Suite et fin de l’article consacré à l’historiographie islamique. Focus sur les premières formes écrites des écoles historiques de l’islam.
La deuxième forme de tradition arabe préislamique est la sirah. Le mot sirah est fréquent dans diverses littératures et est étroitement lié aux débuts de l’historiographie islamique. Cette tradition s’est développée parallèlement à celle du Maghazi et en est indissociable, car toutes deux accordent une attention particulière au Prophète Muhammad et à ses compagnons.
Étymologiquement, le mot sirah vient de la racine verbale sara-yasir, qui signifie « voyage » (Yunus, 2011, p. 16). Par conséquent, sirah désigne une série de parcours de vie d’un personnage, organisés systématiquement pour produire un récit historique pertinent et objectif. En arabe, sirah signifie également « sunnah », « chemin », « condition » ou « événement » lié à la vie d’une personne.
Lorsqu’il est associé au Prophète ﷺ, le mot sirah fait référence à l’histoire de son parcours de vie. À l’époque des Compagnons, la tradition de la sirah nabawiyah était transmise oralement et de génération en génération sans aucune preuve écrite. Les Compagnons accordaient une grande attention aux détails de la vie du Prophète Muhammad afin de préserver ces récits (Pratama, 2022).
À l’époque des Tabi’in (époque suivante), cette tradition commença à être immortalisée par écrit. Parmi les pionniers de la rédaction de la sirah, on compte Urwah bin Zubair (mort en 93 H), Aban bin Uthman bin Affan (mort en 105 H), Wahb bin Munabbih (mort en 110 H), Syurahbil bin Sa’ad (mort en 123 H), Ibn Shihab az-Zuhri (mort en 124 H) et Abdullah bin Abu Bakr bin Hazm (mort en 135 H).
Avec le développement de l’islam dans diverses régions et dynasties de la péninsule arabique, la nécessité de comprendre l’histoire du Prophète ﷺ s’accru (Fadli, 2020). Par conséquent, le terme sirah est le terme principal désignant l’histoire de la vie du Prophète et de ses compagnons.
La troisième forme de la tradition arabe préislamique est le tarikh ou akhbar.
Étymologiquement, le mot date signifie « temps déterminant » ou « temps » et est souvent utilisé pour désigner des événements qui se produisent à un moment précis. Dans l’historiographie moderne, les dates sont traduites par « histoire » et servent de support à la consignation d’événements importants qui ne sont pas toujours représentés dans d’autres formes d’historiographie (Yatim, 1997, p. 9).
Linguistiquement, la date est souvent assimilée à Akhbar, qui signifie « événement » ou « occasion ». Dans le verset 4 de la sourate Al-Zalzalah, le Coran affirme que tout ce que les humains ont fait sera rapporté le Jour du Jugement, ce qui correspond conceptuellement au sens premier du mot « date » : un récit d’événements.
D’un point de vue terminologique, les dates désignent des documents historiques relatifs à des événements importants, notamment le voyage du Prophète Muhammad ﷺ, depuis le début de la révélation jusqu’à sa mort (Faruq, Pangestu, et al., 2024). Le terme « date » est également souvent utilisé pour expliquer divers récits à signification historique, tant dans le contexte de l’islam que dans la société préislamique.
Cela montre que la tradition de consigner les événements sous forme de dates (akhbar) est devenue l’un des fondements importants de l’historiographie islamique primitive (Kadril, 2021). L’une des formes les plus importantes de la tradition arabe préislamique est al-ansab, étymologiquement la forme plurielle du mot nasab, qui signifie lignée ou généalogie. Durant la période de la Jahiliya, la généalogie jouait un rôle important dans la société arabe, devenant l’un des domaines de connaissance les plus valorisés.
Chaque tribu mémorisait collectivement sa lignée, et tous les membres de la famille devaient connaître et se souvenir de leurs origines. Cette source de fierté distinguait une tribu des autres (Yatim, 1997, p. 10). Tout comme al-ayyam, al-ansab est étroitement lié à la poésie de la période de la Jahiliya. Le thème principal de la poésie arabe de cette époque était souvent axé sur la généalogie et la gloire de chaque tribu, ce qui servait à souligner sa victoire ou son accomplissement par rapport aux autres tribus.
Dans ce contexte, l’honneur d’une tribu dépend fortement de sa lignée, ce qui fait d’al-ansab une partie intégrante de son identité culturelle (Yatim, 1997, p. 91). Bien que la tradition d’al-ansab présente des éléments historiques, elle ne peut pas encore être qualifiée de forme de connaissance historique systématique.
Parmi les limites qui étayent ce point de vue, on peut citer : (1) al-ansab n’est pas documenté par écrit et repose entièrement sur la mémoire orale ; (2) les informations généalogiques peuvent se perdre si personne ne perpétue la tradition de mémorisation ; (3) les données d’al-ansab sont souvent mêlées à des légendes et des mythes, parfois utilisés à des fins particulières ; et (4) la portée d’al-ansab se limite à l’histoire de certaines tribus sans couvrir l’histoire générale de la nation arabe tout entière.
