Accusé par trois plaignantes de viol, l’intellectuel suisse Tariq Ramadan a lui-même saisi la justice et dénonce une campagne calomnieuse. Sur les réseaux sociaux, la confusion règne entre partisans et contempteurs de l’homme. Dans un éditorial exclusif, la rédaction de Mizane Info vous propose une analyse des enjeux éthiques et judiciaires de cette affaire et les enseignements qu’il faudra en tirer.
La justice est fille du discernement, la colère comme la passion sont mauvaises conseillères. Rien ne démontre mieux, semble-t-il, la vérité de ces adages que ce qu’il convient d’appeler l‘affaire Tariq Ramadan qui déchaîne les passions sur les réseaux sociaux. L’annonce d’une troisième plainte pour viol par une femme qui a requis l’anonymat après deux autres dépôts de plaintes dont celle de Henda Ayari, une ancienne salafiste reconverti dans le militantisme anti-voile, ont jeté le troublé dans les consciences musulmanes.
L’islamologue suisse dénonce pour sa part une campagne mensongère menée contre sa personne. « Je suis depuis plusieurs jours la cible d’une campagne de calomnie qui fédère assez limpidement mes ennemis de toujours. Comme annoncé, dès lundi dernier, mon avocat a transmis au Parquet de Paris une plainte pour dénonciation calomnieuse. Une nouvelle plainte sera déposée dans les prochains jours puisque mes adversaires ont enclenché la machine à mensonges (…) Le droit doit maintenant parler, mon avocat est en charge de ce dossier, nous nous attendons à un long et âpre combat. Je suis serein et déterminé » a-t-il écrit dans un message publié sur sa page Facebook.
Avant qu’une affaire ne soit jugée, il n’y a pas de victimes mais des plaignantes, et il n’y a pas de coupables mais des accusés. Il n’est donc dans le pouvoir et le droit de personne d’attribuer ces statuts (victimes, coupables) sous peine de se substituer à la justice.
Ce qu’est la vraie justice
De leur côté, pro et anti ramadan se déchaînent et s’en donnent à cœur joie. Insultes, accusations, procès d’intention multiples et réciproques sont prononcés créant un vaste nuage de fumée que les effets de résonance médiatique du hashtag #Balancetonporc n’auront pas aidé à dissiper. Dès lors, que dire, que faire, et qui croire ? Silence, patience et prudence devraient être les maîtres mots d’une attitude qui se réclame de la justice et du discernement, les seuls principes aptes à démêler le vrai du faux d’une affaire de plus en plus glauque. La justice a des règles et celles-ci valent pour tous. La présomption d’innocence stipule que personne n’est coupable avant d’être déclaré tel par la justice sur la base de preuves confondantes.
La culpabilité est un statut judiciaire prononcé par une instance seule apte à investiguer, vérifier et recouper les éléments fournis par les plaignantes. Avant qu’une affaire ne soit jugée, il n’y a pas de victimes mais des plaignantes, et il n’y a pas de coupables mais des accusés. Il n’est donc dans le pouvoir et le droit de personne d’attribuer ces statuts (victimes, coupables) sous peine de se substituer à la justice. Tout le problème dans ce genre d’affaire est que le pouvoir de diffusion express et exponentiel des nouveaux médias que sont les réseaux sociaux diffusent à vitesse grand V toute sorte d’information avant même parfois qu’elle ne soit vérifiée.
Toute accusation relayé par un article de presse, de quelque nature qu’elle soit, est paraphée dans les registres des tribunaux populaires à titre de preuve contre le « coupable », jugé et condamné par la vindicte plébéenne en dehors de toute forme de procès équitable. L’émotion positive ou négative dicte la marche du procès express de la vox populi où la raison, le discernement, la patience de l’équité n’ont pas leurs mots à dire.
Laissons la justice s’exprimer et la voix de la vérité se manifester. Si les accusations sont prouvées, il sera toujours temps de tirer publiquement les conclusions et les enseignements de cette affaire. Dans le cas contraire, une réflexion sérieuse sur la diligence de certaines voix médiatiques à construire la condamnation d’un individu sur la seule base de déclarations et sans preuves devra être menée
La présomption d’innocence n’est pas un privilège
Pour cette vox populi, Tariq Ramadan est déjà coupable. Pour la voix de la justice, Tariq Ramadan n’est ni innocent, ni coupable des accusations qui sont portées contre lui. Il est un justiciable qui a lui-même saisi la justice contre les plaignantes pour dénonciation calomnieuse.
C’est donc à la justice de prononcer son jugement en toute équité. D’ici-là les citoyens musulmans ou non musulmans qui voudraient précipiter la marche de la justice quitte à la faire fatalement trébucher feraient mieux de faire vœu de silence et de prendre leur mal en patience. Il est en effet impossible de dissimuler des choses d’une telle gravité. Laissons la justice s’exprimer et la voix de la vérité se manifester. Si les accusations sont prouvées, il sera toujours temps de tirer publiquement les conclusions et les enseignements de cette affaire.
Dans le cas contraire, une réflexion sérieuse sur la diligence de certaines voix médiatiques à construire la condamnation d’un individu sur la seule base de déclarations et sans preuves devra être menée. Les conséquences d’une fausse accusation sont trop graves sur la vie d’un individu et ses proches pour faire preuve de légèreté en le vouant sans sommations aux gémonies de la meute vindicative. La présomption d’innocence n’est pas un privilège, ni un blanc-seing, mais un droit légitime de tout justiciable. Tariq Ramadan est un justiciable comme un autre.
A lire du même auteur :
–« Au péril des idées », Tariq Ramadan, Edgar Morin
–« Mon intime conviction », Tariq Ramadan