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jeudi 09 mai 2024

Muhammad, l’appel du destin 1/6

Sira Nabawi Mawlid

A l’occasion de la célébration de la naissance du Prophète (mawlid), Mizane.info publie une série d’épisodes sur la biographie du Prophète extraits du livre « Muhammad, l’Envoyé de Dieu » écrit par Etienne Dinet et Slimane Ben Ibrahim, publié aux éditions Albouraq. Dans ce premier épisode, retour sur la naissance et l’enfance de Muhammad.

Muhammad (qu’Allah répande sur lui ses Bénédictions et lui accorde le Salut !) naquit quelques instants avant le lever de l’Étoile du Matin, un lundi le douzième jour du mois de Rabî’ al-Awwal, en l’année de l’Éléphant, (le 29 août 570 de l’ère Chrétienne).

Lorsqu’il vint au monde, il était net de toute souillure, circoncis naturellement et son cordon ombilical avait été tranché par les soins de l’Ange Jibrîl (Gabriel). L’air de la ville étant funeste aux enfants en bas âge, les notables avaient pour habitude de confier les leurs à des nourrices bédouines qui les élevaient dans leur bâdiya (lieu habité par les Bédouins ou nomades.)

Peu de temps après la naissance de Muhammad ﷺ, une dizaine de femmes de la tribu des Banû Sa‘d, bien saines et bronzées par l’air vivifiant de leur pays, arrivèrent à la Mecque, à la recherche de nourrissons. À l’une d’elles, Halîma, dont le nom signifie « la Douce », était réservé l’honneur de servir de nourrice au Prophète d’Allah.

Son enfance dans la bâdiya des banû sa’d

Halîma bent Dhayb a dit : « L’année était stérile et nous nous trouvions, mon mari Hârith ibn ‘Abd al-’uzzâ et moi, dans une affreuse détresse. Nous décidâmes de nous rendre à la Mecque, où je chercherais un nourrisson dont les parents reconnaissants nous aideraient à surmonter notre misère et nous nous joignîmes à une caravane de femmes de notre tribu qui s’y rendaient dans la même intention.

L’ânesse qui me servait de monture était tellement décharnée, tellement épuisée par les privations, qu’elle faillit s’abattre en route et, durant toute la nuit, le sommeil nous fut interdit par les pleurs de notre malheureux enfant, torturé par la faim. Ni dans mes seins, ni dans les pis d’une chamelle que conduisait mon mari, il ne restait une goutte de lait pour le calmer. Et, dans mon insomnie, je me désespérais.

Comment pouvais-je, en cet état, avoir la prétention de me charger d’un nourrisson ? Distancés de loin par notre caravane, nous arrivâmes enfin à la Mecque, mais tous les nouveau-nés avaient été adoptés par mes compagnes, excepté un seul et c’était Muhammad. Son père étant mort et sa famille peu aisée, malgré la haute situation qu’elle occupait à la Mecque, aucune nourrice n’avait consenti à s’en charger.

Pour la même raison, nous nous détournâmes de lui, au début ; mais j’étais honteuse de revenir les mains vides et je redoutais les railleries que ne manqueraient pas de m’adresser mes compagnes plus heureuses. Enfin j’étais singulièrement émue à la vue de cet enfant si beau, qui allait dépérir dans l’air malsain de la ville.

La compassion emplit mon cœur, je sentis le lait revenu miraculeusement dans mes seins, prêt à jaillir dans la direction de Muhammad et je dis à mon mari : « Par Allah ! J’éprouve une folle envie d’adopter cet orphelin, quelque faible que soit notre espoir d’en retirer une rétribution fructueuse. » – « Tu as raison, me répondit-il et peut-être qu’avec lui la Bénédiction rentrera sous notre tente. »

Déjà, je ne pouvais plus me contenir, je me précipitai vers le bel enfant qui sommeillait et je posai ma main sur sa mignonne poitrine ; il sourit et ouvrit des yeux étincelants de lumière, entre lesquels je le baisai. Puis, le serrant entre mes bras, je rejoignis le campement de notre caravane. Alors, je le plaçai sur mon sein droit pour qu’il y prit ce qu’Allah lui accorderait de nourriture et, à mon vif étonnement, il y trouva de quoi se rassasier.

