Dans son « épître de Jérusalem » (Al-Risâla al-Qudsiyya) publié chez Albouraq, Al Ghazali expose les 10 principes de la foi concernant la connaissance de Dieu. Mizane.info publie les trois premiers principes dans un texte à lire en exclusivité.
[Le premier principe]
Le premier principe est la reconnaissance de l’Existence de Dieu – Exalté soit-Il ! La première lumière qui guide jusqu’à elle et le chemin le plus sûr pour y arriver sont les indications contenues dans le Coran. En effet, toute indication autre que celle de Dieu est superflue.
Le Très-Haut dit : « N’avons-nous pas disposé la terre comme une couche et les montagnes comme des piquets ? Nous vous avons créés par couples, Nous avons fait de votre sommeil un temps de repos, Nous avons fait de la nuit une couverture, Nous avons fait du jour le moment de la vie, Nous avons construit au-dessus de vous sept [cieux] solides, et Nous avons placé un luminaire éblouissant. Nous avons fait descendre des nuées une eau abondante, pour en faire sortir des céréales, des plantes et des jardins luxuriants. »1
Il dit aussi : « Certes, dans la création des cieux et de la terre, dans la succession de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue sur la mer portant ce qui est utile aux hommes, dans l’eau que Dieu fait descendre du ciel et avec laquelle Il fait revivre la terre après sa mort – cette terre où Il a disséminé toutes sortes d’animaux –, dans les variations du souffle des vents, dans les nuages assujettis entre le ciel et la terre, il y a des signes pour les gens qui savent raisonner. »2
Et : « N’avez-vous pas vu comment Dieu a créé sept cieux superposés ? Il y a placé la lune comme une lumière ; Il y a placé le soleil comme une lampe. Dieu vous a fait croître de la terre comme les plantes. Ensuite, Il vous y renverra, et Il vous en fera ressurgir. » 3
Le Très-Haut dit également : « Ne voyez-vous pas ce que vous éjaculez ? Est-ce vous qui créez cela, ou est-ce Nous qui créons ? Nous avons décrété que la mort survienne parmi vous, et nul ne saurait Nous devancer, afin de vous remplacer par des êtres semblables à vous et de vous transformer en ce que vous ne savez pas. Vous connaissez certainement la première naissance ; pourquoi donc ne réfléchissez-vous pas ? Avez-vous considéré ce que vous cultivez ? Est-ce vous qui le faites croître, ou est-ce Nous ? Si Nous le voulions, Nous en ferions de la paille sèche et vous ne cesseriez pas vos récriminations : “Nous voici chargés de dettes ; pire, nous sommes privés de tout !” Avez-vous considéré l’eau que vous buvez ? Est-ce vous qui l’avez fait descendre des nuages ? Ou est-ce Nous qui la faisons descendre ? Si Nous le voulions, Nous la rendrions saumâtre. Pourquoi donc n’êtes-vous pas reconnaissants ? Avez-vous considéré le feu que vous obtenez par frottement ? Est-ce vous qui en avez produit le bois, ou est-ce Nous qui le produisons ? Nous l’avons fait pour qu’il soit un rappel et une chose utile pour les voyageurs du désert. » 4

Il n’échappe pas à toute personne ayant un minimum d’intelligence et qui réfléchit un temps soit peu sur l’implication de ces versets, et qui considère les merveilles de la création de Dieu sur terre et dans les cieux et les merveilles [que représentent] les animaux et les plantes, que cette organisation stupéfiante et cet ordre plein de sagesse ne peuvent se passer d’un Créateur qui les gouverne et d’un Agent qui exerce Son autorité sur eux et les détermine. En effet, la nature humaine elle-même semble témoigner qu’elle est soumise à la contrainte du Créateur et à Sa gouvernance. C’est pourquoi le Très-Haut dit : « Peut-on douter de Dieu, le Créateur des cieux et de la terre ? »5 ; et c’est aussi pourquoi Il a envoyé les Prophètes pour appeler les créatures au tawhîd 6 et proclamer qu’il n’y a de divinité que Dieu.
Il ne leur a pas été ordonné de dire : « Nous avons un Dieu et les autres créatures en ont un autre » ; car [la croyance en l’unicité de Dieu] est innée dans leur esprit depuis leur création et [continue d’être présente en eux] dans la fleur de l’âge. Voilà pourquoi Dieu – Exalté soit-Il ! – dit : « Si tu leur demandes : “Qui a créé les cieux et la terre ?”, ils répondront certainement : “C’est Dieu !” »7 Il dit également : « Soumets-toi donc humblement à la Religion, en pur croyant, selon la nature dont Dieu a doté les hommes en les créant. La création de Dieu n’admet pas de changement.
Telle est la Religion immuable, mais la plupart des hommes ne savent pas »8. Il y a donc dans la nature de l’homme et dans le témoignage du Coran suffisamment de preuves pour se passer d’arguments. Ceci étant, nous tenons à fournir des preuves pour suivre l’exemple des plus grands Imâms. Nous disons donc : il est évident pour les intelligences humaines que ce qui est contingent ne peut se passer d’une cause (sabab) à l’origine de sa création. Or le monde étant contingent, il ne peut donc être créé sans une Cause.
