Le New York Times a donné la parole à d’anciens vegans reconvertis dans la boucherie éthique. Un témoignage passionnant sur la divergence et la continuité éthique d’un parcours. Focus.
À la boucherie Western Daughters à Denver, Kate Kavanaugh découpe une pièce de bœuf en expliquant que le dessus de palette est l’un des morceaux les plus tendres et persillés. Ancienne végétalienne pendant plus de dix ans par respect pour les animaux et l’environnement, elle est devenue bouchère pour les mêmes raisons. Comme elle, d’autres végans et végétariens se sont reconvertis dans la boucherie, espérant transformer l’industrie agroalimentaire. Ces « boucheries éthiques », bien que rares, rencontrent un succès croissant aux États-Unis.
Les « boucheries éthiques » visent à offrir de la viande provenant d’animaux élevés en plein air, nourris à l’herbe, en respectant l’environnement et le bien-être animal. Elles cherchent également à minimiser le gaspillage en utilisant toutes les parties de l’animal. Ces pratiques s’opposent à celles de l’élevage intensif, critiqué pour son gaspillage, l’utilisation abusive d’antibiotiques et les conditions d’élevage. Bien que certains producteurs affirment changer leurs méthodes, les « bouchers éthiques » estiment que ces changements sont trop lents et que les pratiques de l’industrie restent opaques.
Un mouvement qui remonte à quinze ans
Kate Kavanaugh ambitionne de « révolutionner le secteur de l’agroalimentaire » tout en cuisinant un bifteck dans sa poêle en fonte. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, elle préfère la viande cuite à point, comme beaucoup de ses anciens clients végétariens. Le bifteck, bien grillé à l’extérieur et tendre à l’intérieur, s’est révélé être l’un des meilleurs jamais dégustés par l’auteur, malgré sa préférence pour la viande saignante. Il avait un goût puissant et minéral, contrastant fortement avec la fadeur de la viande de bœuf nourri aux céréales.
Le mouvement pour une production de viande plus éthique a pris de l’ampleur il y a environ 15 ans, après un article de Michael Pollan dans le New York Times Magazine en 2002 sur l’élevage industriel. Son livre Le Dilemme de l’omnivore (2006) explore la question de tuer un animal pour se nourrir. Pollan, qui mange toujours de la viande, a décidé de tuer lui-même un poulet, puis un sanglier, pour assumer ce choix. Son raisonnement a touché de nombreuses personnes, y compris des végans et végétariens souhaitant réformer l’industrie agroalimentaire.
Janice Schindler, ancienne végane pendant cinq ans et désormais à la tête de la boucherie The Meat Hook à Brooklyn, a changé de perspective après avoir tué une dinde lors d’un atelier pour Thanksgiving. Cette expérience l’a poussée à se former comme bouchère. Son parcours, du véganisme à la boucherie éthique, reflète celui d’autres bouchers. Sa première prise de conscience a eu lieu au lycée, où elle est devenue végane. Plus tard, à l’université, elle a découvert les impacts écologiques des monocultures de soja et de maïs, ce qui l’a amenée à réintroduire la viande dans son alimentation.
Un élevage bovin coûteux
Le système qui a convaincu Kate Kavanaugh et de nombreux autres bouchers éthiques repose sur une agriculture durable, favorisant les pâturages où le bétail joue un rôle central. Le fumier des animaux sert d’engrais naturel pour les herbes et contribue à la diversification de la flore. De plus, les sabots des bêtes labourent doucement le sol, facilitant l’infiltration de l’eau de pluie jusqu’aux racines des plantes.
Selon les partisans de cet élevage extensif, il est possible de régénérer de vastes pâturages, qui capturent plus de carbone qu’ils n’en émettent, contrairement à l’agriculture intensive. Néanmoins, les critiques soulignent que ces affirmations ne sont pas entièrement prouvées et que ce modèle ne produit pas assez de viande pour satisfaire la demande actuelle.
