Trente ans après la guerre de Bosnie, l’horreur du siège de Sarajevo ressurgit à travers une affaire terrifiante. Le parquet de Milan a récemment ouvert une enquête visant des ressortissants italiens ainsi que d’autres nationalités, soupçonnés d’avoir payé pour tirer sur des civils musulmans durant le siège de Sarajevo, entre 1993 et 1995.
Près de 30 ans après les accords ayant mis fin à la guerre de Bosnie, le parquet de Milan a ouvert une enquête contre X pour « homicide volontaire aggravé ». Elle cible des ressortissants étrangers, soupçonnés d’avoir payé l’armée serbe pour aller tirer sur des civils, le temps d’un week-end, durant le siège de Sarajevo.
Une plainte inspirée d’un documentaire
Après une première plainte déposée en Bosnie, l’ancienne maire de Sarajevo, Benjamina Karic, a contacté un journaliste italien pour l’orienter vers des participants à ces opérations macabres. Le journaliste Ezio Gavanezzi a commencé à enquêter. Selon The Guardian, les procureurs milanais ont lancé une enquête préliminaire après une plainte déposée par ce journaliste, inspirée du documentaire Sarajevo Safari, réalisé en 2022 par le Slovène Miran Zupanič.
Le film révélait l’existence de « tours » proposés à des étrangers, pour plusieurs dizaines de milliers d’euros, leur permettant de tirer depuis les positions serbes de Bosnie sur la ville assiégée. Le dossier décrit des excursions organisées depuis Trieste, en Italie, vers les collines entourant la capitale bosniaque, avec départ le vendredi et retour le dimanche.
Les participants, décrits comme des sympathisants d’extrême droite, dotés d’un haut pouvoir d’achat, auraient déboursé jusqu’à 100 000 euros – voire davantage pour ceux souhaitant viser des enfants. « Parmi les témoins, Gavazzeni cite un agent du renseignement bosnien, E. S., informé de ces faits, qui affirme que les services italiens – alors présents à Sarajevo – avaient reçu des informations en 1993 et que des dossiers classifiés pourraient exister », rapporte le journal El País.
Des Italiens ont participé à des « safaris humains » à Sarajevo dans les années 1990 pour tirer sur des civils – la Repubblica.
— Renard Jean-Michel (@Renardpaty) November 13, 2025
Des groupes de touristes chassaient littéralement des personnes dans les montagnes près de la capitale de la Bosnie-Herzégovine pendant la guerre de… pic.twitter.com/jQDvhIOgAX
Une opportunité morbide d’un « tourisme de guerre »
Le parquet milanais, dirigé par le procureur Alessandro Gobbi, a confirmé enquêter sur « des homicides volontaires aggravés par la cruauté et des motifs abjects ». Plusieurs personnes ont déjà été identifiées comme témoins potentiels. Les premiers soupçons se portent sur des Italiens, mais d’autres ressortissants européens peuvent être concernés.
Pendant quatre ans, la capitale bosnienne a vécu sous le feu constant des snipers. Entre 1992 et 1996, plus de 10 000 civils musulmans ont été tués, dont près de 1 500 enfants. La ville était isolée, encerclée par les forces serbes. Les habitants traversaient les rues en courant, la tête baissée, sur l’artère qu’ils appelaient « Sniper Alley ». Dans cet enfer, certains y auraient donc vu une opportunité de « tourisme de guerre ».
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« Personne ne voulait nous croire »
En Bosnie, l’annonce a rouvert des blessures. Les survivants du siège y voient une avancée vers la reconnaissance d’atrocités longtemps tues. « Nous savions qu’il y avait des snipers étrangers », confie un ancien habitant cité par Il Fatto Quotidiano. « Certains avaient des accents qu’on ne comprenait pas. Mais personne ne voulait nous croire ».
Pour la procureure adjointe de Milan citée par The Telegraph, « ce dossier montre que la barbarie ne se limite pas aux champs de bataille : elle peut se travestir en divertissement, en voyage, en expérience humaine ». Trente ans après, le siège de Sarajevo continue de hanter la conscience européenne.
