Dans ce texte extrait du Livre VIII de l’Ennéade III, Plotin rappelle que la contemplation est une finalité partagée par toutes choses et que c’est par la voie de cette contemplation que s’atteint le retour à l’Unité de l’Un.
Quand on agit, c’est pour contempler et pour posséder l’objet contemplé. La pratique a donc pour fin la contemplation. Ce qu’elle ne peut atteindre directement, elle tâche de l’obtenir par une voie détournée. Il en est de même quand on atteint l’objet de ses vœux : ce qu’on souhaite, ce n’est pas de posséder l’objet de ses vœux sans le connaître, c’est au contraire de le connaître à fond, de le voir présent en son âme et de pouvoir l’y contempler.
En effet, c’est toujours en vue du bien qu’on agit : on veut l’avoir intérieurement, se l’approprier et trouver dans sa possession le résultat de son action ; or, comme on ne peut posséder le bien que par l’âme, l’action nous ramène encore ici à la contemplation.
« Dans la connaissance, il y a identité entre le sujet connaissant et l’objet connu »
Puisque l’âme est une raison, ce qu’elle est capable de posséder ne saurait être qu’une raison silencieuse, d’autant plus silencieuse qu’elle est plus raison : car la raison parfaite ne cherche plus rien : elle se repose dans l’évidence de ce dont elle est remplie ; plus l’évidence est complète, plus la contemplation est calme, plus elle ramène l’âme à l’unité.
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En effet, dans l’acte de la connaissance (et nous parlons ici sérieusement), il y a identité entre le sujet
connaissant et l’objet connu. S’ils faisaient deux choses, ils seraient différents, étrangers l’un à l’autre, sans véritable liaison, comme les raisons [sont étrangères à l’âme] quand elles y sommeillent sans être y aperçues. La raison ne doit donc pas rester étrangère à l’âme qui apprend, mais lui être unie, lui devenir propre. Donc, quand l’âme s’est approprié une raison et s’est familiarisée avec elle, elle la tire en quelque sorte de son sein pour l’examiner.

Le principe de distinction
Elle remarque ainsi la chose qu’elle possédait [sans le savoir], s’en distingue en l’examinant, et, par la conception qu’elle s’en forme, la considère comme une chose étrangère à elle-même : car, quoique l’âme soit elle-même une raison et une espèce d’intelligence, cependant, quand elle considère une chose, elle la considère comme distincte d’elle-même, parce qu’elle ne possède pas la plénitude véritable et qu’elle est défectueuse à l’égard de son principe [qui est l’intelligence].
Elle considère d’ailleurs avec calme ce qu’elle tire d’elle même : car elle ne tire pas d’elle-même ce dont elle n’avait pas déjà quelque notion. Si d’ailleurs elle tire quelque chose de son sein, c’est qu’elle en avait une vue incomplète et qu’elle veut le connaître. Dans ses actes [tels que la sensation], elle adapte aux objets extérieurs les raisons qu’elle possède.
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D’un côté, comme elle possède [les intelligibles] mieux que la nature, elle est aussi plus calme et en même temps plus contemplative ; d’un autre côté, comme elle ne possède pas parfaitement [les intelligibles], elle désire plus que l’intelligence] avoir de l’objet qu’elle contemple cette connaissance et cette contemplation qu’on acquiert d’un objet en l’examinant.
Conversion et retour à l’unité
Après s’être écartée de sa partie supérieure et avoir parcouru [par la raison discursive] la série des différences, elle revient à elle-même, et se livre de nouveau à la contemplation par sa partie supérieure l’intelligence], dont elle s’était écartée [pour considérer les différences] : car cette partie ne s’occupe pas des différences, parce qu’elle demeure en elle-même.
Aussi l’esprit sage est-il identique avec la raison et possède-t-il en lui-même ce qu’il découvre aux autres. Il se contemple lui-même ; il est arrivé à l’unité non-seulement par rapport aux objets extérieurs, mais encore par rapport à lui-même ; il se repose dans cette unité et il trouve toutes choses en son propre sein.