Je lui offris ensuite mon sein gauche, mais il le refusa, le laissant à son frère de lait. Il agit toujours ainsi. Phénomène plus extraordinaire ! Pour calmer la faim qui tenaillait mes entrailles, mon mari tira assez de lait des pis, précédemment desséchés, de notre chamelle et, pour la première fois depuis longtemps, la nuit nous apporta un sommeil réparateur.

« Par Allah ! Ô Halîma, s’exclama mon mari le lendemain à son réveil, tu as adopté une créature véritablement bénie ! » Je remontai avec l’enfant sur mon ânesse qui prit une allure rapide et ne tarda à rejoindre et même à dépasser mes compagnes étonnées, qui me crièrent : « Ô Halîma ! Retiens ta monture, afin que nous terminions la route de compagnie. Et quoi ! Est-ce là l’ânesse que tu montais à ton départ ? » – « C’est elle, c’est bien elle » – « Alors, elle porte avec elle un prodige que nous ne pouvons pas comprendre ! »

Nous arrivâmes à nos campements des Banû Sa‘d. Je ne connaissais pas de terre plus desséchée que la nôtre et nos troupeaux étaient décimés par la famine. Or, à notre émerveillement, nous les retrouvâmes en meilleur état que dans les années les plus prospères et les mamelles gonflées de nos brebis nous fournirent du laitage en quantité bien supérieure à nos besoins.

Les troupeaux de nos voisins se trouvaient, au contraire, dans l’état le plus lamentable et les maîtres s’en prenaient à leurs bergers : « Malheur à vous ô serviteurs stupides, criaient-ils, menez donc paître nos troupeaux là où paissent ceux de Halîma ! »

Les bergers obéissaient, mais en vain, l’herbe tendre qui semblait sortir de terre pour s’offrir à nos moutons se flétrissait immédiatement après leur passage.

« La prospérité et la bénédiction ne cessaient d’habiter notre tente. Muhammad atteignit sa deuxième année, âge auquel je le sevrai. Il était d’une nature vraiment exceptionnelle.« 

A neuf mois, il parlait déjà avec charme et un accent qui pénétrait les cœurs ; jamais, il ne se salissait ; jamais il ne pleurait ou ne criait, si ce n’est lorsque sa nudité se trouvait exposée aux regards. S’il s’agitait la nuit et refusait de s’endormir, je le sortais de la tente ; aussitôt son regard se fixait avec admiration sur les étoiles, sa joie éclatait et quand ses yeux s’étaient rassasiés de ce spectacle, ils consentaient à se fermer et à se laisser envahir par le sommeil…»

Mais, après le sevrage, Halîma dut ramener Muhammad ﷺ à sa mère, qui voulait le reprendre. Quel chagrin pour la pauvre femme ! Elle ne pouvait se résigner à une aussi cruelle séparation. Dès son arrivée à la Mecque, elle se jeta aux pieds d’Amina en les embrassant et éclata en supplications : « Vois, lui dit-elle, combien l’air vivifiant de la bâdiya a été profitable à ton enfant ; songe qu’il lui sera plus profitable encore, maintenant qu’il commence à marcher ; redoute pour lui l’air empesté de la ville ; tu le verras dépérir sous tes yeux et trop tard, tu te souviendras de mes paroles. »

Touchée par ces attendrissantes prières et n’envisageant que la santé de son fils, Amina fit violence à ses sentiments de mère et finit par consentir à ce que Muhammad ﷺ retournât, avec sa nourrice, dans la bâdiya. Et l’excellente femme, le chargeant sur ses reins, reprit, toute joyeuse, le chemin de son campement. De retour dans la bâdiya des Banû Sa‘d, Muhammad ﷺ imprima ses premiers pas sur le tapis moiré des sables immaculés et il y respira à pleines narines les parfums des plantes aromatiques de la dune.

Il dormit sous la tente bleue sombre du ciel criblé d’étoiles et sa poitrine s’élargit, en aspirant l’air limpide de la nuit désertique. Il s’y fortifia, grâce à la nourriture saine et sobre du nomade : du laitage, de la galette cuite sous la cendre et parfois de la chair de chameau ou de mouton, exempte de l’écœurante odeur de suint que lui communique l’air des étables. Cette santé morale et physique qu’il dut à la bâdiya lui fut d’un grand secours pour de ses futures épreuves. Il aimait à s’en souvenir et répétait souvent :

« Allah m’accorda deux inappréciables faveurs ; celle d’être né dans la tribu des Quraysh, la plus noble d’entre les tribus arabes et celle d’avoir été élevé dans le pays des Banû Sa‘d, le plus salubre de tout le Hijâz. »

Et, dans son esprit, restèrent toujours gravées les images du désert qui impressionnèrent ses premiers regards lorsque, accompagné de jeunes nomades, il grimpait sur un rocher pour surveiller les troupeaux au pâturage. Pourtant, son caractère rêveur et méditatif s’accordait mal avec l’exubérance tapageuse des petits bédouins de son âge et il préférait s’isoler de leurs jeux, pour errer tout seul, dans les environs du campement.

