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mardi 23 avril 2024

Gérald Darmanin et l’islam de France : la tentation autoritaire

Le nouveau ministre de l’Intérieur et des Cultes Gérald Darmanin a une vision bien précise de ce que doit être l’islam de France. En 2016, l’ex-ministre de l’Action et des Comptes publics du gouvernement d’Edouard Philippe rédigeait un projet de 65 pages intitulé « Plaidoyer pour un Islam français, contribution pour la laïcité » dans lequel il exposait ses idées et sa conception de l’islam à la française. Mizane.info a pris connaissance de ce document.

« Les Français sont en repli. Ce qu’ils acceptaient avec une certaine compréhension hier, ils ne l’acceptent plus aujourd’hui et le rejetteront demain avec violence. »

C’est par ces mots anxiogènes que Gérald Darmanin, actuel ministre de l’Intérieur et des Cultes débutait l’écriture de son document « Plaidoyer pour un Islam français. Contribution pour la laïcité » publié il y a maintenant quatre ans.

Instructif, ce document est intéressant à plus d’un titre puisqu’il nous fournit les bases de la vision politique, juridique et administrative de l’islam français vu par M. Darmanin.

Ce qu’on peut dire, c’est que l’homme du président en charge du dossier islam ne tourne pas autour du pot. Il ne mâche pas ses mots.

« Les musulmans qui, par le passé, ont montré durant trois conflits terribles leur attachement par le sang à la France et à sa République, se communautarisent et voient de l’islamophobie partout. (…) La jeunesse issue de la deuxième, parfois de la troisième génération d’immigration, se radicalise. Le salafisme gangrène les milieux les plus modérés. (…) Entre les Français non musulmans et l’Islam, le fossé devient un canyon (…) Non seulement la guerre civile couve mais, si elle advient, elle sera la pire de toutes : elle sera religieuse. »

Le tableau inaugural dressé par l’hôte de Beauvau est sombre. Le ton est donné et à la lecture de ces lignes acides on aurait beaucoup de mal à seulement penser que l’islam puisse être une chance pour la France.

Pour Darmanin, l’assimilation de l’islam (le mot est lancé) sera difficile pour cinq raisons.

« La première tient au fait que l’Islam est une religion neuve sur notre sol (…) La deuxième raison tient justement au nombre important d’habitants de notre pays qui pratique cette religion : entre quatre et six millions selon les estimations (…) La troisième raison tient à la spécificité de l’Islam : une religion qui, dit-on, ne reconnaît pas la différence essentielle entre le temporel et le spirituel et qui, par ailleurs, n’a pas de hiérarchie internationale ou nationale (…) La quatrième raison est évidemment le contexte international du terrorisme islamiste (…) La dernière raison est constituée par le fait que les Français connaissent mal l’Islam. »

Selon l’actuel ministre, « Les choses ne peuvent plus durer ainsi ».

La tentation autoritaire de Gérald Darmanin

C’est précisément au moment de passer aux « solutions, aux « remèdes », au « plan de sauvetage » de la France que tout bascule, comme souvent en politique.

Notre ministre explique alors qu’il ne peut y avoir que « deux solutions (s’offrant) aux décideurs politiques » pour empêcher cette guerre civile !

La première : « Interdire la liberté de pratiquer aux musulmans sous prétexte que la religion à laquelle ils croient – parfois plus culturellement que par conviction – serait incompatible avec la République. »

Il est difficile de croire que ces mots soient sortis de la plume d’un homme actuellement en charge d’un ministère de la République.

Certes, cette « solution » est rejetée par M. Darmanin, mais elle ne l’est pas au nom de la morale, ou de la dignité humaine mais au nom de considérations juridiques – « nos textes les plus essentiels » – au nom de ses conséquences désastreuses – « une deuxième guerre d’Algérie sur son sol » – ou au nom d’un réalisme politique – « Expulser des millions de Français musulmans vers la « Musulmanie » n’est pas possible ».

« Les convertir de force en leur interdisant leur religion, chaque personne rationnelle en conviendra, est une folie » poursuit M. Darmanin.

L’islam est depuis longtemps en France un sujet susceptible de soulever une certaine hystérie.

On aurait été pourtant en droit d’attendre autre chose d’un homme qui a exercé différentes fonctions politique de haut niveau dont celle de Législateur (ancien député de la 10e circonscription du Nord).

