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samedi 27 avril 2024

Muhammad Hamidullah : la contribution des musulmans méditerranéens à l’histoire 2/2

2e partie de l’article du savant indien Muhammad Hamidullah, extrait de la Revue de l’occident musulman et la méditerranée, consacré à la contribution des musulmans méditerranéens au développement de l’histoire. A lire sur Mizane.info.

Chaque peuple a son ère et, chez d’aucuns, chaque souverain a la sienne. Les Arabes pré-islamiques, les Mecquois surtout, avaient eu un calendrier luni-solaire, où l’année lunaire connaissait l’intercalation périodique pour égaler l’année solaire. Les mois et le jour de l’an étaient les mêmes partout, comme il paraît, mais pas le début de l’ère : on dirait qu’il y avait autant d’ères que de tribus, et pire encore. La même tribu changeait, de temps à autre, l’événement dont elle datait son ère, si l’événement plus récent était considéré plus important que l’ancien : disette, guerre, mort d’un héros, etc. A la Mecque, on a connu au moins quatre ères différentes pour le comput du temps: et une des dernières était l’Ere de l’Eléphant, en souvenir de l’invasion abyssine, où il y avait un éléphant, contre la Mecque, en date de 569 de l’ère chrétienne. Ce fut aussi, traditionnellement, l’année de la naissance du Prophète. Mais, immigrés à Médine, les musulmans commencèrent à dater l’émigration, c’est-à-dire l’Hégire.

En l’année 10 H., le Coran réformera le calendrier, en abrogeant l’intercalation et en instaurant une année purement lunaire, qui est plus courte de 12 jours environ, par rapport à l’année solaire. Le Prophète sépara la perception des impôts agricoles des autres devoirs périodiques. (Et c’est en l’an 16 de l’Hégire que le gouvernement islamique adopta cette ère officiellement, et elle continue toujours).

Ce fut une réforme, il n’y a pas de doute. On ne signalera ici que deux de ses avantages.

1. En 33 ans solaires, le ministre des finances encaisse 34 impôts annuels, sans que personne s’en aperçoive. Certes on payait aussi les salaires pour 34 ans, mais tous les revenus de l’Etat ne sont pas engloutis par les salaires de ses employés. Comme les impôts fonciers étaient séparés des autres impôts on les percevait lors des récoltes et non dans un mois fixe de l’année- cette méthode avait l’avantage additionnel suivant: les trésors publics sont normalement à court d’argent vers la fin de l’année fiscale. Mais le trésor public musulman était alimenté par des recettes à des époques différentes : l’impôt commercial et l’impôt sur les épargnes par exemple selon l’année lunaire, et l’impôt agricole selon l’année solaire.

2. Comme il n’y a pas de séparation entre la mosquée et la citadelle (l’Eglise et l’Etat, si l’on veut), l’année lunaire était plus favorable à la pratique du culte : prières, jeûnes, pèlerinages, etc. Le soldat musulman s’habituait à la privation de manger-boire, tour à tour, dans toutes les différentes saisons de l’année, parce que le mois de jeune, Ramadan, tombait tour à tour dans chacune d’elle.

Différentes branches d’histoire

La vie et l’œuvre du fondateur d’une religion est et doit être la chose la plus importante pour les fidèles de cette religion. Les musulmans ne font pas exception. Mais ce qu’ils ont fait en sus de ce qu’ont fait les autres c’est qu’ils ont conservé non seulement le Livre que le fondateur leur a laissé, en tant que base et résumé de ses enseignements, à savoir le Coran, parole de Dieu, révélée à Son messager Muhammad- mais aussi le H’adith, appelé également Sunnah.

Ces synonymes signifient le recueil des récits mentionnant ce que le Prophète a dit, ou fait, ou toléré chez ses fidèles au moyen d’approbation tacite. Cette littérature est distincte du Coran; et elle le complète. Si le Coran se tait sur un point, on se réfère au Hadith; si le Hadith n’en parle pas non plus, on déduit la loi par raisonnement analogique, etc. Le Prophète s’est lui-même occupé de la codification du Coran (voir l’introduction de ma traduction française du Coran) – mais non de la description de son propre comportement: ce sont ses disciples qui en ont pris l’initiative, et un nombre considérable d’entre eux ont laissé leurs mémoires.

Muhammad Hamidullah.

Une demi-dizaine semble avoir commencé à noter quotidiennement le Hadith, du vivant même du Prophète; et ceux qui ont pensé à la codification de leurs connaissances par écrit, après la mort du Prophète, sont beaucoup plus nombreux: on en a trouvé l’indication d’au moins une cinquantaine. Et ceux qui ont fourni des renseignements par voie orale dépassent tout dénombrement. Un spécialiste de l’époque classique affirme: les Compagnons qui ont laissé chacun au moins un récit sur le Prophète sont plus de cent mille. (Voir pour ces détails, l’introduction de mon ouvrage anglais « Sahifah Hamman ibn Munabbih. together with an Introduction to the History of the Early Compilation of the Hadith »).

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Si le nombre des narrateurs dépasse cent mille, le nombre des convertis à l’époque du Prophète doit être d’au moins un million, dont cent quarante mille étaient présents à la Mecque lors du dernier pèlerinage du Prophète. Cette littérature du Hadith est la matière première de l’histoire de l’époque du Prophète. Le titre de l’ouvrage d’al-Bukhari, dont on a parlé plus haut, est significatif, à ce propos. Il faut distinguer le Hadith de la sirah ou ouvrages de biographie à proprement parler du Prophète de l’Islam, dont les plus anciens datent de l’époque des Compagnons du Prophète.