Muhammad et les deux anges

Un matin, il partit avec son frère de lait pour mener au pâturage les troupeaux de ses parents nourriciers. Tout à coup, vers le milieu du jour, le petit camarade de Muhammad ﷺ revint seul et, d’une voix entrecoupée par des hoquets de frayeur, cria à son père et à sa mère : « Accourez vite ! Mon frère le Quraysh s’étant écarté de nous suivant sa coutume, deux hommes vêtus de blanc se sont emparés de lui, l’ont jeté à terre et lui ont fendu la poitrine ! »

Affolée, la pauvre Halîma, suivie de son mari, courut, de toute la vitesse de ses jambes, dans la direction indiquée par le jeune berger. Ils trouvèrent Muhammad ﷺ assis au sommet d’une colline. Il était parfaitement calme, mais son visage avait pris la couleur sinistre de la poussière dans laquelle nous devons tous rentrer. Ils l’embrassèrent tendrement et le pressèrent de questions :

« Qu’as-tu ? Ô notre enfant ! Que t’est-il arrivé ? » – « Pendant que je surveillais les moutons au pâturage, répondit il, je vis apparaître deux formes blanches que je pris d’abord pour deux grands oiseaux. Puis ces formes s’étant rapidement rapprochées, je reconnus mon erreur. C’était deux hommes vêtus de tuniques d’une blancheur aveuglante. L’un d’eux dit à l’autre, en me désignant : « Est-ce lui ? » – « Oui, c’est lui. » Tandis que j’étais figé par l’effroi, ils me saisirent, me couchèrent sur le sol et fendirent ma poitrine. Ils retirèrent alors de mon cœur un caillot noir qu’ils rejetèrent au loin, puis ils refermèrent ma poitrine et disparurent comme des fantômes. »

Les paroles d’Allah, dans le Coran : { Ne t’avons-Nous point détendu ta poitrine ? Nous t’avons déchargé de ton lourd fardeau. Qui a fait ployer ton dos. } [1], s’appliqueraient à cet incident.

« Ce récit, comme tous ceux du même genre que l’on rencontrera dans cet ouvrage, doit être interprété en parabole. Il signifie qu’Allah ouvrit la poitrine de Muhammad ﷺ à la joie de la vérité monothéiste, dès l’âge le plus tendre, en le débarrassant du lourd fardeau de l’idolâtrie. »

Néanmoins, les parents nourriciers de Muhammad ﷺ demeuraient fort perplexes et Hârith dit à sa femme : « Je crains que cet enfant ne soit atteint de haut mal et cela est évidemment dû au mauvais œil de nos voisins jaloux de la prospérité et de la bénédiction qui, avec lui, sont entrées sous notre tente. Mais, qu’il soit possédé du démon, à l’inspiration duquel il aurait éprouvé cette hallucination ou qu’au contraire sa vision soit véridique et lui présage un glorieux avenir, notre responsabilité demeure également grave. Ramène-le tout de suite à ses parents avant que son mal ne se manifeste par de plus violents accès. »

Bien à contrecœur, Halîma fut obligée de se rendre à ce sage raisonnement et elle reprit avec Muhammad ﷺ le chemin de la Mecque. L’enfant, âgé de quatre ans, cheminait à ses côtés et aux approches de la ville, ils se mêlèrent tous deux à une foule nombreuse se rendant soit au marché, soit au pèlerinage du Temple.

La nuit était venue et dans un remous de cette foule, Halîma se trouva séparée de son fils de lait. L’obscurité des ténèbres ne lui permit pas de retrouver, malgré ses actives recherches et ses appels désespérés. Sans tarder, elle courut prévenir ‘Abd al-Muttalib, dont la haute situation permit d’envoyer des gens habiles sur la piste de son petit-fils, tandis que lui-même sautait sur son cheval, pour diriger les recherches.

