Un sondage commandé par le ministère de l’Enseignement supérieur sur le rapport à l’antisémitisme des personnels enseignants a suscité, mercredi dernier, la vive réaction de syndicats et d’ONG, qui y voient un « recensement politique ». Ce lundi, plusieurs présidences d’universités ont annoncé qu’elles refusaient de relayer le questionnaire.
Le ministère de l’Enseignement supérieur a récemment mandaté un sondage sur le rapport à l’antisémitisme du personnel universitaire. Une partie des syndicats dénonce un « recensement » politique ouvrant la voie à « un fichage généralisé des opinions politiques ou religieuses des personnels ».
L’enquête, commandée par le ministère, vise à mesurer la place de l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Elle s’inscrit dans un vaste programme de recherche consacré à l’étude scientifique de l’antisémitisme « dans l’enseignement supérieur et la recherche », mené avec la Dilcrah et le mémorial de la Shoah.
Un formulaire consacré à la réputation d’Israël
Transmis par un lien Google, le questionnaire comporte deux volets — l’un pour les étudiants, l’autre pour les personnels. Les réponses seront analysées par deux chercheurs du Cevipof, spécialistes des statistiques et des attitudes politiques, dans le cadre d’un programme lancé par le ministre Philippe Baptiste le 29 avril. Après des questions sur l’antisémitisme dans les campus et plus largement, le formulaire sonde l’avis des participants sur Israël et les responsabilités de l’occupation en Palestine :
« Selon vous, qui porte la plus grande responsabilité dans la poursuite du conflit israélo-palestinien : Avant tout les Israéliens ? Avant tout les Palestiniens ? Autant les uns que les autres ? ». Ou encore « Quand vous pensez à la situation d’Israël, de laquelle des deux opinions suivantes êtes-vous le plus proche : “Israël est un pays puissant qui mène une politique agressive vis-à-vis de ses voisins” ou “Israël est un petit pays qui se défend contre des pays voisins, dont certains souhaitent le détruire” ? »
Le ministère de l'Enseignement supérieur commande un sondage à l'IFOP sur l'antisémitisme demandant aux personnels universitaires leur religion, parti politique et position sur le "conflit israélo-palestinien".
— Mathilde Panot (@MathildePanot) November 25, 2025
Inacceptable ! L'État n'a pas à collecter les opinions politiques ou… pic.twitter.com/83uENF6KBX
Une « mascarade scientifique »
En fin de sondage, il est demandé l’âge, le genre, la fonction, le type d’établissement, l’académie d’exercice, le diplôme détenu, le code postal du domicile, mais aussi l’appartenance ou la proximité politique, ainsi qu’une éventuelle religion. Le formulaire de 44 pages a rapidement généré critiques et inquiétudes. Dans un communiqué publié dimanche, le Snesup-FSU dénonce une « mascarade scientifique » :
« Ce questionnaire pêche tout à la fois par la confusion des sujets abordés, l’orientation des réponses souhaitées […] et l’illégalité du questionnement des agent·es de la fonction publique par leur autorité de tutelle sur leurs convictions politiques et religieuses. » Le syndicat FO ESR estime que « ce questionnaire est gravement attentatoire aux droits des personnels » :
« C’est un véritable sondage sur des questions politiques, aussi bien internationales qu’intérieures. C’est aussi un sondage sur les appartenances religieuses. Or, de quel droit l’employeur a-t-il le droit de recueillir les opinions politiques ou religieuses des salariés ? »
Vers un fichage généralisé des opinions politiques du personnel
Selon FO ESR, « ce questionnaire ouvre la possibilité d’un fichage généralisé des opinions politiques ou religieuses des personnels ». Pour le collectif RogueESR, le sondage « viole le principe de neutralité institutionnelle ». Le collectif alerte aussi sur le risque de réidentification des répondants par croisement des données.
« Étant donné tous les problèmes que soulève cette enquête, nous vous demandons instamment de la retirer », ont écrit lundi le Snesup, SUD-Éducation, la Ligue des droits de l’homme, l’Association pour la liberté académique, la Coordination antifasciste pour l’affirmation des libertés académiques et pédagogiques, l’Observatoire des atteintes à la liberté académique et Stand Up For Science.
Dans un courrier daté du 24 novembre, France Universités estime que le questionnaire de l’IFOP « pose un certain nombre de problèmes dans sa conception et les questions posées ».
