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Des éclairs perçant le dôme de fer : Supersoniques contre hyperpuissance

Suite à la récente « guerre des douze jours » déclenchée par Israël contre Iran entre le 13 et le 25 juin, revenons sur cette séquence qui risque de n’être qu’un premier round d’une guerre beaucoup plus longue – et qui marque déjà un tournant dans l’équilibre régional. La chronique de Razi Shah à lire sur Mizane.info.

Cette opération menée subitement par Israël hors de tout cadre légal et en totale violation du droit international, visait à détruire les sites de programme nucléaire iranien par des bombardements massifs, et parallèlement à décapiter l’ensemble de l’appareil d’État iranien en menant des assassinats ciblés : des hauts responsables politiques aux chefs militaires, en passant par les commandants des Gardiens de la Révolution et plusieurs scientifiques nucléaires de haut niveau, et, selon des sources récentes, jusqu’au Président iranien Massoud Pazeshkian (1) et même le guide suprême Ali Khamenei (2). 

Si l’objectif affiché était de porter un coup fatal à la structure du pouvoir iranien, cette tentative s’est soldée par un échec. L’attaque a néanmoins coûté la vie à un nombre estimé à un millier de personnes, parmi lesquelles figuraient au moins vingt hauts gradés militaires et entre neuf et quatorze scientifiques impliqués dans le programme nucléaire. Il est proposé ici de tirer quelques enseignements de cette affaire. 

Chaos juridique et moral : la mise à sac du droit international 

Le droit international, même en apparence, s’est écroulé sous nos yeux. Lorsque des puissances occidentales, au lieu de condamner et appeler au respect du droit, se précipitent pour soutenir Israël malgré ses violations répétées, on ne peut que constater l’effondrement de tout cadre moral et légal. Au-delà du silence complice, c’est la légitimation de véritables crimes de guerre qui s’est révélée. L’assassinat ciblé de dirigeants politiques, de responsables militaires, ou de scientifiques, en dehors de tout cadre légal, constitue une violation grave du droit international humanitaire.

Lorsqu’en plus, ces assassinats touchent des membres de leurs familles (femmes, enfants, civils, voisins…) il ne s’agit plus seulement d’atteintes au droit, mais d’actes criminels, pouvant être qualifiés de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité dans certains cas. Ces actes sont pourtant défendus, justifiés par des dirigeants occidentaux. Le chancelier allemand a qualifié les bombardements israéliens de « sale boulot », mais nécessaire « pour nous tous ». Une déclaration cynique qui légitime la violence hors-la-loi. Emmanuel Macron, tout en reconnaissant que l’attaque israélienne n’était « pas légale », s’est empressé de la juger « légitime ». 

Un glissement sémantique révélateur, s’accompagnant souvent de déclarations creuses, appelant « à la désescalade » ou au « retour à la table des négociations », alors que l’Iran ne s’est jamais retiré d’aucune table ni instance diplomatique, mais a été directement attaqué par un pays poursuivi pour crimes de guerre. Ces déclarations, loin de rappeler à l’ordre un État devenu littéralement hors-la-loi, participent activement à la destruction du droit, en banalisent le crime, habillant le meurtre politique d’une rhétorique de légitimité, et achèvent de ruiner les institutions internationales censées protéger l’humanité du chaos dans les relations internationales. 

Le comble du cynisme tient dans cette inversion orwellienne : Israël, puissance nucléaire non déclarée, non signataire du TNP et échappant à tout contrôle international, bombarde l’Iran au nom de la lutte contre un prétendu programme nucléaire militaire. Alors que l’Iran est signataire du TNP et ses sites sont régulièrement inspectés par l’AIEA. Ainsi, un État hors-la-loi punit celui qui, du moins formellement, respecte les règles. Pendant ce temps, le Premier ministre israélien et plusieurs de ses ministres sont poursuivis par la CPI pour crimes de guerre, et l’État d’Israël est accusé de génocide devant la CIJ. 

Une « non-victoire » embarrassante 

Sans s’attarder sur les considérations tactiques, soulignons toutefois qu’Israël semble se trouver dans un paradoxe : malgré une offensive marquée par une supériorité aérienne et un lourd bilan humain du côté iranien (militaires, scientifique et de nombreux civiles), l’État hébreu semble incapable de trancher entre joie ou inquiétude. Cette confusion reflète une forme de « désorientation stratégique ». Car comme le disait un diplomate Iranien : « le bilan d’une guerre ne se mesure pas au nombre de morts, encore moins de civils. Tuer massivement ou assassiner des figures ennemies peut satisfaire des logiques de vengeance ou d’intimidation, mais cela n’apporte pas forcément une victoire durable ». 

