les descendants de l’immigration ont leur propre chapitre à écrire.

La relation douloureuse à la Nation française ne peut trouver d’autres alternatives. Soit un engagement responsable dans le sentier de la Justice et ce sentier est plus large que nos petites œillères.

Le rendez-vous de ce samedi 15 décembre en constitue une étape.

Soit un arrachement à la France pour une nouvelle aventure africaniste ou maghrébine, un retour aux origines radical et assumé comme tel, à l’instar du panafricaniste Kemi Seba, et qui serait plus conséquent avec la ligne idéologique portée par plusieurs militants qui n’entrevoient aucun avenir en France, ni pour eux-mêmes, ni pour leur descendance.

Le sécessionnisme relevant proprement de l’absurdité, il n’y a pas d’entre-deux possible. L’honnêteté et la cohérence nous impose de faire un choix, quel qu’il soit.

Quel avenir politique pour les quartiers ?

La question n’est d’ailleurs plus de savoir quelle est la meilleure ligne. Les lignes sont figées quand le réel se meut sans cesse.

La question est : quel horizon politique proposent les organisations issues des quartiers ? La seule qui ait compris qu’un isolement social sur une base raciale était un suicide politique est le Comité Adama, avec dans leur sillage des électrons libres comme Taha Bouhafs.

Ces acteurs présents sur le terrain concret des luttes anti-racistes (violences policières) n’ont pas renoncé aux combats sociaux. Ils savent trop bien que dans les quartiers la première violence n’est pas la violence policière (réelle et incontestable) mais la violence sociale.

Le déphasage des organisations antiracistes avec la réalité sociale des déclassés est une rupture qu’il leur faut d’urgence combler.

La question raciale ne se réglera pas sur les bans des luttes de pavés, ni par aucune forme d’incantation déclamatoire.

Quand le destin sonne à votre porte, on ne peut pas se permettre de se cantonner à un rôle de spectateur. L’action a tous les droits de préemption sur nos lubies idéologiques.

La question raciale se réglera sur le terrain. Le lien social et la fraternité ne sont pas un point de départ mais un point d’arrivée.

Une telle réunion serait en soi une victoire politique en terme d’organisation, de structuration et de coordination, une victoire qui leur offrirait les prémices d’une future autonomie (…) C’est ce qui manque aujourd’hui aux organisations des quartiers qui souffrent d’une absence de base sociale solide, d’une formation politique ambitieuse des jeunes et d’une vision stratégique à long terme.

Les consensus fragiles ne s’héritent pas mais se construisent et s’entretiennent dans le champ du réel. Ils impliqueront des efforts, du courage, de la lucidité et par dessus-tout, ce qui nous manque cruellement, le sens des responsabilités.

Cette responsabilité se posera notamment sur la question de la violence. Beaucoup craignent que les jeunes des quartiers fondent sur la capitale, telles les vagues destructrices de Gengis Khan déferlant sur l’Europe.

Ce risque existe. Mais il ne doit pas prendre en otage toute forme d’engagement des quartiers dans cette séquence historique. Il est de la responsabilité des organisations et des militants d’encadrer la fougue de la jeunesse et de canaliser son énergie.

Il faut avoir confiance en notre jeunesse, en son bon sens et en sa capacité de comprendre intuitivement les enjeux de ce qui se déroule en ce moment. Considérer qu’un retrait des quartiers est préférable pour leur propre sécurité, c’est les condamner indéfiniment à l’inertie politique.

Le samedi 15 décembre : un test politique majeur

Cette coalition, si elle parvient à se cristalliser, sera doublement salutaire.

Elle réunira tous ces enfants naturels et indésirés de la République qui, malgré tout et avec beaucoup de courage, auront su bravé les barrières de la méfiance, du soupçon, du rejet, du consumérisme gaga, de l’hyper-individualisme et de tant d’autres obstacles.

Une telle réunion serait en soi une victoire politique en terme d’organisation, de structuration et de coordination, une victoire qui leur offrirait les prémices d’une future autonomie réelle et non seulement déclamatoire.

C’est ce qui manque aujourd’hui aux organisations des quartiers qui souffrent d’une absence de base sociale solide, d’une formation politique ambitieuse des jeunes et d’une vision stratégique à long terme.

Les réseaux sociaux ne sont qu’une caisse de résonance, un amplificateur du réel. La politique ne se crée pas dans le virtuel. La politique part toujours du réel et y revient toujours. Une mobilisation massive samedi 15 décembre des quartiers sera la première pierre d’un tel édifice.

Cette coordination naturelle permettra dans un second temps de renforcer et d’élargir le consensus social à venir avec les autres forces sociales dont les Gilets jaunes à propos des luttes anticapitalistes.

Luttes qui ne seront elles-mêmes qu’un préalable à la véritable bataille des idées qui s’annonce contre une modernité agonisante et sur laquelle notre contribution future sera décisive. Mais ceci est une autre histoire.

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