Bientôt, l’un des chercheurs de pistes découvrit dans le Wadi Tihama, un enfant assis sous un arbuste dont il s’amusait à tirer les branches : « Qui es-tu, ô enfant ? » lui demanda-t-il « Je suis Muhammad, fils de ‘Abd Allah ibn ‘Abd al-Muttalib. » Heureux d’avoir trouvé celui qu’il cherchait, cet homme prit l’enfant avec lui et le remit entre les mains de son grand-père qui arrivait.

‘Abd al-Muttalib embrassa tendrement Muhammad ﷺ, le plaça devant lui, sur sa selle et le ramena dans la Mecque. Pour célébrer sa joie, il abattit des moutons dont il distribua la chair aux pauvres de la cité et, mettant son petit-fils à califourchon sur son cou, il accomplit autour de la Kâ‘ba les tournées rituelles, en signe de reconnaissance.

Alors, en compagnie de la pauvre Halîma remise de son angoisse, il conduisit Muhammad ﷺ auprès de sa mère Amina. « Eh quoi ? dit-elle à Halîma, après s’être livrée aux effusions de sa tendresse maternelle. Tu étais, ô nourrice, si désireuse de conserver mon fils auprès de toi et tu me le ramènes ainsi soudainement ! » – « J’ai pensé qu’il était parvenu à l’âge où tout ce que je pouvais pour lui, je l’avais accompli, répondit-elle et alors, redoutant le hasard d’un accident, je te l’ai ramené, sachant combien tu désirais le revoir. » Mais l’embarras et la tristesse se lisaient trop clairement sur les traits de la brave nourrice.

Amina ne fut pas dupe de cette explication et reprit : « Tu me dissimules le motif réel de ton retour, parle sans restriction, j’attends de toi l’entière vérité. » Halîma s’étant décidée à répéter les paroles de son mari, Amina blessée dans son orgueil de mère, lui répliqua vivement : « Comment ! Tu craignais que mon fils ne devînt la proie du démon ? » – « Je l’avoue. » – « Eh bien ! Sache que sur lui les maléfices du démon n’ont aucun pouvoir, car une glorieuse destinée lui est réservée. »

Et elle la mit au courant des événements merveilleux qui marquèrent sa grossesse et ses couches. Puis, après avoir remercié et récompensé la dévouée Halîma, elle garda auprès d’elle son enfant dont la santé, fortifiée par la vie au grand air, n’avait plus rien à redouter de l’insalubrité de la ville.

Premier voyage en Syrie (An 582 de l’ère Chrétienne)

Chargé d’une famille nombreuse et peu à son aise, bien qu’il eût hérité de l’intendance de la Kâ‘ba, Abû Tâlib était obligé de s’adonner au commerce avec le Yémen et la Syrie. Quelques temps après l’entrée de son neveu dans sa maison, il eut à organiser une caravane de Quraysh qu’il devait conduire en Syrie.

Les préparatifs étaient achevés, les charges avaient été réparties, attachées et équilibrées sur les bâts des chameaux agenouillés qui faisaient entendre leurs habituels grognements et que leurs conducteurs relevaient déjà, par des cris ou des coups, pour les pousser dans la direction du Nord.

Ce spectacle évoquait chez Muhammad ﷺ le souvenir de sa chère bâdiya, sillonnée en tous sens par des caravanes semblables à celle qui s’apprêtait au départ. Une nouvelle séparation, celle de son oncle bien-aimé, allait le replonger dans les tristesses de la solitude et il demeurait morne et silencieux…

À la fin, sentant son cœur prêt à éclater, il se précipita vers Abû Tâlib, l’étreignit de ses jeunes bras et enfonça sa figure dans les plis du vêtement de son oncle, pour cacher ses larmes, où le désir s’alliait au désespoir.

Tout ému par ce geste aimant et spontané et conscient de l’ardente envie que son neveu avait de l’accompagner, Abû Tâlib déclara : « Par Allah ! Nous partirons avec lui. Il ne se séparera pas de moi et je ne me séparerai pas de lui ! » Muhammad ﷺ sécha ses larmes. Exultant de joie, il activa les derniers apprêts du voyage et, sur un signe de son oncle, il sauta sur la chamelle, en croupe, derrière lui.

