La communauté musulmane au Japon est une infime minorité, à peine 200 000 personnes dans un pays de plus de 120 millions d’habitants. L’islam y reste encore discret, mais il s’enracine peu à peu, porté notamment par une diaspora de plus en plus visible. Une présence qui se heurte néanmoins à un obstacle de taille : le manque de cimetières confessionnels. Focus.
Longtemps perçu comme un territoire hermétique à la religion musulmane, le Japon apparaît aujourd’hui plus accessible qu’on ne le pense. Dans une enquête, publiée en mai sur le site The New Arab, le journaliste britannique Adnan Saif, a suivi la vie des musulmans expatriés dans le pays. Loin des clichés, l’enquête décrit un islam vivant, respectueux des traditions locales, « où les expatriés musulmans trouvent un équilibre subtil entre foi et intégration ».
Une pratique musulmane en marge et sans heurt
Adnan Saif observe que dans les grandes métropoles comme Osaka ou Tokyo, les fidèles disposent désormais de nombreuses options alimentaires. À Osaka, il découvre une gastronomie halal variée, entre ramens au miso et shawarma égypto-ouzbèque. Quant à la religion, elle trouve sa place dans les marges, mais sans heurt : « Je pense qu’il n’y a pas d’islamophobie ici parce que les musulmans sont une petite minorité », souligne-t-il.
À Kobe, Adnan Saif rencontre l’imam Yusuf Fujitani, Japonais converti à l’islam et formé à Médine, devenu une figure de proue d’un islam profondément enraciné dans la culture japonaise. Il incarne une forme de syncrétisme respectueux : « On peut vivre dans un pays musulman et finalement être moins ancré dans sa religion que quelqu’un vivant dans un pays non musulman », dit-il.
La mosquée historique de Kobe, surnommée « Miracle Building » pour avoir résisté aux bombardements de 1945 et au séisme de 1995, illustre cette résilience spirituelle. Mais malgré cette ouverture, un obstacle persiste : 99 % des citoyens japonais font incinérer leur corps selon la tradition bouddhiste ou shintoïste, ce qui pose problème aux musulmans pour qui la crémation est interdite, et l’enterrement doit se faire dans les 24 heures.

La lutte pour des cimetières confessionnels
Dans un article, publié par la BBC, le journaliste Swaminathan Natarajan rapporte que certaines familles sont contraintes de parcourir des centaines de kilomètres pour enterrer leurs morts dans le respect des rites islamiques. « La seule idée de devoir incinérer un proche me donne des nuits blanches », confie Tahir Abbas Khan, arrivé au Japon en 2001 pour un doctorat.
Ce professeur d’université d’origine pakistanaise, aujourd’hui citoyen japonais, est actif dans sa communauté. Il a fondé l’association musulmane de Beppu. La première mosquée de la préfecture d’Oita, au sud de l’île de Kyushu, a vu le jour en 2009. Mais la création d’un cimetière est toujours bloquée, alors que la communauté compte jusqu’à 2 000 membres.
Mohammed Iqbal Khan, installé au Japon depuis 2004, a vécu cette difficulté de plein fouet. Lorsqu’en 2009, son épouse donne naissance à un enfant mort-né, aucun cimetière musulman n’existe à proximité de leur domicile. Le plus proche, à Yamanashi, est situé à plus de 1 000 km. « Quatre amis sont venus avec moi. Nous nous sommes relayés pour conduire tout au long du trajet ».

Le cimetière de Yamanashi est utilisé par les musulmans et les chrétiens, l’autre grande minorité religieuse du Japon, qui représente un peu plus de 1 % de la population. L’association du Dr Khan a acheté un terrain près du cimetière chrétien de Beppu. Bien que les propriétaires des terrains voisins aient délivré des « certificats de non-objection », la communauté voisine située à 3 km a exprimé son opposition.
Lire sur le sujet : Japon : la création de cimetières musulmans fait polémique
Un droit humain fondamental
Depuis, rien n’a bougé en sept ans, poussant la communauté à chercher des alternatives. Le Dr Khan explique que certains migrants musulmans ont dû rapatrier les corps de leurs proches dans leur pays d’origine. Mais cela implique de lourdes formalités administratives et retarde inévitablement l’enterrement.
Selon lui, il existe actuellement 13 cimetières musulmans au Japon, dont un récemment construit à Hiroshima, à environ trois heures de route. Il a adressé des appels aux parlementaires, ministères concernés et autorités locales pour résoudre ce problème. Aujourd’hui, un terrain comprenant 79 sépultures a été attribué à la communauté musulmane de Beppu, redonnant un espoir.
« Il ne s’agit pas seulement d’une question religieuse, mais d’un droit de l’homme fondamental. (…) Nous ne demandons rien gratuitement. Nous sommes prêts à payer, mais le principal défi est d’obtenir le permis de construire. »
« La meilleure solution serait d’avoir un seul lieu de sépulture multiconfessionnel dans toutes les préfectures du Japon », toutefois, il est peu probable que le gouvernement national intervienne, ayant jusqu’à présent laissé la question aux autorités locales.
A lire aussi :
