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dimanche 28 avril 2024

Ce qui se cache derrière l’obsession de Zemmour pour le voile

La vidéo montrant Zemmour demandant à une femme de Drancy d’ôter son voile a provoqué une vague de consternation sur les réseaux sociaux. Dans sa dernière chronique sur Mizane.info, Riyaad Ouakrim revient sur les raisons de fond expliquant cette obsession de Zemmour et de la classe politique à propos du voile.

Cette scène n’est pas passée inaperçue. En direct sur la chaine de CNEWS, Éric Zemmour interpelle une femme voilée, et lui somme, afin selon lui d’être dans le cadre de la laïcité, d’ôter son voile. On ne saurait à l’heure trancher quant à la véracité du scénario, mais elle illustre bien un problème inscrit dans l’air du temps.

Il me semble important de rappeler des fondamentaux. La laïcité est fondée sur ce principe : le droit à la manifestation religieuse sans que cela ne supplante le fait politique. Ainsi, au regard de cette définition, nulle personne ne devrait avoir à rendre de compte sur sa tenue vestimentaire, qui plus est dans des institutions publiques et citoyennes. A moins qu’elle exprime une volonté assumée d’outrepasser une conviction personnelle, soit de l’imposer à un tiers. Plus encore, nulle femme n’est censée se justifier quant au port de quelconque accoutrement, ni même de clarifier sa foi. Les exigences vestimentaires émanant des sociétés privées étant une chose, le rapport entre la citoyenne et l’état une autre.

Zemmour et le Grand remplacement

Éric Zemmour, l’ensemble des politiques, des médias et des supporteurs d’une vision très identitaire n’ignorent aucunement cette définition. Seulement, l’enjeu est ailleurs. En effet, le discours général dont Éric Zemmour se fait le défenseur regrette un travestissement du paysage français d’antan : blanche, républicaine et chrétienne. Et c’est à travers ce prisme que nous comprenons cette posture antivoile : elle est à leurs yeux l’incarnation d’une islamité trop voyante, à même de supplanter l’identité d’une nation en crise. En somme, le voile est considéré comme un agent intrusif, une anomalie que la ferveur républicaine saura éradiquer au dépend d’une francité originelle. C’est d’ailleurs tout le propos du thème du Grand Remplacement.

Mais le droit étant ce qu’il est, interdire le voile sur le seul motif qu’il comporte des connotations trop religieuses ne passerait pas. La France, dont la devise fait les louanges de la liberté, entacherait son image, et risquerait de passer pour un état liberticide.

Tout l’enjeu est de montrer combien l’islam en lui-même est de nature à représenter un danger. Combien il est, par sa composante exotérique traditionnelle et les nations historiques qui l’ont porté, une foi en tout lieu et en tout temps conquérante et prosélyte.

Cette dénonciation d’un islam (et donc d’une islamité) incompatible avec la république va de pair avec la critique de l’immigration, car engendrant des problèmes d’assimilation, de terrorisme et de trouble à l’ordre publique. Avec la banalisation de la théorie du Grand Remplacement, la question raciale elle-même se fait moins taboue.

Et puis, il y a aussi une raison plus ou moins esthétique. Alors que la raison officielle d’une telle opposition au voile serait la lutte contre une contrainte implicite et obscurantiste, il est fort probable qu’elle émane d’un désir de supprimer un habit sonnant trop puritain, et pas assez coquet. C’est en tout cas ce que nombre de personnalités ont déjà exprimé (on se souvient d’un Ménard faisant allusion aux beurettes sexy qu’il regretterait). C’est à mon sens ce qui se cache derrière le sujet du voile.

Contradictions républicaines

Néanmoins, il y a un historique qu’il serait intéressant d’examiner, notamment dans la manière dont les politiques et les médias ont traité du sujet de l’islamité, du voile particulièrement. On a assisté à un phénomène assez rare, où médias et politiques entraient sur le terrain religieux afin de trancher sur la question du voile, dans un but –contradictoire et aberrant – de le délégitimer.