Cela s’explique par le fait qu’à cette époque, le concept de patrie (al-wathan) n’était pas encore connu, la plupart des tribus vivant de manière nomade (Iryana, 2021).
Historiographie de la civilisation islamique à l’époque classique
La période islamique classique couvre la période allant de la prophétie de Muhammad à la fin du règne des ‘Abbassides. L’historiographie de cette période distingue l’âge d’or de l’islam et sa période de déclin. L’expansion territoriale marque l’âge d’or (650-1000 apr. J.-C.), l’unification des musulmans et le progrès de la civilisation, tandis que la période de déclin (1000-1250 apr. J.-C.) est marquée par un recul politique et social.
Ce déclin a commencé à se manifester à l’époque omeyyade et a culminé à l’époque ‘abbasside, marqué par l’affaiblissement de l’autorité centrale, l’émergence de régions séparatistes et les croisades (Gumilar, 2017 ; Yatim, 1997). À l’époque islamique classique, l’historiographie s’est développée selon deux méthodes principales : la riwayah et la dirayah. De plus, trois grandes écoles d’historiographie, l’école yéménite, l’école médinoise et l’école irakienne, ont influencé l’écriture de l’histoire (Fajriudin, 2018).
Méthodologie historiographique à l’époque islamique classique
Méthode riwayah
La méthode riwayah s’attache à retracer les relations et la séquence des événements historiques à partir de textes vérifiés par un processus de filtrage. Cette méthode relie l’historiographie à la science du hadith, notamment par l’approche jarh wa ta’dil. Cette approche évalue l’intégrité, la moralité et les croyances des narrateurs afin de garantir la validité du récit historique. Grâce à ce principe, l’historiographie riwayah distingue les narrateurs fiables des narrateurs peu fiables et détermine la valeur de l’authenticité du récit, qu’il soit authentique (sahih), bon (hassan) ou faible (da’if). Cette méthode est donc essentielle pour révéler avec précision l’essence de l’histoire (Gumilar, 2017).
Méthode Dirayah
La méthode Dirayah est une approche historiographique qui privilégie l’interprétation rationnelle et l’analyse critique des événements historiques. Elle vise à révéler le lien entre les événements, leurs causes et les valeurs à retenir (ibrah).
Ibn Khaldoun est l’un des principaux auteurs de cette méthode. Il considère l’histoire non seulement comme un récit d’événements, mais aussi comme une interprétation approfondie de leurs facteurs. Cette méthode exige une critique intellectuelle du contenu des textes historiques avant qu’ils ne soient acceptés comme valides (Gumilar, 2017 ; Yatim, 1997).
École yéménite
L’école yéménite est la plus ancienne école d’historiographie, développée dans la région sud-arabique. La supériorité de la région yéménite dans la tradition de lecture et d’écriture en a fait le centre initial de l’historiographie, contrairement à l’Arabie du Nord, qui privilégiait encore les traditions orales. L’héritage écrit de cette école comprend des nouvelles concernant le barrage de Ma’arib, le royaume de Saba et la reine Balqis, le royaume d’Himyar et l’attaque de La Mecque par des troupes d’éléphants en 571 apr. J.-C.
Cependant, l’historiographie de la secte yéménite est toujours influencée par les mythes, les légendes et les récits tribaux. Parmi les figures célèbres de cette école figurent Ka’ab al-Ahbar, Wahb ibn Munabbih et Abid Ibn Syariyyah al-Juhrumi (Iryana, 2021).
École de Médine
L’école de Médine est née dans le contexte du développement de la science du hadith à Médine, alors devenue le centre de la civilisation islamique. Elle se caractérise par une approche plus approfondie de l’écriture de l’histoire, utilisant les règles du sanad comme celles du hadith. Les principaux thèmes de l’historiographie de l’école médinoise comprennent la sirah nabawiyah (biographie du Prophète Muhammad ﷺ) et al-maghazi (guerres menées par le Prophète). Parmi les figures importantes de cette école figurent Abdullah ibn Abbas, Syurahbil bin Sa’ad et Urwah bin Zubair (Fajriudin, 2018).
Courant irakien
L’école irakienne, également connue sous le nom d’école persane, s’est développée parallèlement à la propagation de l’islam dans la région persane. Cette école intègre les traditions historiographiques préislamiques avec une approche nouvelle, plus rationnelle. Contrairement à la secte yéménite, le culte irakien a laissé derrière lui l’influence des mythes et des récits imaginaires.
Les auteurs de cette école ont également commencé à abandonner le recours aux hadiths comme source unique, ce qui a permis un renouveau plus systématique de l’historiographie islamique. Parmi les figures célèbres de cette école, on compte Awanah Ibn Al-Hakam, Sayf Ibn Umar al-Asadi et Abu Mikhnaf (Fajriudin, 2018 ; Yatim, 1997).
Muhammad Thoriqul Islam, Maftukhin, Safiruddin Al Baqi, Dwiana Novitasari, M. Ulul Azmi1, Arju Mushaffa1, Ida Nur Oktaviani.