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mercredi 08 mai 2024

A propos du complotisme

Le film « Hold-up » sur le Covid-19 a été qualifié par le terme peu flatteur de complotiste. L’occasion de revenir sur cette notion, son usage et ses finalités. Qu’est-ce que le complotisme ? La réponse dans un billet publié sur Mizane.info.

La sortie du film « Hold-up » sur le Covid-19, censuré sur les lieux de diffusion traditionnels, a été accompagné d’une campagne publique accusant ses auteurs de complotisme.

Une accusation devenue courante à notre époque.

On accuse quelqu’un de complotisme lorsqu’il ne croit pas, ou pas entièrement, le discours public du pouvoir.

A mi-chemin entre pathologie sociale et paranoïa mentale, l’accusation de complotisme sous-entend un déni de réalité, de rationalité, une forme de psychose voyant des ombres là où il y a lumière.

Le complotiste est un être malade et irrécupérable par le système car il ne croit plus en lui.

Le complotisme est une accusation d’hérésie politique, d’apostasie et d’infidélité aux « faits », au « réel », à la parole officielle.

Le simple fait de dire « parole officielle » fera tomber son auteur dans la catégorie des complotistes qui recherchent en permanence l’officieux derrière l’officiel, et qui considèrent que la bonne parole publique des élus est une façade, un office sans esprit, une sinistre et obscure mise en scène destinée à nous détourner de la vérité.

Le complotiste est un danger pour le pouvoir car il n’est pas raisonnable.

Douter de tout, sauf du pouvoir

Chaque époque a eu ses complotistes. En d’autres temps, ils se nommaient différemment.

Opposants, rebelles, déments, hérétiques, pyrrhoniens, sceptiques, la liste est sans fin.

Ce qui surprend davantage, c’est de constater à quel point ceux qui sont souvent les plus zélés dans l’emploi de cette catégorie disqualifiante de complotiste sont aussi les mêmes qui, dans un autre contexte, feront volontiers l’éloge du doute radical, de la critique, de la déconstruction, etc.

En matière religieuse, ils prôneront le scepticisme ou l’athéisme, seront les chantres du « désenchantement », vanteront la désacralisation. Les maîtres du soupçon sont passés par là.

Sur le plan historique, ils mobiliseront leur imagination créative pour échafauder toutes sortes d' »hypothèses » alternatives aux narrations traditionnelles, sans toujours se donner la peine de justifier leurs conditions de possibilités historiques, ni même d’écarter ces hypothèses lorsqu’elles ont été réfutées, car ce qui importe finalement n’est pas nécessairement le vrai. Le vraisemblable est suffisant.

En philosophie, ils tanceront le dogmatisme, déconstruiront la notion de vérité, décréteront la relativité du Bien et du Mal, le caractère illusoire de la justice, etc.

Mais en politique, ils prôneront la soumission inconditionnelle, l’allégeance irréductible.

Les anti-complotistes sont des individus raisonnables, ils ne sauraient douter de la vertu notoire des politiques.

Leur bon sens leur dicte un loyalisme fidéiste reconductible jusqu’aux confins du polythéisme de l’alternance.

Les récalcitrants, eux, sont des irresponsables, des fanatiques obsessionnels. Des complotistes. Une engeance voyant des liens imaginaires entre des coïncidences hasardeuses, établissant des causalités solides là où il serait question seulement de corrélations fragiles. Des menteurs éhontés, des faux-monnayeurs du langage, des prestidigitateurs du concept. Des charlatans à abattre.

Les complotistes, dans le discours de leurs détracteurs, sont comme leurs cibles : ils ne commettent pas d’erreurs, seulement des fautes.

Le complotisme comme projet politique

Libération a par exemple réussi la performance d’accuser, dans un article, les auteurs du film « Hold-up » de complotisme tout en fournissant un argument… les en disculpant.

« Le propre des discours conspirationnistes, ne s’appuyant sur aucun élément tangible, étant qu’il échappe au fact-checking« , écrivent leurs auteurs dans un article…. de fact-checking intitulé « Covid-19 : dix contre-vérités véhiculées par «Hold-up» ».

L’accusation de complotisme est donc la conclusion d’un para-syllogisme dont les prémisses majeures et mineures pourraient être : la parole des politiques est vérité, douter de cette parole a pour nom complotisme, les opposants sont des complotistes.

