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jeudi 18 avril 2024

Plan laïcité : vers une police des vêtements ?

Le plan laïcité de Pap Ndiaye adressé aux recteurs académiques et établissements scolaires est une nouvelle étape du durcissement adopté par l’exécutif français dans son rapport à la religiosité des jeunes. Une impasse dangereuse qui éteint chaque jour un peu plus la liberté de conscience en France. Editorial.

Au pays de Voltaire, la lumière s’éteint, et le courant ne semble plus passer. Pourtant, Moscou n’y est pour rien. Depuis les années 2000, la France s’est engagée dans une croisade interminable contre la pratique religieuse musulmane. Au nom de la laïcité, des lois, arrêtés, circulaires, programmes politiques et déclarations ont réduit progressivement la liberté religieuse musulmane à peau de chagrin.

Le laïcisme, toutes voiles dehors !

La loi du 15 mars 2004 avait déjà interdit le port du voile aux jeunes étudiantes des collèges et lycées. Pour le ministère de l’éducation nationale, visiblement cela ne suffit pas. Une nouvelle circulaire dite plan laïcité, adressé aux recteurs académiques et responsables d’établissements, préconise une sanction systématique contre toute violation de la laïcité.

De quoi s’agit-il ? Pas du port du voile, puisqu’il est interdit depuis 2004. Pap Ndiaye vise sans les nommer dans la circulaire les ‘abayas et les jupes longues, « des signes religieux par destination » selon de précédentes déclarations.   

« Ce plan laïcité, écrit Europe 1, vise avant tout « le port de tenue signifiant une appartenance religieuse, encouragée notamment par certains réseaux sociaux« , qui « a fait naître des inquiétudes au sein des communautés éducatives et de l’opinion publique« . Pap Ndiaye insiste, dans ce document, sur la publication d’un relevé mensuel sur les atteintes à la laïcité « qui doit devenir un véritable outil de pilotage« . »

Sanction et recensement. La sanction doit être « systématique » mais « graduée », après une phase de dialogue. Si « les comportements constituent bien aux manquements des obligations des élèves, le chef d’établissement doit engager une procédure disciplinaire », précise le texte.

« Plus de 80% des atteintes au principe de laïcité sont le fait des élèves, pour moitié des collégiens et pour un tiers des lycéens », ajoute la circulaire. Face au mécontentement des enseignants qui dénonce un manque de clarté et la difficulté de sanctionner des jeunes en situation de fragilité, le ministre leur demande de relayer aux jeunes les éléments de « doctrine » existant et les renvoient aux référents du pôle « valeurs de la République ».  

La radicalisation laïque de la France

Que faire en cas de menace ou d’infraction pénale ? Pour Pap Ndiaye, « toute infraction pénale doit donner lieu à une plainte ou à un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale ». Le personnel enseignant est même tenu de « veiller à ce que les services de police et de gendarmerie soient systématiquement appelées en cas de danger imminent, et prévenus de l’ensemble des incidents graves ».

Selon les chiffres diffusés par la presse française, près de 720 incidents ont été signalés en octobre, contre 313 en septembre. « Le port de signes et tenues religieux » représenterait près de 40% des signalements. Les provocations verbales (14%), la contestation d’enseignement (12%) ou le refus de valeurs républicaines (9%) complètent ce tableau sombre.

Comment en est-on arrivé là ?

Comment sommes-nous passés d’une société française semi-libérale dans les années 1980, dans laquelle l’indifférence religieuse était presque de mise, à une police de la pensée française et aujourd’hui, une police des vêtements à la sortie des écoles ?

De la laïcité juridique à la religion laïque

Comment expliquer que la France puisse avoir des ministres et des chefs d’état justifiant une forme d’inquisition interdisant aux jeunes filles et femmes de porter librement des jupes ou des robes ? Une forme de paranoïa antireligieuse qui contredit violemment le narratif factice du politique sur la liberté de conscience, la liberté religieuse, les valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité). Une persécution pathologique de toute trace de Dieu qui en dit long sur les motivations de ses clercs.

Il n’est pas possible de comprendre cette dérive sans tenir compte d’un phénomène de fond encore peu analysée : la mutation de la laïcité française en religion laïque. La laïcité n’est plus un idéal de liberté (l’a-t-elle jamais été ?) irriguant un droit et une loi française mais une croyance d’état officielle avec un droit canon déterminant ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas, le licite et l’illicite, et une institution ecclésiale chargée de veiller à son respect. L’exécutif français a fait le choix de se raccrocher mordicus à une conception exclusive et excluante d’une laïcité religieuse, couvre-chef pudique d’un agnosticisme d’état mal dissimulé. Un soviétisme sans les soviets.

La France des décideurs politiques, des hauts fonctionnaires d’état, la France des éditorialistes et des traders, la France d’en haut (une hauteur sociale) qui a le vertige quand elle regarde en bas, cette France aussi large que le chas d’une aiguille entend recoudre d’un fil usée les blessures qu’elle a su infliger. Mais les cicatrices ne disparaissent pas et témoignent.   

Pap Ndiaye et le doute méthodique

Dans cette fuite en avant radicale, justifiée par des options idéologiques qu’un pragmatisme politique de domestication de l’extrême droite ne peut que renforcer, la classe politique française joue la surenchère permanente, en usant de provocations. On peut se questionner sérieusement sur la finalité poursuivie…

Convoquer des jeunes filles et des parents d’élèves pour les sommer de leur faire retirer leurs jupes ou leurs robes ne peut aboutir qu’à une chose : humilier, provoquer, punir.

Qui accepterait sérieusement de se faire dicter sa manière de s’habiller, et par extension, sa manière de croire et de vivre sa foi, dans un régime authentiquement démocratique ? La dérive autoritaire d’un laïcisme d’état antimusulman annonce de sombres jours pour la société française.  

En poussant la jeunesse musulmane française à la colère, à la tension et à la défense de sa dignité humaine, celle de vivre, s’habiller et de croire comme elle l’entend, le ministère de l’éducation nationale joue à un jeu dangereux. Créer de faux délits anti-laïques et provoquer la jeunesse en la privant de ses droits pour mieux la réprimer au nom de cette violation de la laïcité, ne renforcera que le fossé entre elle et la Nation. Ce à un moment où l’éducation nationale traverse sa crise la plus grave, marquée par la démission importante d’enseignants, l’absence de moyens et la réduction des heures d’enseignements, au détriment des acquis des élèves. 

Il est donc grand temps pour Pap Ndiaye de revenir à la raison et de s’adonner à un doute méthodique cartésien sur la ligne politique qu’il poursuit, si tant est qu’il possède la moindre liberté de manœuvre en ce domaine, et se concentre sur les vrais priorités de l’éducation nationale. Au risque d’allumer de nouveaux incendies et de fragiliser un corps social déjà abîmé par une politique de prédation néolibérale féroce et vorace. 

Fouad Bahri

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