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mercredi 24 avril 2024

Pour une nouvelle philosophie religieuse de l’Islam 1/2

Auteur de l’essai « Islam, prélude à un commencement perdu », Hakim Fédaoui, grand lecteur de Muhammad Iqbal, nous propose l’élaboration d’une « nouvelle » philosophie religieuse de l’Islam comme contribution à la réouverture des portes de l’ijtihad intellectuel. Première partie d’un texte à lire sur Mizane.info.

Malgré les bouleversements du monde contemporain qui déplacent le centre de gravité vers l’Orient, il nous faut bien garder le cap et accompagner ce changement fondamental en continuant à réfléchir sur le renouvellement de la philosophie religieuse de l’islam. Nous devons pour cela franchir deux obstacles : une théologie archaïque et un positivisme borné. Ernest Renan aurait dit que « les idées mènent le monde ». Je rajoute que sans métaphysique, sans une pensée pérenne, l’homme sombre dans l’absurde et le nihilisme, ces deux fantômes de l’Occident.

Commençons par dire que la plus grande tragédie intellectuelle de la pensée islamique a été l’hybridation entre la pensée grecque, ayant une vision statique du monde et un mépris des réalités sensibles, et la pensée coranique ayant, elle, une perception dynamique de l’univers, et prenant en compte les réalités sensibles.

Le résultat de cette hybridation contre-nature a été de générer des sectes et des écoles théologico-philosophiques déchirant le Coran en plusieurs morceaux et opposant les versets les uns aux autres en se les jetant à la figure, et cela pendant mille ans. Le Coran devint un instrument de guerre idéologique entre écoles et la vocation régénératrice du Coran a été tout simplement arrêtée pour notre plus grand malheur.

Seuls certains penseurs et maîtres spirituels de l’islam ont lutté contre cette déchirure spirituelle/intellectuelle engendrée par le verbalisme sans fin ; ils ont préféré incarner les injonctions du Verbe grâce à leur volonté de réaliser l’unité (al ahadiya). Ils comprirent que le monde, multiple certes, n’était que la manifestation du Principe foncier Vivant (Allah) et de Son absolue énergie créatrice unifiante.

5 principes intellectuels de l’islam

Ainsi, le monde macroscopique comme microscopique ne sont qu’un ensemble d’interactions organiquement unitaires. Les contraires non seulement ne s’opposent pas réellement et métaphysiquement, mais surtout, ils sont nécessaires à leur perpétuation mutuelle. Le Coran affirme et montre des principes spirituels/intellectuels simples :

A – Le cosmos n’est qu’un ensemble d’interactions cherchant à maintenir son unité vivante (aucune chose ne peut accomplir sa fin sans avoir un lien et interagir avec son environnement) : Il (Dieu) agence du ciel vers la terre le décret, qui remonte à Lui : tout cela en un jour, valant mille ans de votre compte » (C. 32, 5) ; « Dieu donna à toute chose sa forme (nature ?) et lui a assigné sa destinée » (C 20, 50). 

B – Le changement et la mutation sont au fondement des choses (l’univers est organiquement dynamique) : « C’est Lui (Dieu) qui commence la création, puis la renouvelle encore – Ce qui est pour Lui bien facile (C.30,27) ; « Dieu ajoute à Sa création ce qu’Il veut » (C.35, 1).

C – L’univers, s’il manifeste la différenciation et la multiplicité, ne tient que par le Principe unifiant et Vivant (derrière la multiplicité il faut retrouver son unité) : « Tout habitant des cieux et de la terre Le sollicite, chaque jour Il (Dieu) s’affirme par Son intervention » (C.55, 29) ; « Les sept cieux Le glorifient, et la terre, et leurs habitants. Il n’est aucune chose qui par la louange ne le glorifie, seulement, vous ne comprenez pas leur glorification » (C. 17, 44).

D – En réalité il n’y a pas d’êtres ou de substances stables mais des existences agissantes (wujudates) et des énergies vivantes cherchant l’unification de leur vie (la notion de substance comme celle de l’être ratifient la permanence, or cette ratification nie la réalité première du changement des existences) : « Dis : chacun agit selon son mode propre » (C. 17, 84).

