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samedi 27 juillet 2024

Claude Dabbak : Khadija bint Khuwaylid, la première musulmane (555-619)

Claude Dabbak : Khadija bint Khuwaylid, la première musulmane (555-619) Mizane.info

Khadija bint Khuwaylid fait partie de ces personnages de l’histoire prophétique dont la connaissance semble aller de soi. Mais au-delà de ce cadre sommaire de la culture commune, que savons nous au juste de Khadija ? Pour le savoir, Mizane.info publie le chapitre « la première musulmane » extrait du livre de Claude Dabbak « Khadija bint Khuwaylid, la première musulmane » (Albouraq).

La première musulmane Les narrations concernant les premiers temps de la révélation s’accordent toutes à indiquer que Khadija a été la première personne à croire en la mission prophétique de Muhammad ﷺ. La lecture des différents textes dont nous disposons sur cette période laisse apparaître un soutien indéfectible, motivé sans aucun doute par une profonde confiance en lui.

Les textes nous relatent que c’est à elle qu’il s’est immédiatement confié lorsque, lors de sa retraite spiri tuelle dans la grotte de Hirâ’, l’ange Gabriel lui est apparu et il a reçu la première révélation coranique : « Lis au nom de ton Seigneur qui a créé, créé l’être humain d’une adhérence. Lis, et ton Seigneur est le Très Généreux qui a enseigné par le calame, enseigné à l’être humain ce qu’il ne savait point. »42 Dans la narration par Ibn Ishâq de cet événement, telle que rap portée par Ibn Hishâm, le Prophète ﷺ, effrayé, retourne se réfugier auprès de sa femme et s’assied à côté d’elle.

Elle commence par lui dire : « Abû al-Qâsim, où étais-tu ? Je t’ai envoyé chercher… » – comme toute épouse aimante, elle s’était inquiétée de son absence prolongée, c’est pourquoi elle avait envoyé des serviteurs à sa recherche. Puis lorsqu’il lui relate ce qui lui est arrivé, son soutien est immédiat : « Réjouis-toi, cousin et rassure-toi. Par Celui qui tient en Sa main l’âme de Khadija, j’ai l’espoir que tu sois le prophète de cette nation43. »

À la suite de cela, toujours dans la sîra, nous la voyons aller demander conseil à une personne mieux informée qu’elle : son cousin, le hanîf, converti au christianisme, Waraqa ibn Nawfal ibn Asad : « Ensuite, elle se leva et se couvrit de ses vêtements, puis elle se rendit chez Waraqa ibn Nawfal ibn Asad ibn ‘Abd al-‘Uzzâ ibn Qusayy, qui était son cousin. Waraqa était devenu chrétien et lisait les Écritures. Il avait étudié auprès des gens de la Torah et de l’Évangile. Elle lui rapporta ce que le Messager de Dieu ﷺ lui avait rapporté avoir vu et entendu. Waraqa s’exclama : “Sainteté, sainteté ! Par Celui qui tient en Sa main l’âme de Waraqa, il a vu le Confident suprême qui apparaissait à Moïse.

Il est le prophète de cette nation. Dis-lui de rester ferme.” Khadija retourna auprès du Prophète ﷺ et lui relata ce qu’avait dit Waraqa ibn Nawfal44. » Confrontée à une situation inconnue, mais où elle pensait bien reconnaître une révélation divine, nous la voyons donc ici prendre l’initiative d’aller chercher confirmation auprès de celui qui lui paraissait le mieux qualifié pour expliquer ce qui se passait, un érudit dans les saintes Écritures. Elle avait compris immédiatement que la mission prophétique de son époux se situait dans le prolongement des révélations antérieures et à travers cette démarche, elle a pu le rassurer sur ce point.