« Lorsque la caravane s’engagea sur les terrains de parcours des tribus bédouines, la poitrine de Muhammad ﷺ, qui s’était rétrécie en respirant l’air trouble de rues et des maisons, se dilata avec délices, en aspirant à pleins poumons l’air limpide de la bâdiya auquel elle était accoutumée. »

Et cette habitude de la vie nomade, qu’il avait contractée dès son enfance, permit au jeune voyageur de supporter vaillamment les dures privations et les fatigues terribles de cette route interminable au milieu des déserts du Hijâz.

Durant plus d’un mois, les pays traversés offraient entre eux de telles similitudes, des sables et des rochers, puis encore des sables et des rochers, que la caravane semblait piétiner sur place. Dans ce désert sans merci, elle ne rencontrait aucun signe de vie, hormis la présence de Celui qui est partout, éternellement vivant, mais que nul regard ne peut atteindre…

Monastère de Bahira à Bosra (Syrie) 

Rencontre de Muhammad ﷺ avec le moine Bahîra

Sur la terrasse d’un couvent qui couronnait la cime d’une colline escarpée, dernier contrefort du Jabal Hawrân, le très docte moine Bahîra explorait du regard la plaine syrienne qui se déroulait à l’infini dans la direction de l’Arabie… Soudain, son attention fut attirée par l’aspect insolite d’un nuage isolé, de couleur blanche et de forme oblongue, qui rayait l’azur immaculé du ciel.

Ce nuage, tel un oiseau énorme, planait au-dessus d’une petite caravane se dirigeant vers le Nord. Il la couvrait de son ombre bleue et se déplaçait avec elle. La caravane s’arrêta au pied du monastère, auprès d’un grand arbre poussé sur le bord d’un oued desséché et disposa son campement. Au même instant, le nuage s’arrêta et s’évanouit dans les profondeurs célestes, tandis que les branches des arbres se courbaient, comme sous le souffle d’une brise agissant sur elles seules et s’inclinaient vers un des caravaniers, pour l’abriter des rayons du soleil.

« Témoin de ces prodiges, Bahîra comprit que, parmi ces voyageurs arrivant de Hijâz, se trouvait celui qu’il attendait depuis tant de jours : le Prophète ﷺ annoncé par les Livres Sacrés. »

En toute hâte, Bahîra descendit de la terrasse, ordonna la préparation d’un plantureux repas et envoya aux gens de la caravane un messager chargé de les inviter tous, sans exception aucune, jeunes ou vieux, nobles ou esclaves. Le messager revint accompagné des Mecquois que Bahîra attendait sur le seuil de sa porte.

« Par Lât et ‘uzzâ5 ! Ta conduite m’intrigue, Ô Bahîra ! s’écria l’un des invités, combien de fois sommes-nous passés devant ton monastère ? Or, jusqu’à ce jour, jamais tu ne t’étais préoccupé de nous, jamais tu n’avais songé à nous offrir la plus modeste hospitalité, que t’arrive-t-il donc aujourd’hui ? » – « Tu ne te trompes pas, répondit Bahîra ; j’ai des raisons particulières pour agir de la sorte.

Mais vous êtes mes hôtes, en ce jour et je vous prie de m’honorer en vous réunissant autour du repas que j’ai préparé à votre intention. » Pendant que les convives faisaient honneur au repas avec l’appétit de gens qui viennent de subir de rudes privations, Bahîra les examinait tous, à tour de rôle et s’efforçait de distinguer parmi eux celui qui répondait au signalement de ses Livres.

À sa vive déception, il ne put y parvenir : à aucun d’eux ce signalement ne pouvait s’appliquer. Mais comme il avait été témoin de prodiges inexplicables autrement que par la présence d’un Élu de Dieu, il ne se découragea pas et leur demanda :

« Ô assemblée des Quraysh, n’est-il resté aucun des vôtres au campement ? » – « Un seul, lui fut-il répondu, nous l’y avons laissé à cause de son extrême jeunesse. » – « Oh ! Pourquoi l’avoir laissé ? Appelez-le sur-le-champ, afin qu’il prenne sa part du repas, en votre compagnie. » – « Par Lât et ‘uzzâ, jura un des convives, tu as raison et nous sommes vraiment blâmables d’avoir laissé en arrière l’un des nôtres et surtout un fils de ‘Abd Allah ibn ‘Abd al-Muttalib, tandis que nous profitions de ton invitation. »

Et, se levant, il alla quérir Muhammad ﷺ qu’il introduisit au milieu du groupe des convives. Bahîra se mit à examiner le nouveau venu avec la plus minutieuse attention et, quand ses hôtes se levèrent, il s’approcha de lui et le retint à part : « Ô jeune homme, lui dit-il, j’ai une question à te poser, par Lât et ‘uzzâ consentiras-tu à me répondre ? » [2] .

