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Que pensent-ils du CNI ? Mizane.info donne la parole à des imams

De gauche à droite, M. Fassassi (FAICA), M. Hafiz (GMP) et M. Ngazou (MF). ©GMP.

Dimanche 21 novembre, un Conseil national des imams (CNI) a été inauguré sous l’initiative de quatre fédérations musulmanes. Un événement suivi sur place et à distance par plusieurs imams. Mizane.info leur donne aujourd’hui la parole.

Lancé par les quatre fédérations de la coordination, le Conseil national des imams est à présent une réalité, du moins pour ses organisateurs. Son inauguration le 21 novembre au Novotel de Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, « en présence de 400 personnes, imams et responsables de lieux de culte pour la plupart », selon le site d’information Saphirnews.com, apparait comme un premier succès pour les quatre fédérations démissionnaires du bureau du Conseil Français du Culte Musulman, et ce à trois semaines du lancement du « Conseil national des imams officiel » du CFCM.

Mais qu’en pensent les premiers concernés ? Pour le savoir, Mizane.info leur a posé la question.

« Cette organisation doit se faire avec une certaine liberté d’action et de réflexion »

Abdessamad Merimi, imam de la mosquée de Grigny (91), qui a fait le déplacement dimanche, considère que ce CNI est « une bonne initiative » car il sera géré par les imams eux-mêmes. « Le CFCM est constitué de présidents d’associations qui ne sont pas compétents pour émettre des avis religieux ou apporter des réponses aux fidèles, tout comme les présidents de mosquées. Cette fonction revient aux imams. N’importe qui ne peut pas devenir imam, il faut du personnel qualifié. »

L’imam de Grigny voit dans cette initiative une réponse adaptée à la problématique de l’homologation des imams. « M. Hafiz et M. Kbibeche ont annoncé avoir lancé cette structure pour les imams et qu’ils leur revenaient à présent de s’organiser eux-mêmes au sein de cette structure. Aucun non imam ou non mourchidate ne seront admis dans cette structure. C’est une bonne chose de donner à l’imam un statut reconnu et homologué, un peu comme les sacrificateurs qui ont une carte qui les autorise à officier dans leur fonction. En ce qui me concerne, j’ai été diplômé au conseil scientifique d’Oujda (Maroc). J’ai mon certificat pour l’attester. Le CNI fera la même chose avec les imams homologués », a-t-il confié à Mizane.info.

©GMP.

Imam à la mosquée Sirat de Brunoy (Essonne), Omar Dourmane partage le même constat d’urgence concernant la structuration de l’imamat.

« Les musulmans doivent s’organiser. Surtout pour la question de l’imamat. C’est très important. L’imamat est une question islamique essentielle. Les imams sont les premiers appelés à s’organiser », explique-t-il à notre rédaction.

Sur le lancement du CNI, l’homme se veut attentif mais prudent. « Cette organisation doit se faire avec une certaine liberté d’action et de réflexion. J’attends de voir comment les choses vont évoluer, que les éléments se clarifient. »

Omar Dourmane estime surtout que les mentalités sont mûres pour accueillir et mettre en place ce projet. « J’ai organisé des formations d’imams en tant qu’indépendant et je peux vous dire qu’ils ont pris conscience de cette nécessité d’organiser l’imamat et de distinguer les niveaux (imam ratib, khatib, référent, ndlr). Nous sommes à la sixième génération de musulmans en France, alors que pour les imams il s’agit de la quatrième génération. » Quant à la concurrence des projets entre la Coordination et le CFCM, il n’y voit pas d’inconvénient. « La diversité des CNI peut être une bonne chose pour les musulmans de France au sens où elle pourra mieux servir la diversité, la complémentarité et donc l’efficacité de ce travail sur l’imamat. Les imams verront s’il y a plus d’avantages que d’inconvénients à adhérer à ce Conseil national des imams et ils jugeront eux-mêmes » poursuit-il.

« C’est une initiative positive qui a pour but de valoriser la place des imams en France »

D’autres imams partagent cet attentisme, et veulent se donner plus de temps avant de juger ce CNI, tout en lui reconnaissant déjà certains mérites.

C’est le cas de Jamel, imam en région parisienne, présent lui aussi.

« Ce projet est louable, il réunit différentes organisations (GMP, MF, RMF, FAICA). Le travail de rassemblement a été principalement fait par Musulmans de France, puisque la mosquée de Paris comptabilise 160 imams. C’est une initiative positive qui a pour but de valoriser la place des imams en France, notamment le respect de leurs droits. Il faudra voir ensuite comment les choses vont se dérouler concrètement. Il faut laisser le temps au temps. Ce lancement était nécessaire, nous sommes même en retard. »

Au-delà de l’optimisme subsiste néanmoins quelques interrogations chez Jamel. « Il faudra être attentif pour voir si le CNI ne sera pas instrumentalisé à d’autres fins que celle de la religiosité musulmane en France pour que des états étrangers s’ingèrent dans ce dispositif. »

©GMP.

Président de l’Institut Nawawi, Abdallah Haloui est aussi imam dans la Loire. Chez lui aussi le pragmatisme dicté par l’urgence impose une souplesse dans les attentes.