Côté iranien, malgré une humiliation manifeste d’avoir été attaqué en son cœur, il convient toutefois de noter la portée (symbolique et opérationnelle) de leur riposte quasi instantanée : des salves coordonnées de drones et de missiles frappant des cibles stratégiques sur le sol israélien de façon quotidienne pendant les deux semaines, tout en montant en puissance au fil des jours, avec une précision revendiquée et observée malgré la censure israélienne (bases militaires, centres de commandement, infrastructures scientifiques et économiques) (3).  

Le siège du Mossad visé par un missile iranien

De nombreux analystes reconnaissent aujourd’hui l’ampleur du choc : pour la première fois, Israël a été atteint sur son territoire par un État, et son sentiment d’impunité semble fissuré. Face à cela, Israël a tout fait pour entraîner les États-Unis dans le conflit. Les USA ont fini par bombarder des sites nucléaires iraniens avec ses bombardiers stratégiques, avant d’imposer un cessez-le-feu dès le lendemain. 

Depuis, on nage en plein paradoxe « à la Schrödinger » : on prétend avoir anéanti le programme nucléaire iranien, tout en continuant de l’agiter comme une menace existentielle. Pour Israël, cette séquence marque un tournant psychologique : dans une culture politique arrogante où l’absence de victoire nette est perçue comme défaite, « l’humiliation stratégique » pourrait pousser Tel-Aviv à relancer l’attaque en s’assurant d’être plus décisifs. 

Guerre de l’information : quand les médias occidentaux deviennent des porte-paroles 

À cette guerre militaire s’ajoute la non moins redoutable guerre de l’information. Dès les premières heures de l’offensive israélienne contre l’Iran, les grands médias occidentaux, dans leur immense majorité, se sont comportés comme de simples relais de la parole officielle israélienne. Loin de toute analyse critique, ils ont présenté l’attaque comme le récit d’une « attaque préventive » ou « attaque défensive » (!) menée par un État qui, parallèlement, perpétrait en toute impunité un massacre à Gaza, qualifié de « génocide » par un nombre croissant de juristes, d’ONG et de spécialistes du droit international (4). 

Ainsi, au lieu de nuancer leurs propos en rapportant des faits, la quasi-totalité des rédactions ont suivi à la lettre l’agenda politique de Netanyahu, en passant de Gaza à Téhéran de façon quasi-mécanique. Considérant l’opinion publique comme un troupeau de ruminants, l’emmenant d’un point chaud à un autre sans jamais questionner les bases des agressions. Dès les premières frappes israéliennes sur l’Iran, on a pu assister sur les plateaux tv et les journaux les nombreux reportages, « dossiers spéciaux » et documentaires alarmistes sur « le régime des mollahs », devenu le nouveau mantra médiatique de l’obsession du moment.

Lorsque Trump a publiquement reconnu son soutien à Israël dans cette attaque et évoqué l’envoi possible de ses bombardiers pour frapper les installations nucléaires iraniennes – et les menaces proférées à l’encontre de Khamenei -, l’enthousiasme médiatique était à son comble. Certains éditorialistes voyaient déjà la chute imminente du régime iranien, annonçant avec une joie à peine voilée la mort prochaine du guide suprême Ali Khamenei, dont le « compte à rebours » aurait été enclenché (5). 

L’alignement des médis occidentaux

Mise en scène d’une opposition burlesque 

Les chaînes d’information ont largement mis les projecteurs sur les opposants iraniens exilés, issus de la diaspora monarchiste. Le fils de l’ancien shah, Reza Pahlavi a été propulsé en figure de proue de l’« alternative démocratique », malgré une absence totale de légitimité démocratique, politique ou populaire. Seule qualification sur son CV : être l’héritier d’un roi déchu.  Comme le soulignait très justement l’avocat et fin analyste géopolitique franco-iranien Ardavan Amir-Aslanivi, la voix de l’opposition iranienne ne peut se réduire à celle, surreprésentée dans les médias occidentaux, de certains segments de la diaspora royaliste.