Cet usage généralisé de la notion disqualifiante de complotiste a fait d’elle une arme symbolique de destruction massive, une reductio ad insaniam, une relégation dans les oubliettes de la psychiatrie de masse.

Un procédé politique qui fait l’économie, à peu de frais, de toute réfutation, et quand ses acteurs prennent néanmoins la peine de se résoudre à la dérouler, c’est sur le mode de l’aumône charitable et de la main compatissante tendue à un malade, qu’ils le font.

Bien sûr, la paranoïa existe. Elle n’épargne aucun milieu (les politiques le savent bien). L’exagération abusive, l’extrapolation, les biais structurels, sont légions. Qui peut en douter ? Le complotisme est autre chose.

Dans la bouche un peu trop baveuse de ses contempteurs, le complotisme est bien plus qu’un rejet viscéral du pouvoir.

C’est un projet politique alternatif de nature obscurantiste. Un peu comme l’islamisme. Ou l’antisémitisme, le propre des ancêtres du complotisme qui voyaient jadis des judéo-bolchéviques partout.

A l’exception notable, toutefois, de l’islamo-gauchisme qui, lui, relève, bien sûr, d’un autre mal, annonçant cette fois l’avènement imminent de la Bête islamiste.

Comprenne qui pourra. Comprenne qui voudra.

Terminons ce billet par une anecdote un peu effrayante et pour le moins énigmatique.

Jeudi 15 octobre, Cnews enregistrait une émission débat entre Jean-Pierre Chevènement et Eric Zemmour, un peu moins de 24 h avant l’assassinat odieux de Samuel Paty.

L’émission sera diffusée le lendemain, vendredi 16 octobre, jour de l’assassinat.

Au cours de l’émission, Jean-Pierre Chevènement évoque mystérieusement « la décapitation de tel ou tel professeur » sous les yeux éberlués de Zemmour, alors que le drame n’a pas encore eu lieu.

Comment expliquer cela ? Il devait bien y avoir une explication. Je remue cela dans ma tête et envisage toutes les possibilités.

« M. Chevènement ne répond pas à ce genre de question »

L’émission a-t-elle eu lieu peu après l’assassinat ? Les smartphones permettent de presque tout savoir en temps réel.

Impossible, la chaîne indique la date de l’enregistrement : le 15 octobre.

Capture d’écran de l’émission avec mention de la date d’enregistrement (en haut à gauche).

Chevènement avait-il des infos policières (il a été ministre de l’Intérieur) lui indiquant une menace imminente contre un professeur menacé de décapitation ?

Je cherche et je trouve cette information : le compte twitter de l’assassin avait diffusé un photo-montage dès le mois d’août simulant une décapitation.

L’explication semble la bonne ! Hélas, non.

Voici précisément ce que dit l’info dévoilée par Médiapart et reprise par l’Obs.

« Ce même compte avait également été repéré fin août suite à la diffusion d’un photomontage montrant une décapitation, détaille Médiapart. Le cliché, issu de la série télévisée turque « Diriliş : Ertuğrul », montrait un homme – ce dernier n’a pas encore été identifié – sur le point d’être décapité par le personnage central de la série, Ertugrul Gazi, le chef turc qui a fondé l’Empire ottoman. »

Aucune mention de professeur, pas de référence à un enseignant. Le terroriste n’avait pas encore déterminé de cible à ce moment-là, comme le confirmeront d’autres articles. L’affirmation de Chevènement est trop précise.

La connaissance étant le meilleur remède au doute, je décide donc de faire mon travail : contacter directement M. Chevènement pour lui poser la question et étouffer les rumeurs complotistes qui se diffusent sur la toile.

Ne pouvant accéder directement à l’ancien ministre de l’Intérieur, je réussis néanmoins à obtenir le contact de son attaché de presse qui a reçu ma demande par email.

Je l’appelle et lui expose la situation, en demandant à M. Chevènement de clarifier son propos et de l’expliquer pour éviter de nourrir les thèses conspirationnistes.

Après avoir confirmé la date de l’enregistrement de l’émission, voici qu’elle fut la réponse joviale et souriante de l’intéressé : « M. Chevènement ne répond pas à ce genre de question. Vous ne pourrez pas empêcher le complotisme de se diffuser », me dit-il après un refus courtois mais catégorique. Circulez, tout va bien.

Nous n’aurons pas le droit à l’explication attendue.

Conclusion : on ne peut pas condamner le complotisme tout en l’alimentant soi-même.

Fouad Bahri

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