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En Inde, le Ramadan est devenu « une période de peur » pour les musulmans

La période du mois de Ramadan est censé être un moment d’apaisement pour les musulmans du monde entier. Mais en Inde, la réalité est toute autre. La violence incessante contre les musulmans est banalisée et couverte par le pouvoir en place. En Inde, « notre existence est traitée comme un crime » témoigne, sur Middle East Eye, la chercheuse indienne, Nabiya Khan.

En bruit de fond des attaques incessantes des nationalistes hindous contre les musulmans, un message clair : « restez silencieux et invisibles, ou soyez punis ». Dans plusieurs endroits du pays, un musulman est arrêté, battu ou tué. La porte d’une mosquée est enfoncée. Une maison est rasée au bulldozer.

Autre part, une actualité fera état de musulmans forcés de scander des slogans nationalistes hindous, ou d’un politicien du parti au pouvoir Bharatiya Janata Party (BJP) faisant des remarques islamophobes contre les musulmans, ou encore d’une attaque coordonnée contre rassemblement pour l’iftar.

L’activiste et poétesse Nabiya Khan

« Restez invisibles, ou soyez punis »

En Inde, notre existence est traitée comme un crime. Il fut un temps où ces incidents étaient choquants, suscitant l’indignation, des débats, ou du moins une certaine réaction de la part de la société civile. Aujourd’hui, ils sont à peine perceptibles. La violence est si courante, si attendue, qu’elle est devenue un bruit de fond, une réalité. Elle s’accompagne d’un avertissement clair : « taisez-vous, restez invisibles, ou soyez punis ».

Cette année, le Ramadan a coïncidé avec la fête hindoue de Holi. Dans plusieurs villes, des groupes nationalistes hindous ont utilisé les processions de Holi comme prétexte pour harceler les musulmans. On a déjà observé ce phénomène : ce qui débute comme une « célébration » se transforme rapidement en violence collective coordonnée.

Dans la ville de Nagpur, au Maharashtra, ce mois-ci, les demandes des nationalistes hindous de démolir le tombeau d’un dirigeant moghol ont déclenché des violences, faisant des dizaines de blessés, dont des policiers.  Finalement, plus de 50 personnes ont été arrêtées, toutes musulmanes – une sanction déguisée en mesures gouvernementales. Les incitateurs à la violence ont échappé à toute sanction. C’est ainsi que tout fonctionne aujourd’hui : la violence éclate et les victimes sont criminalisées.

Poudre colorée lancée sur des musulmanes

Effacer les musulmans de la vie publique

Pendant la fête hindoue de Holi, des vidéos ont fait surface montrant des foules lançant de la poudre colorée sur des mosquées et scandant des slogans islamophobes. Dans la ville d’Aligarh, les autorités ont recouvert les mosquées de bâches – une sorte d’ordre de confinement imposé par l’État.

Le même phénomène s’est produit dans d’autres régions de l’Uttar Pradesh, comme si l’existence d’espaces communautaires musulmans était une invitation ouverte aux attaques. À Sambhal, la police a été encore plus claire : si les musulmans ne voulaient pas être enduits de poudre colorée, comme le veut la tradition de Holi, ils devaient simplement rester chez eux.

Le ministre en chef de l’Uttar Pradesh a d’ailleurs défendu cette déclaration. Le message est donc clair : « restez chez vous. Soyez invisibles. Faites-vous plus petits. N’existez pas ». Mais même l’invisibilité ne suffit pas : un musulman a été arrêté au début du mois simplement pour avoir parlé aux médias d’une agression survenue après les prières de Tarawih au Gujarat.

Mosquée transformée en Temple

C’est la règle désormais en Inde : les musulmans doivent endurer, mais ne jamais protester ; souffrir, mais ne jamais se plaindre. Il ne s’agit pas d’incidents isolés. Les dirigeants du BJP se moquent ouvertement des musulmans et les humilient en toute impunité. La moquerie est intentionnelle, la déshumanisation délibérée. Il ne s’agit pas seulement de tensions religieuses ; il s’agit de pouvoir, de contrôle et d’une tentative acharnée d’effacer les musulmans de la vie publique.

