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Abdelkader : qui agit véritablement ?

Abdelkader : qui agit véritablement ? Mizane.info

Dans la Halte n° 2 du premier tome de son Livre des Haltes (Kitab al mawaqif), l’émir Abdelkader revient sur les fondements théologiques et spirituelles de l’action dans la perspective métaphysique de l’islam.

Il a dit – qu’Il soit exalté ! – : « C’est à Toi que nous demandons aide » (Cor. 1, 5)1. Le sens obvie de ce verset donne à penser que le serviteur a la capacité de produire une part de l’acte et l’autre non, car chacun des deux participants a une relation avec l’acte dont la source peut lui être attribuée2. Sache que ce que Dieu communique à Ses serviteurs, dans Ses Livres révélés, par le langage de Ses Envoyés – sur eux la Prière et la Paix ! –, est adapté à la connaissance du commun des serviteurs à qui il est adressé, dans les limites de leur intelligence, et en adéquation avec leur appréhension spontanée
des choses.

Comme la plupart des serviteurs s’imaginent qu’ils possèdent une réalité autonome – éphémère ou éternelle – distincte de la Réalité de Dieu, Il les laisse dans leur illusion, pour des raisons que Lui seul connaît, et parce que leur condition actuelle ne saurait supporter plus que cela. Il s’adresse donc à eux en tenant compte de leur prétention à posséder une réalité propre et, ainsi, Il leur attribue la liberté d’agir ou de s’abstenir d’agir, le pouvoir et le choix de produire quelque chose, etc., en fonction de cette
prétention lorsqu’Il leur dit : « Faites ! » ou « Ne faites pas ! » ; « Accomplissez la prière ! » (Cor. 2, 43) ; « Ne vous approchez pas de la relation sexuelle illicite ! » (Cor. 17, 32) ; « Et Allâh verra ce que vous avez fait, et Son Envoyé verra aussi » (Cor. 9, 94) ; « Il ne vous causera pas de préjudice quant à vos actes » (Cor. 47, 35) ; « Quiconque le veut, qu’il croie ! Et quiconque le veut, qu’il ne croie pas ! » (Cor. 18, 29), etc.

On sait pourtant de toute évidence que le pouvoir de faire ou de s’abstenir de faire, que la possibilité de produire, et toutes les facultés de perception, dépendent de la réalité effective du sujet agissant ; ce qui n’a aucune réalité ne saurait faire, ou s’abstenir de faire, ou accomplir quoi que ce soit. L’homme, comme toute possibilité contingente, n’a pas de réalité autonome, ni éternelle ni éphémère, comme le montrent la preuve rationnelle et le dévoilement initiatique. Sur ce dernier point, il y a unanimité des connaissants.

La preuve rationnelle établit aussi que si la possibilité contingente, quelle qu’elle soit, possédait une réalité propre totalement distincte de la Réalité de Dieu, cette réalité ne pourrait être qu’accidentelle
par rapport à son essence3. La disposition naturelle juge spontanément que toute qualité attribuée à un objet dépend de la réalité en soi de celui-ci. Sous ce rapport, le contingent ne peut posséder de réalité, car s’il l’avait, cette dernière ne serait qu’accidentelle par rapport à son essence, et cette réalité accidentelle dépendrait de sa réalité première, celle-ci étant soit identique à la réalité subséquente, soit différente.

La première hypothèse est impossible car une chose ne peut se précéder elle-même. La deuxième l’est tout autant, car nous déplaçons le propos vers la réalité précédente et nous tombons dans un cercle vicieux. Ces deux hypothèses sont donc impossibles4. Ainsi, Dieu ne s’adresse à Ses créatures qu’en adéquation avec ce qu’elles s’imaginent et en s’accommodant de leur prétention5 : la Révélation prend donc place entre l’opinion que se fait le commun des hommes sur les choses et ce que sont les
choses en elles-mêmes.

Dans le Livre et la Tradition, l’attribution des actes qui sont produits par l’homme – à première vue et selon la perspective rationnelle – est traitée de manières variées et divergentes. Parfois les actes sont attribués à Allâh, avec l’homme comme moyen, ainsi qu’Il a dit – qu’Il soit exalté ! – : « Combattez-les, afin qu’Allâh les châtie par vos mains ! » (Cor. 9, 14). Parfois ils sont attribués à l’homme au “moyen” de Dieu, par Sa Parole – qu’Il soit exalté ! – : « Combien de fois une troupe peu nombreuse l’a emporté sur une troupe supérieure en nombre par la permission d’Allâh ! » (Cor. 2, 249). Parfois ils ne sont attribués qu’à l’homme seul, lorsqu’Il dit – qu’Il soit exalté ! – : « Ils ont accompli la prière et se sont acquittés de l’aumône légale » (Cor. 2, 43).

D’autres fois, Il dénie – qu’Il soit exalté ! catégoriquement toute attribution de l’acte à l’homme : « Ils n’ont pouvoir sur rien de ce qu’ils ont acquis » (Cor. 2, 264), et : « Ce n’est donc pas vous qui les avez tués, mais c’est Allâh qui les a tués ! » (Cor. 8, 17), etc. Sa Parole – qu’Il soit exalté ! – : « C’est à Toi que nous demandons aide » (Cor. 1, 5) comporte donc un ordre et un discours conformes à ce que s’imagine le commun des hommes, car si le serviteur ne croyait pas qu’il lui soit possible de produire une part d’acte, il ne demanderait pas de l’aide pour l’autre part qu’il ne peut accomplir.