Le problème avec l’élevage des bovins en pâturages est qu’il est beaucoup plus coûteux, ce qui se reflète dans les prix à la caisse. Par exemple, chez Kate Kavanaugh, une bavette d’aloyau coûte 21 $ la livre (46,30 €/kg), contre 8,99 $ la livre (19,82 €/kg) dans le supermarché voisin. Joshua Applestone, issu d’une famille de bouchers depuis quatre générations et premier végétarien de la famille, a ouvert en 2004 sa boucherie bio, Fleisher’s Grass-Fed & Organic Meats, à Kingston, dans l’État de New York. C’était l’une des premières boucheries éthiques du pays. Son objectif est de démocratiser la viande bio.
“Au début, les gens étaient surpris par les prix. […] Mais nous portons une attention toute particulière à la qualité de nos bêtes, à leur alimentation, à leur bien-être, à leurs conditions de transport, d’abattage et de découpe… Tout cela se paie. Les gens l’ont compris, et les ventes ont décollé.”
Des prix plus abordables
Depuis, Joshua Applestone a vendu son commerce initial et a ouvert l’Applestone Meat Company, une chaîne de boucheries ouvertes 24h/24 à Stone Ridge et à Hudson, dans l’État de New York. Il y a installé des distributeurs automatiques réfrigérés pour réduire les coûts et démocratiser les produits. Anya Fernald, cofondatrice de Belcampo Meat Company, a abandonné son régime végétarien après des années de lycée et d’université passées à manger des yaourts aux fruits, des hamburgers sans viande, des pizzas et des pâtes au fromage et aux légumes surgelés. Elle a changé de régime après avoir travaillé quelques années dans une ferme en Europe.
“Mes clients mangent en moyenne moins de viande que le reste de la population, et je m’assure d’avoir constamment en stock des morceaux plus abordables. J’ai toujours quelque chose à moins de 10 $ la livre.”
“Dès que je me suis remise à manger de la viande, ma santé s’est améliorée. Je réfléchissais mieux, j’ai perdu du poids, mon acné a disparu, et mes cheveux ont retrouvé une nouvelle vigueur. Je me suis sentie libérée.”
Toute la viande de l’alimentation d’Anya Fernald provenait des fermes où elle travaillait, où les bêtes étaient en bonne santé et nourries à l’herbe. Il est prouvé que la viande de bovins de pâturage est meilleure pour la santé que celle des animaux nourris au maïs et au soja, car elle contient plus d’acides gras oméga-3, d’acides linoléiques conjugués, de bêtacarotènes et d’autres nutriments. Les bêtes sont généralement moins malades et nécessitent donc moins d’antibiotiques. De plus, la viande des bovins nourris à l’herbe est réputée pour être délicieuse, comme l’a constaté l’auteur chez Kate Kavanaugh à Denver.
Le sens d’un engagement
Lorsque Joshua Applestone a recommencé à manger de la viande, son premier sandwich au bacon bio lui a laissé un souvenir inoubliable. « Je n’avais jamais rien mangé d’aussi bon », se rappelle-t-il. Lauren Garaventa, copropriétaire de la boucherie-restaurant Ruby Brink sur l’île Vashon, dans l’État de Washington, a également été végétarienne et militante pour les droits des animaux.
“Après être devenue bouchère, je me suis fait violemment insulter sur Internet, raconte-t-elle. Ce que nous devons combattre, plutôt que nous monter les uns contre les autres, ce sont les élevages intensifs et les producteurs qui traitent les animaux comme des marchandises.”
Anya Fernald espère pour sa part contribuer à faire changer le système.“J’ai d’abord agi dans la mesure de mes moyens, en arrêtant la viande. Aujourd’hui, c’est avec mon entreprise que je me bats. Je veux changer le système. Et ces deux étapes de ma vie n’ont à mon avis rien d’incompatible.”