Notre proposition : « Ce qui est contingent ne peut se passer d’une cause » est une évidence puisque tout « contingent » est lié à un temps que la raison humaine peut estimer être trop court ou trop long. L’affectation du « contingent » à un temps donné, qui n’est ni avant ni après son propre temps, dépend nécessairement de Celui qui le lui attribue. Quant à notre deuxième proposition : « Le monde est contingent », elle s’appuie sur le fait que les corps dans l’univers sont soit immobiles soit en mouvement, or ces deux [états] sont contingents ; et sur le fait que ce qui comporte des « contingents » ne peut être lui-même que contingent. Cet argument comporte trois propositions : La première : « Les corps dans l’univers sont soit immobiles soit en mouvement ». Celle-ci est une évidence et ne nécessite aucune réflexion pour le comprendre. Et celui qui peut concevoir un « contingent » ni au repos ni en mouvement est profondément ignorant et refuse de suivre la voie de la raison.
La deuxième proposition : « Les corps dans l’univers sont soit immobiles soit en mouvement, or ces deux [états] sont contingents », ceci est prouvé par leur occurrence alternée et l’existence de certains d’entre eux après d’autres. Ceci peut être observé dans tous les corps, aussi bien ceux qui sont visibles que ceux que ne le sont pas. Il n’y a pas de corps au repos dont la raison n’admet pas la possibilité qu’il puisse se déplacer, et pas un corps en mouvement dont la raison n’admet pas la possibilité qu’il puisse être immobile. L’adventice survient en raison de son adventicité et l’état antérieur [d’un corps au repos ou en mouvement] est également un « contingent », car si son éternité était établie, sa non existence serait impossible. Nous expliquerons et démontrerons tout cela plus loin, lorsque nous prouverons l’éternité du Créateur, exalté et sanctifié soit-Il !
La troisième proposition : « Ce qui comporte des “contingents” ne peut être lui-même que contingent ». Ceci est confirmé par le fait que s’il en était autrement, chaque contingent serait alors précédé par d’autres « contingents », à l’infini, mais tant que ces derniers ne surviennent pas et ne cessent pas, le tour du contingent en question ne viendrait jamais. Or ceci est impossible car ce qui est infini n’a pas de terme. Une autre preuve de cela se trouve dans les révolutions des sphères célestes. Si ces révolutions étaient infinies, leur nombre serait alors pair ou impair, ou aucun des deux. Or il est impossible que ce nombre soit pair et impair, ou ni pair ni impair. Ceci serait combiner l’affirmation et la négation. Or l’affirmation de l’un entraine la négation de l’autre, et la négation de l’un entraine l’affirmation de l’autre.
En outre, il est impossible que le nombre de révolutions soit [seulement] pair, car il suffit d’une révolution [supplémentaire] pour que le nombre devienne impair. Comment donc est-il possible que l’infini ait besoin d’une unité ? De même, il est impossible que le nombre de révolutions soit [seulement] impair, car il suffit d’une révolution [supplémentaire] pour que le nombre devienne pair. Comment donc est-il possible que ce dont le nombre est infini ait besoin d’une unité ? Il est aussi impossible que le nombre de révolutions ne soit ni pair ni impair puisqu’il est fini. De ce qui précède, il résulte donc que le monde comporte des « contingents », et qu’à ce titre, il ne peut être lui aussi que contingent. Ceci étant établi, la dépendance du monde d’une « Cause créatrice » fait donc partie des connaissances nécessaires.
[Le deuxième principe]
Le deuxième principe consiste en la connaissance que le Créateur – Exalté soit-Il ! – est éternel et sans fin. Il est Pérenne ; il n’y a pas de commencement à Son Existence et Il est le Premier avant toute chose, avant tout vivant et tout mort. Et en voici la preuve : s’Il était contingent et non éternel, Il aurait alors eu Lui aussi besoin d’une cause créatrice, et celle-ci à son tour d’une autre cause etc., et ce, jusqu’à l’infini. Et cela, sans aboutir finalement à un premier créateur qui est l’objet [de notre recherche], et que nous appelons le Créateur de l’univers, son Initiateur, son Concepteur et Celui qui est à l’origine de son commencement.
[Le troisième principe]
Le troisième principe consiste en la connaissance que Dieu – Exalté soit-Il ! – est Eternel et Pérenne. Son Être est sans début et sans fin. Il est « le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché »9. Il est impossible de concevoir la fin de l’existence de ce qui est éternel. La preuve : si l’existence [de ce qui est éternel] était interrompue, cela serait alors soit après l’action même [de ce qui est éternel] ou par l’action de ce qui lui serait contraire. Mais s’il est possible qu’une chose dont l’existence est concevable soit anéantie par elle-même, il est alors possible qu’une chose existe par elle-même. Ainsi, autant l’occurrence de l’existence que l’occurrence de l’anéantissement exigent une cause. Mais il est invraisemblable qu’Il soit anéanti par son contraire, car cela impliquerait que ce dernier est lui aussi éternel et coexistant avec Lui. Les deux précédents principes fondamentaux prouvent donc Son existence et Son éternité. A partir des deux principes fondamentaux qui ont précédé, Son existence et Son éternité sont donc prouvées. Comment est-il donc possible d’admettre la présence d’un contraire avec Lui dans l’éternité ? Et si le contraire qui le limiterait était un « contingent », cela serait impossible, car l’opposition du contingent à l’éternel en vue de l’abolir est moins probable que l’opposition de l’éternel au contingent en vue d’en prévenir l’existence. La prévention est en effet plus facile que l’anéantissement, et l’éternel est plus fort que le contingent.
Al Ghazali
Notes :
1 – Coran 78 : 6-16.
2 – Coran 2 : 164.
3 – Coran 71 : 15-18.
4 – Coran 56: 58-73.
5 – Coran 14 : 10.
6 – L’affirmation de l’unicité de Dieu.
7 – Coran 31 : 25.
8 – Coran 30 : 30.
9 – Coran 57 : 3