On reconnaît là une femme déterminée et pleine de ressources, qui loin de se laisser perturber par ces événements inédits, est capable de réfléchir et d’aller cher cher des réponses là où elle sait pouvoir les trouver. L’épisode fait l’objet d’un long hadith authentique rap porté par al-Bukhârî d’après ‘Aïsha. Il est relaté sous une forme un peu différente de la version de la sîra (peut-être d’ailleurs les différents faits relatés se sont-ils tous produits à différents moments) mais là encore, Khadija joue un rôle central, conseillant, rassurant son époux, faisant face à l’épreuve à ses côtés : «

Le Prophète ﷺ revint chez lui avec ces versets, le cœur palpitant. Il entra auprès de Khadija bint Khuwaylid et s’exclama : “Enveloppez-moi, enveloppez-moi !” On l’enveloppa jusqu’à ce que son effroi se dissipe. Il annonça alors la nouvelle à Khadija, lui disant : “J’ai craint pour moi-même.” Khadija répondit : “Non, par Dieu, jamais Dieu ne te plongera dans l’opprobre ; tu préserves les liens de parenté, tu soutiens les faibles, tu donnes aux pauvres, tu héberges les hôtes et tu aides à affronter les vicissitudes de la vie” ».– On remarque ici la confiance totale accordée par Khadija à son époux. N’oublions pas qu’ils étaient déjà mariés depuis quinze ans à l’époque : étant la personne la plus proche de lui, elle avait certainement eu de nombreuses occasions, au quotidien, de faire l’expérience de toutes ses qualités.

Elle avait donc la conviction, non seulement qu’il ne pouvait pas mentir, mais encore qu’il ne pouvait pas être possédé par un démon ou un djinn, car Dieu n’aurait pas permis cela. Ces propos jettent également un éclairage intéressant sur l’état d’esprit de Khadija, laissant deviner une rectitude morale et une connaissance intuitive de Dieu qui la rendraient apte à accepter sans hésiter la révélation divine. « Khadija l’emmena alors chez Waraqa ibn Nawfal ibn Asad ibn ‘Abd al-‘Uzzâ, un cousin à elle. C’était un homme qui avait embrassé le christianisme à l’époque préislamique. Il savait écrire l’écriture hébraïque et écrivait en hébreu ce que Dieu avait voulu qu’il écrive de la Bible. C’était un vieillard âgé, devenu aveugle. Khadija lui dit : “Mon cousin, écoute le fils de ton frère.”

Waraqa lui demanda : “Qu’as-tu, fils de mon frère ?” Le Prophète ﷺ lui relata ce qu’il avait vu. Waraqa lui dit alors : “Cet ange est le Confident que Dieu a envoyé à Moïse. Ah, si j’étais jeune, si j’étais encore en vie quand ton peuple te chassera !” Le Prophète ﷺ demanda : “Mon peuple va-t-il donc me chasser ?” Il lui répondit : “Oui, jamais un homme n’a apporté ce que tu apportes sans être persécuté. Si je vis encore à ce moment-là, je t’aiderai de toutes mes forces”45 ».

Dans son Encyclopédie de la femme en islam, ‘Abd al-Halîm Aboû Chouqqa attire l’attention sur « l’attitude perspicace et intelligente de Khadija » dans ces circonstances : « Nous voyons comment Khadija, la Mère des Croyants, a raffermi le cœur du Prophète ﷺ par des paroles montrant son intel ligence et comment elle conclut à la véracité de sa vision en s’appuyant sur les circonstances, des paroles empreintes d’affection et de respect. Puis elle s’efforce de s’enquérir de la nouvelle religion auprès d’un homme âgé digne de foi, et est ensuite la première à croire au Dieu seul et unique46. »

Il est intéressant de constater que dans cette société polythéiste, son cousin érudit dans les Écritures saintes constituait une référence pour Khadija. Cela conduit Asma Lamrabet à s’interroger sur la possible « affinité spirituelle » entre Khadija et son cousin : « On peut ici se demander, même si aucune tradition n’en parle, Khadija aurait-elle été réceptive au message du Prophète du fait qu’elle a peut-être été préalablement sensibilisée au message du christianisme tel qu’il était prôné par son érudit de cousin ? » Elle ajoute : « Les premières paroles révélées à Muhammad ne lui étaient pas étrangères. Elles lui ont rappelé le message spirituel du monothéisme.

Le premier réflexe fut d’aller voir le plus érudit des chrétiens de l’époque et de lui confier ses pressentiments à l’égard de ces paroles révélées 47. » Il est clair que Khadija manifestait, à tout le C’est précisément pour cette raison que son moins, une prédisposition à croire au mes sage prophétique. Abû al-Hasan ‘Alî an-Nadwî décrit ainsi son état d’esprit : « Elle était intelligente et vertueuse. Elle avait entendu parler de la prophétie, des prophètes et des anges et elle rendait visite à son cousin Waraqa ibn Nawfal, qui était devenu chrétien, lisait les écritures et avait écouté les détenteurs de la Torah et de l’Évangile.

