Un état des lieux de l’époque, un tableau sans langue de bois, celui de notre temps, de nos usages, de nos dérives. Dans sa dernière chronique publiée par Mizane.info, Safiya Meziani nous dépeint avec force et réalité la vie sans âme des réseaux sociaux, et nous dresse au détour d’une plume acérée, la voie de sortie la plus sûre, celle d’un retour vers l’authenticité de soi.
Après les personnalités dites publiques qui amassent des vues pour percer, quel que soit le moyen, par le prisme du coaching, par l’intermédiaire de connaissances profanes ou religieuses non maîtrisées, au moyen d’artefacts d’un semblant de statut d’imam ou prêcheurs de bonne conscience à la ramasse, ceux qui prônent à longueur de posts la pudeur, la décence et le respect oubliant eux-mêmes d’en être les exemples, sont devenus des imposteurs vivants au cœur mort sur l’autel de la notoriété vile et abjecte.
Voilà que ces influenceurs nous déballent, à l’insu de notre plein gré, des scènes inédites en couple ou en famille, sous leurs meilleurs jours bien évidemment, où tout est impeccablement soigné, rangé, organisé avec une surenchère inégalée.
Chaque couple se sent dans l’obligation de montrer sa complicité, ses moments d’intimité familiale, ses sentiments, ses cadeaux, ses sorties, ses festivités amicales ou familiales sans oublier de filmer les repas faits maisons ou commandés, en zoomant avec insistance sur les marques des derniers ustensiles et autres produits ménagers pour pousser à la surconsommation des followers, en prenant une commission au passage, même si le produit n’a pas été utilisé réellement ou qu’il ne donne pas satisfaction.

On n’oublie pas de passer par la chambre à coucher pour exhiber ses tenues bien entretenues dans un dressing de stars, où le maquillage déborde des tiroirs et où aucun miroir ne saurait refléter le vide qu’il règne dans ce foyer.
Leur vie est devenue une publicité.
Leur mode de vie un spectacle de l’indécence.
Leur objectif de vie est d’exister aux yeux des autres en se targuant d’avoir une vie épanouie sous toutes les coutures et en feignant de vivre sa meilleure vie et d’être ainsi « la meilleure version de soi-même ».
Le mensonge est leur crédo et le vice leur leitmotiv.
Ils ne vivent plus, ils n’existent plus, ils sont en représentation constante de l’image qu’ils veulent montrer d’eux-mêmes.
Des zombies de l’ère nouvelle. Celle qui a retiré toute raison aux gens censés être doués d’intelligence et toute forme de dignité qui a disparu de leur conscience en mal de repères.
Pendant que ceux-là se perdent et perdent le contrôle de leur vie, ils emportent avec eux un flot d’individus en manque de ressources internes.
Ces derniers sont tout aussi responsables car sans ceux-ci les premiers n’auraient aucune existence ni autant de crédibilité.
Quand allons-nous cesser d’alimenter ces chercheurs de clics et de faire exister ces mendiants d’amis virtuels ?
Quand allons-nous dire stop à toute cette mascarade mensongère et trompeuse pour en finir avec cette mode maladive de se montrer sous une apparence qui brille de mille feux et montre toute leur vie quotidienne jusqu’aux moindres détails ?

Quand allons-nous comprendre que ces gens en perdition n’ont plus aucune orientation dans leur vie, le seul but étant de s’étendre sur les réseaux uniquement pour cumuler les euros ?
Ils vivent une crise existentielle sans précédent et veulent nous faire croire qu’ils ont trouvé un sens à leur vie.
Tout ce bruit retentissant, toutes ces images bien agencées, cet étalage impudique ne reflètent que le néant profond qui règne dans leur for intérieur, le désordre qui nourrit leur âme et le malaise mental qui habite leur cœur.
Réveillons-nous !
Sommes-nous devenus à ce point des assistés de la vie ?