La seconde solution que Darmanin affectionne, moins violente, restera toute aussi autoritaire.

Aux musulmans, Darmanin entend « rappeler fermement nos principes républicains », avec un « sens de l’ouverture » au nom duquel « nous ferons œuvre de pacification » en conformité « à l’esprit des Lumières ».

Dit autrement, le discours de Darmanin est de long en large, et du début à la fin un appel à la soumission, à la défection, à la reddition intégrale de l’islam devant l’autel de la République.

Le registre est volontariste, mais un volontarisme de bout en bout guerrier.

« Le temps est venu pour la République d’exprimer clairement ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas (…)

Gérald Darmanin.

Oui, à l’Islam nous devons imposer une concorde, c’est-à-dire un ensemble de règles, peut-être pour un temps défini, afin de l’assimiler totalement à la République (…)

Le plaidoyer pour un Islam français c’est faire, avec les musulmans, le lent et difficile travail de franchise et d’autorité que notre pays a fait avec les catholiques, les protestants, les juifs (…)

Pour relever ce défi, il faut des armes culturelles (…)

Il convient de faire abandonner, y compris par des actes d’autorité, toute volonté à l’Islam de s’intéresser à la politique. Cela fait, la République sera prête à voir tous ses enfants, y compris musulmans, participer à sa gouvernance, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. »

Le champ terminologique adopté est celui de la guerre, du combat, de la défiance.

Il n’y a presqu’aucune place à la bienveillance, à la confiance, au rappel de la réalité de l’islam en France, la réalité de millions d’individus qui contribuent, avec d’autres, à bâtir ce pays, à lui offrir une âme.

Le conformisme politique d’un ministre

Il y a pourtant d’autres passages moins sombres, plus ouverts, qui auraient pu permettre à Darmanin de marquer sa différence, de prouver son courage et d’ « imposer » son indépendance d’esprit.

Les lignes soulignant les sacrifices des soldats musulmans qui sont tombés à plusieurs reprises et en grand nombre pour la France quand des compatriotes de « souche » collaboraient avec les Allemands, en font partie.

« Les Français de confession musulmane, écrit Darmanin, ont démontré au prix du sang leur amour et leur attachement à la mère patrie et au drapeau tricolore. Lors de la Première Guerre mondiale, des centaines de milliers de soldats venus d’Afrique et particulièrement d’Algérie, sont venus combattre en Métropole. Ils payèrent très cher le prix du sang : ils ne furent pas les derniers, à Verdun, à connaître la mort ou les séquelles à vie des balles, des éclats d’obus et du gaz (…) Lors de la Deuxième Guerre mondiale, alors que de nombreux français de « souche » étaient au mieux attentistes, au pire collaborationnistes, certains historiens précisent que c’est presque la moitié de l’armée française libre qui était composée de soldats musulmans (…) Le cimetière italien de Venafro témoigne de ces Français musulmans morts pour la libération de l’Europe. »

Autre passage aussi banal qu’important à rappeler, à propos du sens réel de la laïcité.

« La laïcité n’est pas la négation des religions mais la neutralité de l’État et de ses services publics face aux religions. La laïcité, qui permet la pluralité des croyances, laisse à chaque citoyen la liberté de vivre selon sa foi et ses convictions. Si l’on doit s’entendre sur une définition, au-delà de ceux qui la souhaitent positive ou restrictive, retenons celle, indiscutable, du Conseil d’État qui dans son rapport de 2004 « Un siècle de laïcité » souligne que la laïcité doit « à tout le moins se décliner en trois principes, ceux de la neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme. »

Malheureusement, ces rares passages dans un document de 65 pages sont littéralement balayés et contredits par le vent brûlant, comme le monde latin sait en produire, qu’il fait souffler sur la face déjà meurtrie des Français de confession musulmane.

Nous disons des Français de confession musulmane car il n’existe pas politiquement ou sociologiquement parlant d’islam en dehors des musulmans.

Lors même qu’il serait question de conception ou de courant de l’islam, ces conceptions sont portées par des êtres humains.

Qu’on le veuille ou pas, attaquer verbalement l’islam (et non seulement le critiquer), c’est attaquer physiquement et mentalement des Hommes qui le portent et qui l’incarnent bon an, mal an.

Les mots prononcés par les politiques ont des conséquences sociales.