Elle réprouvait dans le comportement des Mecquois ce que réprouvent les êtres dotés d’une nature saine et d’un esprit droit48. » Cette femme naturellement vertueuse allait non seule ment croire en la mission de son époux, mais l’accompa gner sur cette voie nouvelle. Tout au long des narrations concernant les événements de cette période, Khadija appa raît comme le soutien de tous les instants, qui apporte à son époux le réconfort et la confiance dont il a tant besoin dans ces circonstances troublantes.

Elle lui rappelle également, dans le hadith précité, les qualités qui le rendent digne de sa mission, montrant ainsi toute l’estime qu’elle a pour lui. Les diverses narrations évoquant les réactions de Khadija, lors des premières révélations, dessinent l’image d’une femme intelligente et réfléchie ; une femme qui essaie de comprendre ce qui est en train d’arriver à son époux et qui fait preuve d’un esprit d’analyse pour aboutir à des conclusions logiques.

Ainsi, lorsque le Prophète ﷺ a fait part à son épouse de son trouble face aux apparitions de l’ange Gabriel, Ibn Ishâq rapporte l’épisode suivant : « Khadija, cherchant à raffermir ses pas dans la mission dont Dieu l’avait honoré, dit à l’Envoyé de Dieu ﷺ : “Cousin, lorsque viendra ce compagnon qui t’apparaît, pourras-tu m’en informer ? – Oui.”, dit-il. Elle lui dit : “Lorsqu’il viendra, dis-le-moi !”

Un jour, comme il était auprès d’elle, Gabriel lui apparut. Lorsqu’il le vit, le Prophète ﷺ dit : “Khadija, voici Gabriel qui est venu.” Elle demanda : “Le vois-tu mainte nant ?” Il répondit : “Oui.” Elle lui dit alors : “Viens t’as seoir à ma gauche !” Il s’y assit. “Le vois-tu maintenant ?” demanda-t-elle. “Oui”, répondit-il. Elle dit : “Viens t’as seoir à ma droite !” Il changea de place et s’y assit. Elle lui demanda : “Le vois-tu maintenant ?” et il répondit : “Oui.” Elle lui dit alors : “Déplace-toi et viens t’asseoir sur mes genoux.” Le Prophète ﷺ changea encore de place et s’assit sur ses genoux. “Le vois-tu maintenant ?”, demanda-t-elle, et il répondit que oui.

Puis elle se découvrit en ôtant son voile tandis que le Prophète ﷺ était assis sur ses genoux. Elle lui demanda alors : “Le vois-tu maintenant ?” Il répondit : “Non.” Elle lui dit : “Ce n’est pas le démon, c’est bien l’ange, cousin. Sois ferme et réjouis-toi !” Elle crut alors en lui et témoigna que ce qu’il apportait était la vérité 49. »

On voit comment, selon cette narration, Khadija n’a aucunement mis en doute la parole de son époux malgré tout ce que la situation avait d’extraordinaire. Au contraire, elle a cherché la manière de tirer les faits au clair et en même temps de le rassurer et de l’encourager dans la voie nouvelle qui s’ouvrait à lui.

Alors que le Prophète ﷺ craignait d’être victime du démon, elle a trouvé un moyen de lui prouver que ce n’était pas le cas : un démon serait resté lorsque les époux étaient dans une attitude intime, l’ange était parti. En l’accompagnant de cette façon et en l’aidant à surmonter les doutes et interrogations dont il ne pouvait manquer d’être assailli, cette femme pleine de ressources a raffermi les pas de son époux et a joué un rôle de premier plan dans l’émergence de la nouvelle religion. Après avoir été la première personne à croire au message du Prophète ﷺ, Khadija a également été la première per sonne à adorer Dieu à ses côtés.

Un récit particulièrement touchant est rapporté par Ibn Ishâq sur la toute première prière en islam. La narration relate qu’après une période de ralentissement de la révélation où le Prophète ﷺ se désolait de ne pas recevoir plus souvent la visite de l’ange Gabriel, celui-ci lui est apparu pour lui enseigner la prière : « Gabriel apparut ensuite au Messager de Dieu ﷺ lorsque la prière lui fut prescrite.