Est-ce si important de déployer autant d’énergie dans des pseudos formations qui promettent un changement radical dans notre vie ?
Avons-nous réellement besoin de connaître tous les types de personnalités pour nous définir dans une catégorie déterminée et, in fine, exister ?
Est-il vraiment nécessaire de se faire accompagner pour le rangement de son intérieur ?
Est-ce si important de déployer autant d’énergie dans des formations qui promettent un changement dans notre vie personnelle ?
Est-il si utile de dépenser autant d’argent pour avoir des conseils aussi impersonnels qu’inopérants de personnes qui ne connaissent rien de nous si ce n’est notre porte-monnaie ?
Est-ce que le temps consacré à ces diverses formations en ligne et autres webinaires ne serait pas mieux employé vers des instituts connus pour leur pédagogie ou des professionnels reconnus pour leur accompagnement réel et de proximité ?
Nous avons troqué notre dignité à un nombre de likes pour une apparente réussite due à la visibilité de personnes que l’on ne connaît qu’à travers les écrans et qui, rappelons-le, encore n’existent que parce qu’on leur donne de la crédibilité.
Nous avons hélas abandonné l’essentiel au détriment de nos principes éthiques et moraux.
Nous avons accordé une trop grande importance à certains imams autoproclamés, à quelques influenceurs de pacotille ou à des coachs qui sont de véritables business women à qui on a laissé un temps les clés de notre destin.
Nous avons détruit, avec nos propres clics et autres interactions, le peu de considération et d’estime que nous avions de nous-mêmes.

Quel sens est-il possible de donner à toutes ces gesticulations et ce surplus d’informations ?
En quoi pouvons-nous dire que notre vie a plus de sens et plus de consistance à travers cette effervescence de communication virtuelle ?
Est-il toujours possible de revenir à la raison et au vrai changement intérieur ?
Comment redonner vie à notre cœur et à nos valeurs si, même au plus profond de notre âme, le spirituel y a été chassé à coups de publicités et stories perpétuelles évoquant plutôt un vrai cheminement vers le néant qu’une véritable transformation de soi ?
Les réponses sont en nous, ne cherchons pas d’excuses, ne fermons pas les yeux sur le désastre qui nous montre que chaque jour est plus grave que le précédent.
Le temps du réveil est arrivé, secouons notre conscience si l’on souhaite bâtir un être responsable, serein et fort intérieurement pour prétendre construire la génération de demain.
Reprenons le cours de votre vie, reprenons-nous en mains, personne ne doit pouvoir avoir un ascendant sur nous, ni jouer de diverses manipulations pour nous endormir, afin de faire de nous ce qu’ils veulent : des gens dociles, fragiles psychologiquement et faibles spirituellement.
La richesse n’est pas dans le cumul d’argent, la beauté ne se reflète pas à l’apparence trompeuse, la bonté d’âme ne tire pas sa source dans des stratégies marketing ou dans une dynamique économique.
Faisons attention à qui nous livrons notre vie, notre temps et notre argent.
Souvent on reconnaît les loups, les prédateurs du net par leurs paroles mielleuses et leurs vers poétiques.
Mais jamais on n’arrive à voir les pièges du diable qui sommeille en chacun des gourous qui pullulent sur le net, et ce, au nom même de l’islam.
La boucle est bouclée
J’ai comme l’impression qu’en France nous avons assisté à l’émergence et à la disparition de différents courants de pensées et de mouvances musulmanes qui ont fini par laisser la place à une autre. A chaque période, le même cycle recommence.
Serion-nous arrivés à la fin de ce cycle dans lequel plus rien ne tourne rond depuis lors ?
Nous avons connu la tendance dite salafi où les prêches étaient alimentés par des discours venant d’Arabie saoudite complètement hors sol avec uniquement des interdictions à tout va et un rejet viscéral de tout ce qui représentait de près ou de loin la société occidentale moderne.