Bahîra voulait l’éprouver, en invoquant les idoles Lât et ‘uzzâ au nom desquelles il avait entendu jurer les convives, mais Muhammad ﷺ lui répliqua : « Ne me questionne pas au nom de Lât et ‘uzzâ car il n’est rien sur cette terre que je haïsse plus qu’elles. » – « Eh bien, par Allah, me répondras-tu ? » – « Questionne-moi et par Allah je te répondrai. » Alors Bahîra l’interrogea sur tous les points qui l’intéressaient, sur sa famille, sur sa situation, sur les rêves qui parfois, traversaient son sommeil et sur quantité d’autres choses.

Toutes les réponses concordèrent avec ce qu’il attendait. Enfin, au moment où le jeune homme avait tourné le dos après lui avoir fait ses adieux, le col de sa tunique s’étant légèrement écarté, Bahîra découvrit entre ses épaules le « Sceau de la prophétie » apposé audessous de sa nuque, exactement à l’endroit désigné par les Textes Sacrés. Le dernier doute était levé. C’était bien le Prophète annoncé qu’il avait devant les yeux.

Alors Bahîra s’approcha d’Abû Tâlib et lui dit : « Qu’est pour toi cet adolescent ? » – « C’est mon fils. » – « Non, ce n’est pas ton fils. » – « En effet, ce n’est pas mon fils, c’est celui de mon frère. » – « Et qu’est devenu ton frère ? » – « Il est mort tandis que sa femme était encore enceinte de mon neveu. » – « C’est exact. Eh Bien ! Retiens soigneusement mes paroles : rentre au plus tôt dans ton pays avec le fils de ton frère et veille sur lui avec la plus constante vigilance. Méfie-toi surtout des Juifs ! Ah ! S’ils le voyaient et apprenaient sur lui ce que je viens d’apprendre, par Allah, ils lui feraient un mauvais parti, car ce fils de ton frère est appelé à jouer un rôle immense sur cette terre ! »

Abû Tâlib, impressionné par les recommandations de cet homme dont la science était universellement reconnue, se hâta de terminer ses affaires à Busrâ, en Syrie et repartit avec son neveu pour la Mecque, où ils rentrèrent sans encombre. Sous la protection d’Allah et sous la tutelle de son oncle qui veillait sur lui avec une sollicitude toute paternelle, Muhammad grandissait et devenait un jeune homme accompli.

Sa pudeur était extrême : Abû Tâlib étant occupé à réparer le puits de Zamzam, plusieurs adolescents Quraysh parmi lesquels Muhammad ﷺ, transportaient les pierres nécessaires à ce travail. Pour plus de commodité, ils avaient relevé par-devant leur izâr (sorte de tunique), en la passant par-dessus leur tête et l’enroulant autour de leur nuque qu’ils protégeaient ainsi contre les aspérités des pierres transportées sur leurs épaules et cela, sans prendre garde à l’état de la nudité dans lequel ils se montraient.

Muhammad ﷺ fut obligé de les imiter, mais dès qu’il sentit sa nudité exposée aux regards, il fut saisi d’une angoisse atroce. De grosses gouttes de sueur perlèrent sur son front, un frisson de honte secoua tout son corps et il tomba évanoui…

Cette pudeur ainsi que la protection qu’Allah accorde à ses élus le préservèrent des excès auxquels se livrent parfois les adolescents au moment de la puberté. De tous ceux de son âge, il était le plus beau, le plus généreux, le plus agréable dans ses rapports, le plus véridique dans ses paroles, le plus éloigné de toute débauche, le plus dévoué dans ses amitiés, à tel point qu’il reçut de ses compatriotes le surnom de al-Amîn, c’est-à-dire « l’Homme sûr ».

Etienne Dinet et Slimane Ben Ibrahim

[1] Sourate 94, Verset 1 à 3

[2] Al-Lât, déesse de fécondité et Al-’uzzâ, déesse protectrice des Quraysh, dans la période pré-islamique

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