Comment rendre hommage à toutes nos mères, grand-mères, tantes, à toutes ces « mamas » dont le sacrifice nous a, de tout temps, nourri ? La réponse dans cette remarquable chronique de Faouzia Zebdi-Ghorab à lire sur Mizane.info.
Une sortie… mais à quel prix ?
Souvent, pour les promener, on leur offre une sortie. Oh, rien de bien folichon. Ce sera très certainement dans un de ces temples modernes, vastes cathédrales de la consommation où l’or a pris la teinte criarde des enseignes lumineuses et des promotions.
Elles avancent lentement, à pas mesurés, sur un sol bien trop lisse, et si brillant, qu’elles semblent craindre de l’abîmer. On les regarde marcher un peu déhanchées, avec la fragilité des personnes d’un autre temps, mais majestueuses malgré leur gaucherie. Leurs manteaux, soigneusement boutonnés, gardent la mémoire des jours anciens. On les devine appliquées, soucieuses d’être bien mises comme on dit, pour honorer celui ou celle qui a souhaité les promener.
Étrangères dans un monde qui n’est plus le leur
Elles sont attendrissantes dans leurs apparats de sortie un peu fatigués. Et dans ces mocassins dont on devine combien de chemin elles ont parcouru bon gré mal gré. Elles ont l’air gauche, dans cette effervescence où tout est calibré, organisé, instantané. Elles ont l’air perdues mêlées à toutes ces personnes si habituées à déambuler, à shoppinger, le téléphone dans une main, et deux ou trois sacs dans l’autre. Quant à elles, leur regard effleure les vitrines sans les voir, elles sont telles des ombres discrètes dans un univers qui ne les attend déjà plus.

Elles avancent le dos légèrement courbé mais le port digne, comme des reines d’un autre âge exilées dans un royaume qui n’est plus le leur. Le tissu de leurs vêtements, bien que fatigué, semble avoir conservé la mémoire de jours plus heureux. Quant à leurs mains, tâchées des marques du temps, elles frôlent les objets avec la précaution de celles qui ont appris à ne plus trop s’attacher. Ne plus s’attacher, c’est le mot qui leur va le mieux. Leur regard glisse, leurs mains glissent sur les choses, leur pas également, rien ne semble accrocher comme si elles n’étaient déjà plus là.
L’indifférence d’un monde trop pressé
Autour d’elles, le ballet insouciant de jeunes gens trop pressés ni ne les amuse ni ne les agace. Elles, continuent d’avancer comme des exilées dans une ville étrangère. Condamnées à marcher encore et encore, car dans ces lieux il est interdit de s’asseoir sauf pour consommer. Et si une envie pressante leur venait il leur faudra payer pour se soulager.
Tout est vaste et en même temps si étroit. Plus étroit même que leur ridicule cuisine dans laquelle elles ont passé tellement de temps, tellement d’années, à cuisiner les meilleurs mets pour cette famille qu’elles chérissent et qu’elles continuent de gâter jusqu’au jour où leurs frêles jambes ne pourront plus les porter.
Un travail invisible, un sacrifice silencieux
Elles ne sont pas l’image de la femme émancipée dont on vante tant les qualités. Il s’agit d’un travail ingrat, chaque jour sans cesse répété.
Sans salaire puisque ce travail n’est pas rémunéré, ni même de médaille de travail à la fin d’une carrière qui ne s’interrompt jamais. Mais le plus triste ne réside pas en cela. Il réside dans le fait que misérables que nous sommes nous ne sommes même pas capables de reconnaitre ce travail et encore moins de le saluer, et de le remercier. Un demi-siècle de repas préparés avec patience et avec amour, notamment durant le mois particulier du jeûne du Ramadhan. Ou malgré la fatigue elles mettent les bouchées doubles oubliant fatigue et douleurs corporelles. Elles seront les dernières à se mettre à table, et les premières à se lever. Souvent elles ont juste droit à un « c’est trop salé : » ou « c’est trop chaud je me suis brulé : »

Un départ discret, une absence immense
Beaucoup reconnaitront dans ces quelques lignes les portraits d’une mère, d’une tante, d’une grand-mère ou même d’une voisine. Qui est encore là ou qui n’est plus. Car ces mamies et autres mamans d’un autre âge nous quittent unes à unes, en silence, sans se plaindre, ni même réclamer.
Et nous nous retrouvons désormais sans elles, ne pouvant plus croiser ce regard si doux et humide à la fois. Ne pouvant plus serrer cette main si rugueuse mais si tendre à la fois, ne pouvant plus apercevoir ce sourire si timide mais si chaud à la fois…… Elles disparaissent à pas feutrés, comme elles ont toujours vécu.
Qu’en sera t-il de nous ?
Nous restera-t-il seulement nos yeux pour pleurer ? ou bien seront-ils trop occupés, rivés sur un écran, à contempler en miroir la tragédie de nos vies esseulées
Faouzia Zebdi-Ghorab