Ces figures, souvent visibles dans les manifestations à l’étranger, brandissant des drapeaux israéliens ou appelant à une alliance avec Tel-Aviv, sont perçues dans le contexte actuel non seulement comme en rupture totale avec la réalité iranienne, mais aussi comme des traîtres à la nation et à la patrie. Leur alignement avec un État accusé de commettre un génocide à Gaza, et leur silence ou leur complicité face aux massacres perpétrés contre les Palestiniens, les discrédite profondément auprès de l’opinion publique iranienne – qu’elle soit restée au pays ou qu’elle vive ailleurs dans le monde. 

Le comble du cynisme a été atteint lorsque certains opposants ont tenté de justifier ces frappes israéliennes en prétendant qu’elles visaient le régime et non le peuple, alors même que le nombre de civils tués par les premières frappes israéliennes était dix fois supérieur à celui des militaires et des officiels. Une telle posture est incompréhensible – voire impardonnable – pour une large majorité du peuple iranien, qui, quelle que soit sa critique du régime, demeure profondément nationaliste et ne tolère pas que l’on appelle une puissance étrangère à bombarder son pays (6). 

L’idée même qu’un futur « gouvernement démocratique et laïque » puisse être mis en place sur les décombres d’un pays bombardé avec le soutien d’un régime génocidaire comme celui d’Israël, à l’initiative d’un prince autoproclamé, relève non seulement de l’absurdité politique, mais témoigne d’une totale ignorance de la psyché iranienne. 

Amnésie historique et méconnaissance de la mentalité iranienne 

Le peuple iranien, fier et conscient de son histoire millénaire, n’a jamais accepté d’être traité comme une nation sous-développée, à la merci des puissances occidentales. Les Iraniens n’ont d’autant moins oublié que ce sont ces mêmes puissances, dont principalement les USA, qui ont renversé le gouvernement démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh en 1953, parce qu’il avait eu le courage de nationaliser le pétrole iranien. Pour mettre à sa place le Shah Pahlavi, imposé par un coup d’État orchestré par la CIA et le MI6.

Un Shah qui au fil des ans deviendra un dictateur brutal, soutenu par l’Occident, dirigeant son pays avec l’aide de son appareil répressif impitoyable, la SAVAK. La révolution iranienne de 1979, loin d’être uniquement islamiste, était une véritable révolution populaire, multicolore, où coexistaient des mouvements marxistes, laïques, religieux et étudiants, unis dans leur rejet du régime autoritaire du Shah.  Comment peut-on ne pas voir que c’est la guerre imposée à l’Iran par l’Irak de Saddam Hussein (avec le soutien des USA, de l’Europe, de l’URSS et des monarchies du Golfe) qui a radicalement modifié le cours de cette révolution (8).

Cette longue guerre meurtrière de neuf ans a contribué à l’ascension des forces religieuses comme rempart contre l’agression extérieure, enfermant progressivement le pays dans une logique défensive, sécuritaire, puis théocratique.  La mentalité iranienne reste inchangée : en cas d’agression extérieure, les Iraniens font bloc dans leur attachement à la nation. C’est aussi méconnaitre la « martyrologie » chiite de certains Iraniens, de « la lutte du Bien contre le Mal ».

Et c’est là que l’ignorance occidentale atteint son comble : ne pas comprendre la résilience de ce peuple, nonobstant les désaccords internes, se retrouve uni avec son pays dès qu’une puissance étrangère tente de l’humilier, de le dominer ou de l’attaquer. Faire preuve d’une telle méconnaissance est non seulement un mépris colonial, mais c’est aussi et surtout commettre une grave erreur d’analyse politique. 

Razi Shah

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  • (7) Jafar Panahi, célèbre cinéaste et dissident iranien, couronné en mai au festival de Cannes pour « Un simple accident », tout en étant un farouche opposant au régime condamne l’attaque de l’État hébreu : « « J’ai explicitement déclaré ma position et je le répète : une attaque contre ma patrie, l’Iran, n’est en aucune façon acceptable. Israël a violé l’Iran et devrait être jugé dans un procès international en tant qu’agresseur de guerre ». 
  • (8) Olivier Roy, « L’échec de l’islam politique » (Seuil, 1992), Chapitre 2 : « La Révolution iranienne ou la dialectique de la dépolitisation ». Roy y explique comment l’islamisme révolutionnaire en Iran aboutit à une dépolitisation : l’idéologie religieuse devient un pouvoir d’État, qui élimine toute opposition. Il écrit notamment que la guerre Iran-Irak « a permis à la République islamique d’éliminer ses opposants, de militariser la société et de transformer l’élan révolutionnaire en appareil de pouvoir religieux ». 

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