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vendredi 19 avril 2024

CFCM : pourquoi la querelle des « chefs » est une bonne nouvelle

Les attaques violentes du recteur de la Mosquée de Paris, Chams-Eddine Hafiz, contre le Conseil français du culte musulman dans un communiqué publié le 28 décembre, et la riposte du CFCM, révèlent une nouvelle fois au grand jour le caractère pathétique et irresponsable des acteurs consulaires du culte musulman. Ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise nouvelle. Billet.

Ce n’est pas la première escarmouche de l’histoire du CFCM et ce n’est sans doute pas la dernière.

Une histoire peu glorieuse qui aura comporté, hélas, moins d’événements majeurs en son sein que de lettres pour en épeler le mot.

La charge violente de Chems-Eddine Hafiz, recteur de la grande Mosquée de Paris, exprimée dans un communiqué publié le 28 décembre contre le CFCM et visant accessoirement son président Mohamed Moussaoui est donc le dernier pavé en date jeté dans la mare d’une institution qui n’aura jamais autant brillé que par son absence de culture institutionnelle.

Une Grande Mosquée qui, à l’image de son minaret, ne semble plus vouloir remplir sa fonction principale, celle d’appeler les fidèles à la prière, préférant visiblement les appeler plutôt à rompre les rangs du CFCM.

Le CFCM, de Charybde en Scylla

Nous parlions de charge violente. En quoi consiste-t-elle ?

Passons toutes les jérémiades narcissiques du communiqué consistant à se mettre en scène, se donner le beau rôle et à jurer la main sur le cœur d’agir dans l’intérêt de la France et des musulmans : l’avocat, dans une plaidoirie subtile et créative, accuse ses coreligionnaires de flirt inavouable avec…. l’islamisme.

Quand on veut noyer son frère, on dit qu’il est islamiste, cela est bien connu.

L’homme, ayant fait tomber son masque sanitaire le temps d’une joute, a en effet désigné d’un doigt accusateur « la composante islamiste au sein du CFCM, notamment celle liée à des régimes étrangers hostiles à la France, (d’avoir) insidieusement bloqué les négociations en remettant en cause presque systématiquement certains passages importants (de la charte des imams) ».

« Cette composante islamiste agissante au sein du CFCM œuvre, comme à son habitude, en coulisses et en surface, pour saborder toutes les initiatives qui visent à créer des rapprochements salutaires entre les musulmans de France et la communauté nationale (…) certains milieux islamistes, en multipliant ces agissements irresponsables, sont en train  de compromettre l’avenir de notre religion en France, de nos enfants et de l’unité nationale (…) Je refuse de voir des cercles malveillants transformer l’islam, une religion paisible, en une idéologie de combat afin de créer la discorde entre les enfants d’une même nation. »

Mais où diantre était bien passé l’actuel recteur de la GMP durant toutes ces années où les mêmes fédérations et les mêmes responsables (à quelques encablures prêts) siégeaient dans le vide quantique de réunions interminables où la mauvaise foi faisait souvent office de pensée et la parole d’action ?

La GMP se serait-elle compromise tant d’années dans une institution (CFCM) minée par l’islamisme, une institution, qui plus est, mise en place par le ministère de l’Intérieur ?

L’islamisme aurait-il été promu au plus haut sommet de l’Etat ? L’affaire est décidément plus sérieuse qu’il n’y parait.

Les confession d’un recteur à Charlie Hebdo

Pour essayer de comprendre l’incompréhensible, c’est du côté de Charlie Hebdo qu’il nous a fallu nous tourner, hebdomadaire auprès de qui le recteur de la GMP, sans doute envahi par le remord laïque, est allé se confesser avec toute l’admirable ferveur d’un pénitent.

Un choix qui au demeurant ne doit pas surprendre.

On dit (d’après plusieurs échos institutionnels) le recteur proche d’un certain Mohamed Sifaoui, un ancien compatriote de Charlie Hebdo, avec lequel il partage semble-t-il la même obsession de l’islamisme.

Dans un article signé Laure Poussy, on apprend donc que l’intéressé a très mal digéré un autre article commis cette fois par Médiapart et dans lequel il est accusé d’être la voix de Darmanin (actuel ministre de l’Intérieur, ndlr).

« J’y suis gravement mis en cause, déplore Chems-Eddine Hafiz. Il y a une perte de confiance. Je savais que les positions étaient très divergentes, mais je ne m’attendais pas à cela », a-t-il confié à la journaliste.

Il y aurait actuellement selon lui « deux projets de société totalement opposés » au sein du CFCM.

Hafiz considère que les islamistes, qu’il ne désigne jamais par leurs noms, auraient saboté la première mouture de la charte.