Si tu m’objectes qu’Il a dit aussi – qu’Il soit exalté ! – : « Je n’ai créé les Jinns et les Hommes que pour qu’ils M’adorent ! » (Cor. 51, 56), et que le sens apparent de cette affirmation contre dit ce que j’ai avancé – à savoir que la responsabilité légale découle de la prétention à être l’auteur de l’acte6 –, je te répondrai que l’adoration pour laquelle les Jinns et les Hommes ont été créés est l’adoration radicale essentielle qui concerne d’ailleurs toutes les créatures. Et il n’y a aucun doute que les Jinns et les Hommes ont cette adoration essentielle. Par contre, l’adoration, dont nous disons que la cause est dans la prétention à être l’auteur de l’acte, est l’adoration d’obligation légale, dont la source se trouve dans l’union de l’âme parlante raisonnable avec le corps élémentaire7.

Abdelkader

Notes :

1 – Le choix de ce verset, pour introduire ce Mawqif sur la part éventuelle de la participation du serviteur à l’acte, n’est pas anodin. En effet, un hadîth saint (hadîth qudsî), dont il existe plusieurs versions, déclare : « Allah a dit : J’ai partagé la prière entre Moi et Mon serviteur en deux : la moitié pour Moi, la moitié pour lui, et revient à Mon serviteur ce qu’il demande. Le serviteur est debout et dit : “Louange à Allâh le Seigneur des mondes”, et Allâh – gloire à Sa Transcendance ! dit : “Mon serviteur m’a loué”. Le serviteur dit : “Le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux”, et Allâh – gloire à sa Transcendance ! – dit : “Mon
serviteur a été élogieux à Mon égard”. Le serviteur dit : “Le Souverain du Jour de la Rétribution”, et Allâh dit : “Mon serviteur m’a rendu gloire, et tout ce (qui précède) est pour Moi”. Le serviteur dit : “C’est Toi que nous adorons et c’est à Toi que nous demandons aide”, et (Allâh dit) : “Ce verset est entre Moi et Mon serviteur. Et la fin de la sourate est pour Mon Serviteur”. » On constate que le verset choisi concerne ce qui est “entre” Allâh et Son serviteur.

2 – Demander de l’aide suppose, en effet, de la part du serviteur, que ce dernier a une certaine capacité quant à l’objet de la demande, mais qu’elle est insuffisante. L’acte de “demande” peut, à lui seul d’ailleurs, être considéré comme une capacité.

3 – Compte tenu du principe de raison suffisante.

4 – Sur le même sujet, Nicolas de Cues dit : « En outre rien ne pourrait être si le Maximum absolu n’était pas. En effet, puisque toutes choses qui ne sont pas le Maximum sont finies et principiées, il serait nécessaire qu’elles viennent d’un autre, car si elles venaient d’elles-mêmes, elles auraient été avant même d’être » (La Docte Ignorance, Introduction, traduction et notes de Hervé Pasqua, Bibliothèque
Rivages, Paris, 2005).

5 – Nous traduisons par “prétention” le terme da‘wâ qui signifie aussi “allégation”, “prétexte”, “procès”, “réclamation”. Ces sens ne doivent pas être perdus de vue pour comprendre toutes les implications du présent texte.

6 – Cette prétention, comme on le verra dans d’autres textes, peut être considérée comme la “cause” du jugement. Selon la doctrine des Upanishads, la prétention à être ’agent des actes et celui qui jouit de leurs effets enchaîne l’homme dans les relations de causalité et, de ce fait, est l’un des obstacles à sa Libération (cf. Nirâlamba Upanishad) ; cela peut être mis en relation avec l’idée de “jugement” posthume, “résultat” du respect ou non de l’adoration légale, dont il sera question plus loin, qui détermine son état
dans l’Au-delà, dans la mesure où l’homme se “charge” de ses actes.

7 – Ibn ‘Arabî dit ceci de l’Âme “raisonnante” ou “parlante” : « Sache que la partie subtile de l’homme qui gouverne son corps est tournée d’une part vers la pure lumière qui est son père, et d’autre part vers sa mère, la nature, qui est pure obscurité, ce qui fait de l’Âme parlante une médiatrice entre la lumière et l’obscurité. La cause de sa situation médiane vient de ce qu’elle a une fonction de gouvernance, comme l’Âme universelle placée entre l’Intellect, pure lumière, et la Substance universelle qui est ténébreuse. Cette âme “raisonnante” est donc un isthme entre la lumière et l’obscurité ; elle donne à chaque chose la réalité qui lui revient. Lorsque l’un des côtés (le lumineux ou l’obscur) prédomine en elle, elle prend la nature du prédominant. Lorsqu’elle n’a aucune tendance vers l’un ou l’autre, elle reçoit les choses en équilibre et juge avec équité, par Droit divin » (Fut., II, 239 ; cf. aussi Le Livre des Définitions d’al-Jurjânî,
trad. de Maurice Gloton, p. 467, Dar Albouraq, Beyrouth, 2006)

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