Quinze ans seulement après la mort de Muhammad, les musulmans régnaient sur trois continents, Europe, Asie, Afrique. Les récits de ces conquêtes-éclair et des événements non militaires ne manquaient pas, et nous avons déjà signalé que l’universalité et la continuité les caractérisent. Mais en sus de ces histoires générales, il y a d’autres genres de productions assez particulières. Il y a des livres de généalogies. Les Arabes s’y intéressaient depuis toujours, et chaque individu connaissait par cœur les noms de ses ancêtres de dix à vingt générations.

Le Prophète avait recommandé d’enseigner aux enfants leurs généalogies Le calife Umar eut besoin de les codifier, pour la distribution des pension de son Diwan. Beaucoup d’auteurs s’y sont intéressés de bonne heure. La parenté explique souvent la raison cachée du comportement des personnage politiques ou autres, et l’on peut dire que ce genre de littérature est unique chez les musulmans, surtout d’origine arabe.

Il y a des histoires des villes, comme de la Mecque, Médine, Damas, Bagdad, Basrah, Kufa, Nisäbür, Haleb, Safad et d’innombrables autres villes. Il y a des dizaines d’ouvrages sur une même ville. On donne d’abord l’histoire de la fondation de la ville et de son passé, puis il y a les biographies des célébrités de cette ville. Signalons ici seulement le Ta’rikh Dimachq (histoire de Damas) par Ibn ‘Asakir de plus de vingt volumes, et qui attend toujours son édition complète.

Les biographies constituent une autre branche importante. Parfois c’est la biographie d’un individu, et parfois les dictionnaires biographiques de différents genres : dictionnaires des célébrités en général (alphabétiques ou selon les années de leur mort), ceux des célébrités d’une profession, d’une ville, d’une époque, etc, évidemment avec des suppléments au cours des siècles.

Les récits de voyages sont aussi très anciens, surtout pour le pèlerinage de la Mecque; on en attribue un à l’imam ach-Chafi’i, aussi. Les plus connus proviennent du Maghrib, par Ibn Jubair et Ibn Battutah dont on dispose même des traductions françaises. Les encyclopédies ne sont pas moins importantes dans le domaine historique.

Des ouvrages d’al-Mas’udi et d’Ibn Fadlallah al-‘Umari, par exemple, nous savons maintenant quelles furent les tentatives successives faites par les musulmans de Lisbonne etc. pour découvrir l’autre bord de l’Atlantique, et l’occupation effective du Brésil par les Musulmans de l’Afrique occidentale, Berbères brazils (c.-à-d. de la tribu de Birzálah) et Sénégalais surtout. (cf. mon article « les Musulmans en Amérique d’avant Christophe Colomb », dans France-Islam, Paris, 1968, Nº 11-14).

La géographie a fasciné les Musulmans de très bonne heure, car il fallait aller à la Mecque, en pèlerinage, à partir de tous les points de la terre, et les musulmans se trouvaient, déjà du temps du calife ‘Uthman, dans les trois continents du vieux-monde, depuis la Chine jusqu’au Maroc et l’Andalousie.

Il est intéressant de signaler que, selon les géographies musulmanes les plus anciennes qui nous soient parvenues, « il y a unanimité à reconnaître que la terre est sphérique, se trouvant dans l’espace comme le jaune de l’œuf dans la coquille. » On a déjà publié la mappemonde, remarquablement correcte, d’al-Idrisi de Sicile, mais, hélas, pas encore en totalité sa géographie.

Philosophie de l’histoire

Nous nous bornerons à la mention de deux auteurs espagnols, Sa’id al-Andalus (m. 1070) et Ibn Khaldun (m. 1406). Dans son Tabaqir al-uman, Sa’id étudie les raisons du progrès et de la chute des peuples. Ses remarques sur les habitants de la Scandinavie ont amusé notre contemporain Philippe K. Hitti des Etats-Unis (cf. son History of the Arabs, p. 526-527) : « Puisque le soleil ne jette pas ses rayons directement sur leurs têtes, le climat de leur pays reste froid, et l’atmosphère, nuageuse. Par conséquent, leurs comportements sont aussi devenus froids, leur humeur, rude, cependant que leur taille devient élevée, leur complexion (teint), légère (blonde), et leurs cheveux, longs. Il leur manque l’acuité de la compréhension et la pénétration de l’intellect, cependant que la stupidité et la folie prévalent chez eux. » Nous nous excusons auprès de nos lecteur pour cette citation, sur les notions des anciens.

Le nom d’Ibn Khaldun n’a aucun besoin d’introduction. Il semble être le premier à inaugurer une nouvelle science, celle de la sociologie. Beaucoup de ses opinions sont encore valables. Comme toute œuvre de pionnier, il n’y a ni maturité, ni absence d’erreurs de jugement, mais cela n’empêche pas qu’il réalise dans les circonstances politiques extrêmement difficiles de son époque, une approche nouvelle de la science historique, inaugurant ainsi les temps modernes que nous vivons. Il ressortira de ces quelques exemples que la contribution des Musulmans méditerranéens, au domaine de l’histoire, n’est pas négligeable.

Muhammad Hamidullah

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