« L’idéal serait que ce projet débute de la base, avec partout un conseil départemental. Mais ce n’est pas le cas. Cela est complexe et demande du temps. Il faut bien commencer quelque part par une solution palliative, le temps de mettre en place une structure plus pérenne. L’échelon départemental est essentiel, nous pouvons voir plus tard pour le national ».

« Cette instance est créée en dehors de la légitimité »

Tarik Abou Nour, théologien, président de l’Institut d’Enseignement Supérieur Islamique de Paris (IESIP) et qui se définit comme imam indépendant défend pour sa part la légitimité du projet porté par le Conseil français du culte musulman, le seul acteur institutionnel officiel, explique-t-il à Mizane.info. Il s’est déclaré d’ailleurs « choqué » par le lancement de ce CNI. « Nous avons appelé de nos vœux à la création d’un CNI depuis la fin des années 90 afin de mieux organiser la fonction sensible de l’imamat et répondre aux besoins légitimes des citoyens français musulmans.  Néanmoins, nous avons tous été choqué de cette création d’un CNI piloté par la GMP, en rupture avec le CFCM. Je rappelle que malgré ses faiblesses et les critiques qu’on lui reprochent, le CFCM reste à ce jour la seule instance officielle représentant le culte musulman en France. »

S’il réaffirme la nécessité de voir émerger un Conseil national des imams pour « fermer la porte aux faux imams auto proclamés », il reproche au CNI de la coordination l’utilisation de documents élaborés au sein du CFCM, à l’instar du président Moussaoui. « Sur le fond comme sur la forme, nous sommes à mille lieux d’une instance qui pourra être reconnue par les imams. Sur la forme, nous l’avons précisé, cette instance est créée en dehors de la légitimité. Sur le fond, les imams référents ont été exclus pour ne garder que ceux affiliés ou proche de l’islam consulaire algérien. Un président, (Amadou Ba, ndlr) avec tout le respect qu’on lui doit, inconnu, et certains membres qui m’ont confié retrouver leurs noms parachutés sans leur consentement. »

D’autres critiques ont été formulées par le Conseil théologique des imams du Rhône, sous la voix de Mohamed Minta, Azzedine Gaci et Kamal Kabtane, dénonçant conjointement le spectacle d’affrontement des fédérations nationales et réaffirmant l’exigence d’une représentation fondée sur la départementalisation du culte.

Le pragmatisme dominant des imams  

Une franche volonté d’avancer sur ce dossier de l’organisation de l’imamat ressort donc de ces consultations d’imams. Une volonté teintée de pragmatisme dans laquelle les imams ne souhaitent plus seulement se déterminer en fonction de chapelle politique et idéologique, lassés des querelles interminables des fédérations et des pays d’origine (Algérie, Maroc, Turquie) et conscients que tous les acteurs nationaux (fédérations) et internationaux tentent de toute manière d’exercer une influence politique à leur avantage. Pour autant, tous n’ont pas encore plébiscité l’institution inaugurée dimanche 21 novembre. Aux imams enthousiastes et partisans de la première heure, suivent d’autres plus prudents et qui attendent d’en savoir plus. Il ressort en effet de nos entretiens que la plupart des invités ne connaissent pas encore tous les détails de ce projet, les critères de sélection des imams, les étapes prochaines de leur mise en place. Le cas de la charte des principes pour l’islam de France, qui avait braqué plusieurs imams et mosquées, l’illustre bien. Plusieurs imams non affiliées à des fédérations estiment ainsi qu’il n’est pas obligatoire de signer cette charte pour être homologué par le CNI, alors que cette disposition est clairement mentionnée dans le préambule de ses statuts consultés parla rédaction de Mizane.info.

Conscient de la délicatesse de l’exercice, les organisateurs ont évité d’évoquer ce point dimanche après-midi, se contentant de mentionner la charte comme document fondateur dont le CNI s’engage « à promouvoir les valeurs » dans le communiqué final qui n’a pas non plus repris le terme ‘d’homophobie’ mentionné dans la charte.

Au-delà de ces considérations, ces imams formulent le vœu qu’une institution sérieuse, exigeante, efficiente puisse être gérée non plus par des laïques mais par des imams compétents afin de faire émerger une nouvelle génération légitime d’acteurs du culte musulman. Un objectif diversement interprété par les uns et les autres. Pour certains imams, l’Etat devra respecter ses engagements en matière de laïcité et de non-ingérence, pour garantir l’authenticité du projet. Pour d’autres ministres du culte et présidents de fédérations, ce projet implique nécessairement le soutien et l’engagement de l’Etat français, et donc la signature de la charte des principes pour l’islam de France, dans un contexte de défiance marqué par les attentats qui ont frappé le pays. Reste à voir comment réagiront l’ensemble des imams locaux, non affiliés à des fédérations, et de quelle manière le CNI de la coordination pourra s’implanter dans les territoires locaux alors que certains de ses acteurs ont manifesté leur réticence à l’idée d’une organisation départementale du culte musulman qui ne leur serait pas profitable étant donné la faiblesse de leur ancrage local.

Fouad Bahri

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