Pourtant, les membres du CFCM ont tous signé deux articles qui ont été abondamment critiqués comme une concession faite au pouvoir.

Premier article : « Les signataires s’engagent à refuser de s’inscrire dans une quelconque démarche faisant la promotion de ce qui est connu sous l’appellation islam politique. »

Comment des islamistes pourraient signer un article renonçant à l’islam politique ? On ne le saura pas.

Second article : « Nous réaffirmons solennellement que la dénonciation d’un prétendu racisme d’État ne recouvre aucune réalité en France. »

Insuffisant pour le recteur de la GMP.

« Plusieurs principes républicains présents dans la charte ont été mis de côté », dit-il dans les colonnes de Charlie Hebdo.

Le journal satirique a même retrouvé les « principes » en question qui n’ont pas été retenus.

On y retrouve notamment une définition plus précise de l’islam politique et surtout de ses représentants :

« Par islam politique, la présente charte désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément : wahhabisme, salafisme, doctrine des Frères musulmans, et plus généralement toute mouvance locale, transnationale ou internationale qui vise à utiliser l’islam afin d’asseoir une doctrine politique, notamment parmi celles dont les textes rejettent la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes ou qui fait la promotion de l’homophobie, de la misogynie, de l’antisémitisme, de la haine religieuse […]. »

Autre élément biffé, un article sur les rapports avec les Etats étrangers.

« Nous nous engageons à ne pas utiliser l’islam […] pour les besoins d’un agenda politique dicté par une puissance étrangère qui nie la pluralité consubstantielle à l’islam, rejette la liberté de conscience, la démocratie, l’égalité femmes-hommes ou fait la promotion de l’homophobie, de la misogynie, du racisme ou de l’antisémitisme. Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde. »

Un dernier élément qui, à n’en pas douter, a dû faire sourire à Alger dont l’actuel ambassadeur, cité par Charlie Hebdo, s’est chargé de rappeler à ceux qui ne l’entendraient pas que « La Grande Mosquée de Paris est d’abord algérienne et ne sera jamais rien d’autre. Et c’est cela, le plus important. » Bref.

Les eaux usées du CFCM

Après ce splendide tir de mortier consulaire, la réaction du CFCM ne s’est pas faite attendre.

Dans un communiqué, les membres ont conjointement déploré ces propos de Chems-Eddine Hafiz.

« L’extrême gravité de ces accusations est d’autant plus incompréhensible que dans son communiqué, le Recteur de la GMP reconnait lui-même que « tout semblait se dérouler dans des conditions normales jusqu’à mi-décembre », pouvait-on lire.

La norme évolue très vite, mais visiblement pas assez vite au goût de tout le monde.

Chems-Eddine Hafiz intervenant à une assemblée générale du Milli Görus en 2019.

Le CFCM, affaibli par les rivalités et les dissensions internes, a en outre fait savoir qu’une consultation locale à propos de la charte des imams sera effectuée et que d’« éventuels ajustements issus des retours d’expérience de la mise en œuvre des travaux du CNI » seront faits.

Ce qui laisse entendre que la version finale du texte n’est pas encore déterminée.

Au final, ces règlements de compte qui concernent, au grand mot, un peu moins de 40 % des lieux de culte musulmans, forment paradoxalement un espoir pour les Français de confession musulmane, lassés de longue date de ces interminables querelles de chapelles, le manque de confiance et de sérieux inspirés par les acteurs institutionnels du culte musulman, toutes équipes et sélections confondues, étant décidément une marque de fabrique dont ils auront beaucoup de mal à se défaire.

Ceci étant dit, tous ces conflits démontrent une nouvelle fois la nature réelle des acteurs en présence, leurs intentions, les objectifs politiques qu’ils poursuivent et les intérêts qu’ils défendent, et ils démontrent en quoi toutes ces considérations n’ont que peu de chose à voir avec le sérieux qu’impose une institutionnalisation de l’islam en France, le sérieux d’une culture institutionnelle pour laquelle l’éthique n’est pas un vain mot, tout comme le sens des responsabilités, le respect de ses coreligionnaires et la sincérité dans ses propos.

Toutes ces conditions n’étant pas réunies, de la même manière que le cadre laïque n’est pas respecté de bout en bout dans ce dossier, ni l’indépendance du culte par rapport à l’Etat, il est évident qu’aucune institutionnalisation solide et pérenne de l’islam ne pourra se faire sur ces bases, les infractions de principe d’aujourd’hui ne faisant que préparer les futurs et mêmes conflits interminables de demain.

Ce qui n’est dans l’intérêt bien compris ni de l’Etat, ni des musulmans de France.

Hélas pour nous, le temps que tous ces acteurs le comprennent, beaucoup d’eau usée risque encore de couler sous les ponts meurtris du CFCM.

Fouad Bahri

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