Mais ce phénomène a été surtout marqué par un mimétisme primaire sur les détails comme la tenue vestimentaire et la barbe hirsute ostensiblement ridicule, sans oublier le port et l’utilisation du siwak plus que le tasbih d’ailleurs pour sauver les apparences !
Nous avons eu également le mouvement frériste qui a essayé tant bien que mal de démontrer aux jeunes générations qu’il n’y avait aucune incompatibilité entre islam et citoyenneté. Cette frange de l’islam dit politique a connu ses limites d’abord d’un point de vue interne et a finalement explosé et a été instrumentalisée par les politiques qui étaient un temps leurs alliés avant d’en devenir les ennemis jurés.
Par la suite, on a eu un mélange des genres, une espèce de cocktail explosif qui a associé les imams du net ou prêcheurs youtubeurs qui ont oublié leurs principes éthiques pour dévoiler leurs intentions premières, non pas celles de « guider » les gens vers le droit chemin comme nous l’aurions imaginé mais ont fini par détourner les jeunes vers des desseins moins glorieux.
Ces influenceurs aux millions de vues et de fans ont fini par perdre toute orientation et au lieu de servir l’islam se sont servis de la religion comme d’un tremplin pour leur aura et leur développement économique personnels sans éluder les affaires de mœurs, d’escroquerie et autres fléaux qui en ont dévoilés plus d’un hélas.
Aujourd’hui, le vide est abyssal, du rigorisme littéraliste en passant par l’islam dit du juste milieu sans occulter les quelques confréries soufies axées plus sur l’aspect spirituel mais qui n’ont jamais eu de réel impact à l’échelle de la communauté, nous nous sommes retrouvés avec des anciens délinquants devenus des barbus en qamis qui ont voulu se racheter une virginité en venant nous pondre des prêches de culpabilisation collective qui n’ont pas fait long feu tant cela sonnait faux.
Puis nous en sommes arrivés au réformisme qui a défiguré l’islam en tant que tel pour finir avec un progressisme ambiant qui a au final annihilé le fond même de ce qu’est l’islam et sa pratique rituelle.
Que reste-t-il aujourd’hui du discours islamique ?
Où en sommes-nous arrivés après tant d’années de construction de tissu associatif, d’organisation structurelle et d’engagement militant ?

Il a suffi d’une affaire qui a éclaté au grand jour pour faire disparaître tout ce qui existait auparavant et toutes les cartes du château sont tombées emportant avec elles toutes les autres composantes de la communauté active et engagée.
Sans compter sur le contexte politique et médiatique pour le moins infecte qui n’a pas aidé mais au contraire a tout emporter dans sa chute.
Ce qui reste en conclusion, ce sont des individualités qui ont prédominé sur le champ de la prédication tant bien que mal et qui ont fini par disparaître pour laisser place aux pions virtuels téléguidés par l’apanage des réseaux sociaux, tableau donnant un triste spectacle de tous les fléaux qui existent autour du culte de la personnalité.
Le message qui reste prégnant depuis est celui de la fuite en quelque sorte vers d’autres horizons plus « islamiques » ( Qatar, Émirats….) ou l’installation confort via le retour aux pays d’origine histoire de sauver sa peau et tenter de survivre car les générations qui arrivent n’acceptent plus de baisser la tête et de vivre sans cesse entre 2 identités qui n’ont pas réussi à coexister.
En France, c’est « soit musulman et tais-toi » ou « ne sois pas trop musulman et tu peux daigner vivre en bon français lambda ».
Dans l’inconscient collectif, nous sommes poussés vers la sortie après nous avoir retiré toute dignité et capacité à exister socialement avec nos croyances et nos principes.
On a fustigé les barbus, on a lynché les fréristes, on a créé les réformistes de toute pièce pour nous inventer une énième catégorie qui a fini par trahir son propre dogme et ne plus exister du tout.
La boucle est bouclée.
Safiya Meziani
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