Le ramadan, un acte de résistance silencieuse

Que ce soit à Sambhal, à Nagpur ou ailleurs, le schéma est toujours le même. Lorsque la violence éclate, la responsabilité est imputée aux victimes. Lorsque les musulmans protestent, ils sont punis. Leur silence est interprété comme un consentement. Et quand ils meurent ? Le monde hausse les épaules et défile. Pendant ce temps, les détenteurs du pouvoir continuent d’attiser les flammes de l’islamophobie, affirmant clairement qu’il n’y aura aucune conséquence pour ceux qui harcèlent, attaquent ou tuent des musulmans.

Il est devenu épuisant de se réveiller chaque matin dans un pays qui traite votre existence comme une provocation ; de savoir qu’à tout moment, vos lieux de culte peuvent être attaqués, vos commerces fermés, vos prières criminalisées. Même le jeûne du Ramadan est devenu un acte de résistance silencieuse – non pas parce qu’il était prévu, mais parce que l’État l’a rendu ainsi.

Lire sur le sujet : Les musulmans en Inde : chronique dramatique d’une déchéance

La banalisation de tout cela est le pire. La violence ne suscite plus d’indignation, chaque incident se mêlant au suivant. Même l’idée de justice a changé. Il ne s’agit pas seulement du refus de l’État de demander des comptes aux groupes nationalistes hindous. Il s’agit aussi du système qui sanctionne activement ceux qui dénoncent leurs actes. 

Les musulmans souffrent doublement : d’abord aux mains des foules, puis aux mains de la police, des tribunaux et du gouvernement. Lorsqu’un musulman est lynché, la police cible sa famille. Lorsqu’une musulmane s’exprime, elle est harcelée, dénoncée et menacée de viol. C’est notre réalité quotidienne.

Une islamophobie d’état

Des étudiantes musulmanes sont harcelées parce qu’elles portent le hijab ; des vendeurs ambulants musulmans sont battus parce qu’ils vendent leurs marchandises dans un « quartier hindou » ; des musulmans se voient refuser un emploi, un logement ou être expulsés de leur quartier.  Il ne s’agit pas seulement de discours de haine et d’émeutes. Il s’agit de rendre la vie invivable par de petits gestes constants.

C’est une cruauté étouffante, qui s’infiltre dans notre existence, que ce soit pendant le Ramadan ou à tout autre moment de l’année. L’Inde a été conditionnée à considérer la souffrance des musulmans comme normale, attendue, voire méritée. Les médias jouent parfaitement leur rôle, exacerbant les tensions communautaires, diffusant de fausses informations et justifiant chaque acte de violence d’État. 

La justice est désormais au service du pouvoir, et ceux qui sont censés protéger les plus vulnérables tournent le dos, ou pire, rejoignent les oppresseurs. Le public observe, passe à côté et passe à autre chose.

« Nous ne demandons pas la permission d’exister »

Alors nous jeûnons. Nous nous levons avant l’aube et mangeons, sachant que, quelque part, quelqu’un nous en veut d’être encore là. Nous prions, sachant que même le fait de se rassembler dans une mosquée peut désormais être considéré comme un crime.

Nous rompons notre jeûne, sachant qu’à l’extérieur de notre maison, quelqu’un pourrait planifier la prochaine humiliation, la prochaine attaque – la prochaine façon de s’assurer que les musulmans en Inde n’oublient jamais leur place. Mais nous n’oublions pas. Et nous ne disparaissons pas, même s’ils le souhaitent.

Nous ne demandons pas la permission d’exister. Nous n’attendons pas que justice soit rendue. Nous sommes là – jeûnant, priant, vivant. Et cela, en soi, est un acte de défiance.

Nabiya Khan
Chercheuse et poétesse indienne

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