En effet, il y a toujours eu un problème dans la manière dont le sujet de l’islamité était traité en France. Ce problème est d’autant plus grand que l’on atteint un niveau d’absurdité, au point d’appliquer à l’islam ce que l’on n’aurait jamais oser faire avec une autre sphère religieuse et culturelle. Ce qui en dit long sur la posture « désespérée » des sceptiques de l’islamité, tant il est aujourd’hui, comme énoncé précédemment, l’objet d’enjeux politiques, voire civilisationnels.

La République en vient à se contredire dans ses fondements, sans peur, et presque de manière inaperçue, de se montrer superficielle dans son approche. On fait la leçon non plus seulement sur les bonnes mœurs françaises, laïques et républicaines ; mais on en vient à expliquer aux musulmans ce qu’est l’islam et ce qu’il préconise. Une incohérence — cela dit, pas totalement innocente — des plus « formidables », où la religion elle-même est instrumentalisée… Au nom de la séparation de celle-ci avec l’espace de la citoyenneté.

Outre cette incohérence, rappelons que le rôle de l’état n’a jamais été de définir de quelle moralité relève telle ou telle croyance. Par définition, un culte religieux est naturellement considéré indépendamment de la véracité de son enseignement, ce qui est évident, mais de ce que l’on a pu lire, il n’est décidément pas impertinent de le rappeler. Il n’y a donc aucun sens à ce qu’un laïc — qui plus est athée — se prononce sur ce que le livre saint des musulmans dirait ou ne dirait pas. Le débat — du moins quand il s’inscrit dans ces sujets polémiques et ô combien classiques — n’a pas lieu d’être. Le plus que peut faire un gouvernement est de veiller au respect des lois républicaines. Ni plus ni moins.

Zemmour et les clercs autoproclamés de l’islam

Pour aller plus loin dans la réflexion, à moins d’aborder le sujet par le prisme d’une islamologie rigoureuse (j’insiste sur ce dernier terme), on ne saurait traiter des tenants et des aboutissants d’une religion comme l’islam selon son bon vouloir. L’islam a ses branches, ses dogmes et ses valeurs. Que l’on y adhère ou que l’on n’y adhère pas, ce n’est certainement pas le « tafsir » (exégèse, ndlr) d’un individu aux croyances exogènes ou antagoniques qui saura bousculer de telle conceptions traditionnelles.

Il pourra naturellement toujours exprimer ce qui lui semble relever d’une certaine pertinence selon les différentes conceptions de l’islam. Voire prendre personnellement parti. Mais quand, à titre d’exemple, on se retrouve à assister à des discussions sur le voile où des personnalités expliquent ce à quoi fait ou ne fait pas allusion tel ou tel verset, il y a de quoi tomber sur la tête. D’autant plus qu’ils partent le plus souvent — et avec une vision arbitraire des plus décomplexées — de postulats qui n’engagent que leur propre personne.

On rappellera que le voile n’est pas uniquement justifié par le Coran – il est un fait historique et exégétique que les musulmans ont en grande partie vu à travers ces versets une obligation vestimentaire –, mais par d’autres sources fondamentales de la Tradition faisait partie des corpus reconnus par les branches respectives. Le paradigme musulman n’en a ainsi que faire de l’adhésion ou non à ce principe, et les tentatives d’y apporter une objection en invoquant l’esprit coranique lui-même sont, en plus d’être incohérentes, impertinentes. Il y a certes de quoi dire sur ce sujet, mais certainement pas avec une telle facilité de récusation.

La vraie question est celle-ci : est-il normal d’en arriver à un moment de l’histoire de l’islam français, où l’on doit expliquer que la conception théologique et la lecture des textes — auxquels n’adhèrera pas un non-musulman, et auxquels d’ailleurs on ne lui demande guère d’en épouser ni les principes ni même une essence qu’il récuse également — incombent aux premiers concernés ?

On remarquera ici que je n’ai guère eu besoin de prendre parti ou de donner ma vision sur ces sujets polémiques. C’est bien l’approche à la fois du gouvernement et des détracteurs de certains préceptes qui se suffit à elle-même pour pointer les failles d’un raisonnement manquant on ne plus de rigueur.

Riyaad Ouakrim

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