Comment l’homme peut-il articuler une pensée profonde à une pratique spirituelle enracinée ? Hamdi Ben Aïssa, pour qui la pensée ne doit chercher « ni à apaiser, ni à distraire », nous offre sa réponse sur Mizane.info.
Ma pensée est de nature abyssale.
Elle ne flotte pas à la surface des choses. Elle plonge. Elle descend, sans fin, là où les vérités faciles s’effondrent et où ne demeure que l’incessant appel du sens. Elle ne cesse de poser des questions — non par jeu, ni par goût de la provocation, mais parce qu’elle sait que toute réponse, si elle est figée, devient prison.
Ma pensée va à l’extrême. Elle s’y aventure sans peur, car c’est là, au bord du vertige, que s’ouvrent parfois les révélations les plus profondes. Et pourtant, jamais elle n’est satisfaite. Jamais rassurée. Car elle sait que le confort est l’ennemi de l’éveil, et que la quête véritable n’a pas de fin.
Elle s’interroge sur des notions devenues, pour la majorité, des valeurs sûres, des vérités installées, non négociables. Mais elle ne s’incline pas devant ce qui est communément admis. Elle n’hésite pas à mettre en doute ces valeurs, à les soumettre au feu intérieur du discernement, à écouter si elles vibrent encore du vivant — ou si elles ne sont plus que coquilles vides.
Ma pensée n’est pas le produit d’une conscience apaisante. Elle ne cherche ni à rassurer, ni à distraire, ni à plaire. Elle ne veut pas provoquer le plaisir, ni offrir la distraction. Ce qu’elle veut, c’est provoquer la réflexion. La vraie. Celle qui dérange, qui déplace, qui dénude. Celle qui ne fait pas l’unanimité, mais qui fait naître une lumière.

Il existe en elle un levain de révolte. Une révolte ancienne et nouvelle, enracinée dans une écoute aiguë du monde, mais habitée par une promesse. Ce n’est pas une révolte contre les hommes — c’est une révolte contre l’oubli de l’homme. Une révolte née d’un nouvel état de conscience. Une conscience qui s’est élargie, affinée, transfigurée par le silence, la douleur, l’amour.
Une conscience spirituelle universelle.
Une conscience qui ne se réclame d’aucune bannière, mais qui parle depuis ce lieu nu et essentiel où toute humanité se retrouve. Une conscience qui souhaite le bien de l’humanité — non pas comme une idée abstraite, mais comme une orientation vitale. Une conscience qui désire ardemment collaborer à la naissance d’une aurore nouvelle.
Et cette aurore, je ne l’attends pas comme un miracle.
Je l’invoque. Je la prépare.
Ma pensée en est déjà l’ébauche.
Le soulèvement intérieur
L’essentiel se joue dans un choix radical : celui de la vérité ou celui de l’existence — ou mieux dit encore, de la survie. Car il arrive que certains hommes préfèrent l’erreur — non par ignorance, mais parce qu’ils ne peuvent renier les idées qui leur donnent encore la force de se tenir debout. Ces croyances, si fragiles soient-elles, soutiennent leur monde intérieur ; les abandonner reviendrait à s’effondrer.
D’autres, mus par une fidélité profonde à la vérité, acceptent de traverser les contradictions. Ils ne les fuient pas, ne les nient pas : ils les embrassent avec lucidité, pleinement conscients des tensions qui les traversent et des secousses qu’elles provoquent. Ces hommes-là refusent de se soumettre aux fatalités imposées. Ils veulent rompre les chaînes de l’esclavage, et c’est avec confiance qu’ils tournent leur regard vers un avenir où la liberté ne sera plus une promesse lointaine, mais une réalité vécue.
Cependant, cette liberté, ils ne la réclament ni dans la violence ni dans la haine. Ils ne souhaitent pas qu’elle s’arrache au prix du sang. Enfants de la Paix, leur révolution est d’un tout autre ordre : une révolution intérieure, silencieuse, mais implacable. Une révolution spirituelle née de l’amour, portée par une conscience éveillée.
Mais un tel soulèvement intérieur suppose une maturité, une clarté de conscience que peu d’hommes ont encore atteinte. Car aimer avec lucidité, se libérer sans haïr, et œuvrer pour la paix sans renoncer à la vérité — voilà l’exigence des âmes véritablement libres.
Hamdi Ben Aïsssa
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