D’un coup de talon, au bord de la vallée, il fit jaillir une source vive. Gabriel effectua alors ses ablutions tandis que Muhammad ﷺ l’observait : il se lava le visage, se rinça la bouche et le nez, se passa de l’eau sur la tête, sur les oreilles et sur les pieds jusqu’aux chevilles et aspergea ses parties intimes ; puis il se leva et effectua deux unités de prière (rak‘a), en se prosternant à quatre reprises.

Ensuite, le Prophète ﷺ rentra chez lui, comblé par Dieu et apaisé, ayant reçu de Dieu ce qu’il voulait. Il prit Khadija par la main et l’emmena à la source. Alors, il effectua ses ablutions comme Gabriel l’avait fait, puis il effectua deux unités de prière avec quatre prosternations en compagnie de Khadija. Après cela, lui et Khadija prièrent secrètement 50. »

Le symbole est puissant. À peine le Prophète ﷺ a-t-il reçu la révélation de la prescription de la prière qu’il va chercher Khadija pour la lui enseigner à son tour. Au-delà de la profonde tendresse qui émane de ce moment de spi ritualité partagée, on notera la volonté du Prophète ﷺ d’associer pleinement son épouse à cet événement fondamental.

Une autre version du récit rapportée toujours d’après Ibn Ishâq dans la Sîra d’Ibn Hishâm précise que Gabriel a dirigé la prière du Prophète ﷺ puis que celui-ci a ensuite dirigé la prière de Khadija, après lui avoir enseigné les ablutions comme Gabriel les lui avait enseignées 51. Mais ce qui ressort principalement de cet épisode, c’est la participation des deux époux, ensemble, à ce moment déterminant dans la naissance de la nouvelle religion, où pour la première fois ils adressaient leur prière à Dieu.

On se rappelle que durant ces tout premiers temps de la mission prophétique, la communauté musulmane naissante était constituée de deux personnes : le Prophète lui-même ﷺ et Khadija. C’est donc en tant qu’individu à part entière, pleinement concerné par la nouvelle pres cription religieuse, que le Prophète ﷺ a tenu à enseigner la prière à Khadija dès qu’il l’a apprise lui-même. On a là un bel exemple de l’égalité fondamentale des croyantes et des croyants devant Dieu.

C’est deux jours plus tard, nous rapporte encore Ibn Ishâq, que le jeune ‘Alî ibn Abî Tâlib, « les trouvant tous deux en train de prier », questionna le Prophète ﷺ sur la nouvelle religion, ce qui le conduisit à croire à son tour 52 – on notera ici en passant que ces prières de deux rak‘a, telles qu’elles étaient accomplies au début de la période mecquoise différaient des cinq prières canoniques telles que nous les connaissons, celles-ci ayant été prescrites lors du Voyage nocturne (al-isrâ’ wal-mi‘râj) que les sources situent unanimement après la mort de Khadija.

Claude Dabbak

Notes :

42 Coran, sourate 96, versets 1-4.

43 Ibn Hishâm, As-sîra an-nabawiyya, vol. 1, pp. 237-238.

44 Ibn Hishâm, As-sîra an-nabawiyya, vol. 1, p. 238

45 Sahîh d’al-Bukhârî, livre 1 : « Le début de la Révélation », chapitre 3 : « Yahyâ ibn Bukayr nous a relaté ».

46 ‘Abd al-Halîm Aboû Chouqqa, Encyclopédie de la femme en islam, trad. Claude Dabbak, Paris : Éditions Al Qalam, 2e éd. 2007, vol. 1, tome 2, p. 621

47 Asma Lamrabet, Le Prophète de l’islam et les femmes de sa vie, Dar Albouraq, 2020, pp. 115-116.

48 Abû al-Hasan ‘Alî an-Nadwî, As-sîra an-nabawiyya, p. 117.

49 Sîra Ibn Ishâq, §159, p. 113. Récit repris en des termes très proches par Ibn Hishâm, As-sîra an-nabawiyya, vol. 1, p. 239.

50 Sîra Ibn Ishâq, §169, p. 117.

51 Sîra Ibn Hishâm, vol. 1, p. 244.

52 Sîra Ibn Ishâq, §173, p. 118.

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