Cette distinction fumeuse entre idées et individus ne peut être valable que dans le champ purement théorique de la connaissance, de la philosophie ou de l’éthique.

En politique, il est question de polis, de res publica, de chose publique et d’espace publique, donc in fine de citoyens.

La doctrine d’état française sur l’islam

Dans ce document, Darmanin n’innove pas, ne brille pas, ne se démarque pas de ses prédécesseurs.

Il anticipe, hier, pour peut-être accomplir aujourd’hui la même et redondante doctrine d’état française sur l’islam, cette doctrine qui considère l’islam comme un élément étranger à la Nation française, un élément subversif, dangereux, une cinquième colonne, un ennemi à abattre ou soumettre.

Cette doctrine est le principal obstacle à l’émergence réelle et solide d’un islam français ou en France car elle seule exclue nos compatriotes musulmans de leur sentiment d’appartenance légitime à ce pays, en nourrissant chez eux une schizophrénie insoutenable, ce qui n’est dans l’intérêt ni de la Nation, ni de la République.

Les diatribes loquaces déclinées en boucle sur la menace salafiste ou le projet d’infiltration des Frères musulmans dans les institutions françaises, ne sont que des contre-feux ou des alibis destinés à justifier cette doctrine qui leur préexistait largement.

Bien avant que le premier salafiste ne naisse en France ou que le premier Frère musulman n’ouvre son attaché-case dans un bureau parisien, cette doctrine d’état était une réalité idéologique, politique et administrative. L’histoire coloniale de la France nous le rappelle douloureusement.

islamique

Dès lors, on comprend mal en quoi les déviances qui existent dans tous les groupes humains pourraient justifier cette folie à voir dans l’ensemble des musulmans, une possible ou probable menace immédiate ou à terme pour la France.

En politique, la rationalité et le sang-froid doivent s’imposer.

Il y a un droit, une législation, un appareil d’état : toute déviance ou violation réelle de la loi relève des institutions françaises.

Le terrorisme qui a frappé nos compatriotes ne relève en aucun cas de la responsabilité des musulmans qui ont été frappés au même titre que les autres, et qui le rejettent encore plus fermement que les autres.

Le discernement est ce que l’on doit attendre d’acteurs politiques responsables.

Le reste n’est qu’une instrumentalisation verbale, pernicieuse et dangereuse pour la cohésion de la Nation et ce, quoi qu’en pensent les apprentis-sorciers d’une guerre civile qu’ils espèrent plus qu’ils ne la conjurent, un peu à la manière des prophéties auto-réalisatrices, une guerre civile qui, nous le disons avec conviction, n’adviendra jamais. Que cela soit entendu.

Dans l’esprit des hauts-fonctionnaires français, soumettre l’islam à la République implique donc de « neutraliser » son dynamisme potentiel, sa capacité à incarner une source et une force de pensée et d’action collective et sur le plan individuel, sa vitalité spirituelle et morale.

Il leur faut dés-islamiser l’islam pour le nationaliser, ou dit selon les termes du ministre, « gallicaniser » l’Islam, c’est-à-dire d’exercer une mainmise étroite au nom de la souveraineté française sur les nominations et les décisions des responsables musulmans.

« L’Islam n’a pas encore opéré sa profonde mutation théologique, celle que chaque religion du Livre a faite avant elle, pour reconnaître la relativité de la croyance (…)

Il convient donc de mettre en place des mesures symboliques, fortes et justes, pour atteindre un objectif qui est celui de toute la nation : un Islam sécularisé, assimilé à la République, qui a abandonné toute idée de dérives sectaire, violente et politique. »

« Sécularisé », c’est-à-dire privé de sa capacité d’influence sociale, influence proportionnelle à sa vitalité spirituelle.

François Baroin.

Cet objectif prime sur toute autre considération, y compris celle du respect de la loi qui est pourtant au cœur du projet républicain et de son idéal moral.

Ce qui explique que la cohorte de hauts-fonctionnaires français ne voient aucun problème à postuler le principe laïc de neutralité religieuse de l’Etat, garant de la liberté de conscience et d’exercice de cette même liberté dans l’espace public, tout en appelant ouvertement à le violer au nom d’une abusive compréhension de la notion de respect de l’ordre public.

L’ancien Premier ministre Baroin avait déjà fait valoir dans un rapport au début des années 2000, au moment où la loi Stasi était en préparation, le fait qu’un conflit existait entre la doctrine française laïque et les droits de l’Homme, et qu’il fallait faire primer l’une sur les autres.

