L’installation d’un dispositif législatif visant les musulmans associée à une discrimination structurelle définissent ce qu’on appelle une ségrégation. Billet.
Ségrégation. Il n’y a pas d’autres termes à employer. La situation des Français de confession musulmane dans leur pays relève bel et bien de la ségrégation. Qu’est-ce qu’une ségrégation ? Le centre national de ressources textuelles et lexicales nous en fournit la réponse. « Action de séparer quelqu’un ou quelque chose d’un ensemble ; résultat de cette action. » « Discrimination sociale de fait à l’égard d’individus ou de groupes d’individus en raison de leurs race, ethnie, religion, mœurs, sexe, âge, condition sociale. » « Séparation radicale, régie par des lois, de la population de couleur d’avec la population blanche, qui affecte tous les lieux et moments de la vie quotidienne. »
La critique facile de la bonne conscience républicaine
Ces différents sens du terme ségrégation s’appliquent désormais comme un gant fait sur mesure aux musulmans de ce pays. Et à la lecture de ces mots, tout de suite nous voyons poindre la même critique récurrente adressée aux lanceurs d’alerte, en prenant ce terme dans un sens sans doute un peu différent. Ces critiques nous reprochent toujours la même chose : exagération, manque de nuance, parti pris idéologique, « la France est une démocratie », « un Etat de droit » comparé aux pays d’origine, rien n’est parfait, on ne peut parler de ségrégation, ni même d’islamophobie d’état, etc, etc.
Pourtant, force est de constater que plus le temps passe, plus le fossé qui sépare ces discours de la réalité s’élargit au risque d’aspirer leurs auteurs vers une déconnexion de plus en plus forte avec le réel.
Mais de quelle ségrégation parlons-nous ? En voici quelques exemples.
Actualité oblige, nous allons encore parler des désormais ex écoles privées musulmanes sous contrat avec l’Etat. En plein scandale d’état dans l’affaire Bétharram, école privée catholique où plusieurs scandales sexuelles et agressions sur mineurs ont été signalés sans qu’aucun contrôle n’ai eu lieu, voilà que l’Etat mettait fin à son contrat d’association avec le lycée Al Kindi à côté de Lyon. L’un des deux établissements musulmans qui étaient encore sous contrat avec Averroès, lui aussi victime de la même décision.
Les écoles privées musulmanes subissent systématiquement une floppée de contrôles administratifs dont l’objectif évident est de trouver la moindre faille justifiant une fermeture de l’établissement. De l’aveu même des autorités, aucun autre établissement privé ne subit cela, ce qui fonde l’aspect discriminatoire de ce traitement de défaveur.
La politisation par défaut de l’objet islam
Comment alors l’Etat justifie-t-il cette politique ?
« Pour Al-Kindi, la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Buccio, met en avant, dans une lettre du 10 janvier, « l’idéologie frériste » véhiculée par le centre de documentation et d’information (CDI), ainsi que les propos « contraires aux valeurs de la République » tenus par un enseignant», apprend-on dans les colonnes du Monde.
Du côté du ministère de l’intérieur, lit-on toujours dans l’article consacré aux écoles privées musulmanes, on assume une « politique d’entrave à tout ce qui relève de l’islam politique ». Pour la Place Beauvau, la différence entre les écoles musulmanes et catholiques réside dans le fait que ces dernières n’ont pas de « projet politique ». « Sur les établissements scolaires pour lesquels [il] y a eu des entraves, c’est souvent des projets politiques. On arrive à entraver administrativement, et judiciairement », y avance-t-on.
C’est ainsi qu’on justifie un traitement différentiel, discriminant et séparé du reste de la nation. Une supposé affiliation politique des écoles musulmanes. En réalité, cette supposition ne s’arrête pas, dans l’esprit des décideurs politiques, au seuil des établissements scolaires. Il faut bien le dire, la paranoïa et le complotisme ont pénétré la psychologie fragile des élites françaises plus facilement qu’un couteau à tartiner ne pénètre dans du beurre. Tout musulman attaché à sa pratique religieuse, à ses valeurs et à la vision du monde portée par le monothéisme islamique est aujourd’hui assimilé à une menace, à du terrorisme en puissance, à un danger pour la France.
Le faux prétexte du terrorisme
Contrairement à ce que pensent ou disent certains commentateurs, les actes de terrorisme qui ont frappé la France n’ont strictement rien à voir avec ce traitement. Cette excuse ridicule et facile à présenter comme un blanc-seing justifiant toute fermeture d’école, de commerce, de salle sportive ou culturelle au motif de prosélytisme, de radicalisation ou de propos portant atteinte à la République, cette excuse est infondée. Cette vision d’un islam conquérant, dangereux, fourbe ne date pas d’hier. Elle vient, historiquement, de très loin.
Aucun attentat n’a été commandité ou préparé ou encouragé par un quelconque lieu de culte musulman ou école ou n’importe quel lieu de socialisation musulmane en France. Les musulmans ne sont pas les comptables de tout ce qui se commet au nom d’une quelconque idéologie ou intention en lien de près ou de loin avec la religion. A ce régime-là, autant interdire les drapeaux français, la marseillaise, et fermer les lieux administratifs symbolisant la France à cause des groupes suprémacistes et terroristes de l’extrême droite française qui ont fait du drapeau national leur emblème. Ridicule et de mauvaise foi.
Une ségrégation législative
La ségrégation implique le vote de lois spécifiques visant un segment de la population. Depuis 2004, la France a mis en place un dispositif législatif visant exclusivement la composante musulmane féminine pour lui interdire de porter un voile à l’école et aujourd’hui dans les clubs sportifs. La loi contre le séparatisme a donné de nouveaux moyens à l’Etat d’exercer un contrôle administratif et policiers sur les associations musulmanes gestionnaires des mosquées. Des associations ont été dissoutes par décret pour avoir lutté contre l’islamophobie. A mesure que le temps passe, le bras des restrictions s’allonge.
La liberté d’expression religieuse relève désormais du passé. La répression des opinions politiques et publiques s’institutionnalise en France qui sort chaque jour un peu plus de l’état de droit. Comment des citoyens de confession musulmane peuvent-ils encore se sentir Français quand on leur interdit matin, midi et soir, la pratique de leur religion, qu’on les incite à l’auto-censure, qu’on criminalise leur vocabulaire (fatwa, jihad, Allahou Akbar), qu’on les pousse à avoir honte de leurs croyances, de leur identité, qu’on les force à dissimuler leur spiritualité sous peine de sanction.

Qu’on m’explique comment un enfant sain d’esprit peut encore le demeurer lorsqu’il voit de quelle manière les institutions publiques traitent sa mère, sa sœur, sa tante ou son père, par extension sa conception du sacré, comment peut-il conserver sa dignité et son équilibre mental.
Ségrégation. Le mot n’en est plus un. Il est désormais réalité et son champ ne cessera plus de s’étendre au gré des polémiques et de l’ascension sociale de ses fidèles, menace pour des réseaux de pouvoirs attachés à défendre leur intérêt et leur vision apocalyptique de la France.
Fouad Bahri
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