A lire également : Pour une nouvelle philosophie religieuse de l’Islam 2/2

E – Et enfin, le monde de la polarité ou des contraires est nécessaire pour l’harmonie des existences exprimant avant tout son unité (la physique moderne nous montre que dans le monde subatomique la matière, comme substance et agrégat de molécules insécables, n’existe pas puisque la particule peut devenir une onde et l’onde redevenir particule, de plus ce qu’on appelle particule n’est qu’une énergie c’est-à-dire une force en action) : « Dieu, qui fend la graine et le noyau, fait sortir le vivant du mort et le mort du vivant – c’est votre Dieu, comment vous en laissez-vous aliéner ? (C. 6, 95)

C’est ici qu’il nous faut dire que l’intuition de Muhammad Iqbal (certains auraient dit la prophétie) est en train de se réaliser sous nos yeux, lui qui affirmait que : « le jour n’est pas éloigné où la religion et la science pourront se découvrir des affinités mutuelles jusqu’alors insoupçonnées ».

La convergence entre science et religion

Hakim Fédaoui.

Dans le livre éminent de Fritjof Capra, le « Tao de la physique », l’auteur démontre que la nouvelle physique des particules aboutit à une vision semblable à la spiritualité orientale : « Lorsque j’ai découvert les convergences existant entre la conception du monde des physiciens et celle des mystiques, convergences auxquelles on avait déjà fait allusion mais sans jamais complètement les approfondir, j’ai eu le sentiment que je découvrais quelque chose de tout à fait évident et qui serait connu de tous dans le futur ». Capra comme grand physicien retrouve l’intuition de Muhammad Iqbal quarante ans plus tard.

Capra, après avoir rappelé les correspondances flagrantes entre le monde subatomique et la spiritualité orientale, propose d’abandonner les paradigmes anciens sur lesquels repose la modernité pour en reconstruire de nouveaux :

« Le paradigme (ancien) en voie de disparition a gouverné et dominé notre civilisation pendant de longs siècles. Non seulement il est le cadre, ou le moule, dans lequel s’est structurée la société occidentale, mais le monde entier a également subi son influence dans des proportions considérables : l’univers, postulait-on, est un système purement mécanique composé d’un assemblage de blocs élémentaires ; le corps humain est une machine perfectionnée ; la vie est une lutte permanente dans laquelle chaque organisme vivant combat pour sa survie.

Enfin – gardons l’une des meilleures pour la fin ! – un certain « ordre naturel » veut que, dans toute la hiérarchie des créatures vivantes, la femelle soit partout et toujours en situation de dépendance et de soumission vis-à-vis du mâle. D’innombrables générations ont été endoctrinées par cette idéologie, qui ne résiste pourtant pas aux découvertes de la science moderne. Dans tous les pays, des femmes et des hommes, de plus en plus nombreux, ont acquis la conviction que des hypothèses de ce genre comportent de graves lacunes et doivent être radicalement revues. Cette remise en question est actuellement en cours » (Le Tao de la physique, p.330).

Renouveler l’approche philosophique du Coran

Le grand physicien fort de ses constats, émanant des résultats de la physique des hautes énergies (étudiant les éléments de la « matière ») et qui avère la vision originale du Coran sur le cosmos et la vie, proposa six nouveaux paradigmes que nous verrons dans une seconde partie de cette étude. C’est sur cette base des nouveaux paradigmes que la nouvelle philosophie religieuse de l’Islam devra puiser sa vision du monde et de la société humaine.

Cette nouvelle révolution philosophique qui ne fait que revenir à la vision originelle du Coran aura un impact sur notre rapport aux savoirs islamiques. En effet, le fiqh (la règle religieuse sur les affaires mondaines du croyant) qui est, il ne faut jamais cesser de le rappeler, la science des moyens, en sera sûrement bouleversé ; ce bouleversement permettra au fiqh de revenir à sa juste place qui est secondaire par rapport à la science des fins (la philosophie religieuse).

Il en sera de même de notre approche segmentée du Coran, notre habitude de lecture linéaire et plate du Coran est purement contre-intuitive, il nous faut donc l’abandonner. Le Coran a une structure organique et en réseau, un microcosme et macrocosme en perpétuel mouvement et où les versets sont interdépendants, interagissants et vivants avec son lecteur, qui n’est pas un simple spectateur lointain, mais bel et bien un acteur pris dans l’univers coranique et dans tout son environnement ; le sujet et son objet sont liés organiquement.

Hakim Fédaoui

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