Près de 20 ans plus tard, pratiquement rien n’a changé.

Le vocabulaire pour désigner l’ennemi (Frères musulmans, salafistes) s’est juste enrichi de nouvelles formules (islam radical, séparatisme islamiste) qui ont toutes la même fonction : distiller dans l’esprit des fonctionnaires, donc du corps administratif de l’état, et dans celui des habitants, l’esprit de cette doctrine sur l’islam.

Modus operandi d’une mise sous tutelle annoncée

Pour mener à bien cette guerre culturelle ouverte, voici les mesures proposées par Darmanin. Lieux de culte et voile sont visés, comme à l’accoutumée.

La création d’un « Ministre des Cultes et de la Laïcité (…), (sera) chargé (entre autres) de proposer des modifications nécessaires dans le code de l’urbanisme pour rendre plus cohérent le droit opposable à la construction des lieux de culte, interdisant notamment tout minaret. »

« Tout signe ostentatoire est interdit dans l’enceinte des universités publiques durant les heures d’enseignement.

Les signes religieux sont autorisés dans l’espace public. Cependant, tout vêtement ostensiblement prosélyte ou qui tendrait à discriminer les femmes et marquer ainsi de manière ostentatoire leur différence est interdit. »

Sur le plan de la fonction publique, la purge des Français de confession musulmane a déjà été lancée au nom de la lutte contre la radicalisation et de ses signes précurseurs.

Des listes et des documents ont préconisé un droit à la suspicion préventive et à la criminalisation de certaines pratiques religieuses pour justifier la mise au ban professionnelle, dans un maccarthysme à la française.

Le simple fait de déposer un congé pour fête religieuse sera rejeté, toujours au nom de l’ordre public.

« Les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ont un strict devoir de neutralité religieuse. Aucun aménagement d’horaires ou de prises de congés pour des raisons religieuses ne peut être toléré s’il vient à empêcher le bon fonctionnement du service public. »

La mise sous tutelle politique totale des institutions religieuses de l’islam passera, elle, par la constitution d’un « Grand Conseil de l’Islam de France » qui remplacera le CFCM, et sera composé « sur le modèle du Consistoire central ».

« Des laïcs musulmans participeront à ce Conseil. Toutes les mosquées présentes sur le sol français y seront obligatoirement affiliées. Chaque mosquée participera à l’élection des représentants du Grand Conseil. Un Grand imam de France sera nommé par ce Grand Conseil et sera compétent pour répondre aux questions savantes et théologiques. Ce Grand Conseil nommera les imams dans chaque mosquée, pourra revenir sur leur nomination, dirigera la Fondation des Œuvres de l’Islam qui aidera à la construction des lieux de culte et à la gestion des lieux de formation des imams dans le cadre des règles de la République.

Les lieux de culte musulmans seront agréés auprès d’un Ministère des Cultes et de la Laïcité qui ne contrôlera pas l’organisation du culte ou l’enseignement religieux mais l’acceptation des règles de conformité avec les valeurs et les lois de la République.

Toute mosquée qui ne sera pas affiliée au Grand Conseil de l’Islam de France ou qui ne respectera les règles de constitution ou de gestion de l’association cultuelle sera fermée et les dirigeants gravement punis par la loi pénale. »

La méthode la plus à même d’accomplir ce projet pour Gérald Darmanin et pour beaucoup de dirigeants politiques s’inspire, on le voit, directement du césarisme napoléonien et de son culte de la force, de l’autorité et de la soumission impériale. La référence à Napoléon reviendra treize fois  dans le rapport !

La loi contre le séparatisme annoncé par Macron, et dont la mise en œuvre pratique pourrait passer par la fermeture d’instituts scolaires, de mosquées, voire d’entreprises ou d’organismes sociaux, promet une rentrée douloureuse pour les Français de confession musulmane.

Elle n’est pourtant que la conséquence d’une désorganisation notoire de la communauté musulmane française, divisée et fragilisée par l’apathie et l’immobilisme d’un islam consulaire étranger, lui-même encouragé par l’état français, hostile par principe à l’émergence d’un islam autonome, fusse-t-il français, qui échapperait à son influence, un islam qui pourtant adviendra nécessairement.

L’unique question qui subsiste est : quand ?

Fouad Bahri

 

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