« Il n’y avait pas de jeune Qurayshite comparable à lui », ainsi le Prophète ﷺ décrivit Musʿab Ibn ʿUmayr, ce compagnon qui abandonna le confort de son milieu social et la richesse pour la cause de Dieu. Célèbre émissaire du Prophète à Médine, il fut le précurseur de la grande Hégire et le porte-étendard de l’Islam lors de la bataille d’Uhud. Portrait.
Son nom complet est Musʿab Ibn ʿUmayr Ibn Hâshim Ibn ʿAbd Manâf. Son surnom (kunya) est Abû ʿAbd Allah, et il est également connu sous le nom de Musʿab al-Khayr (« Musʿab le Bon »). Il eut, avec son épouse Hamana, une fille nommée Zaynab Bint Musʿab, par laquelle sa descendance se perpétua. Sa mère, Khannâs Bint Mâlik, comptait parmi les femmes mecquoise les plus riches parmi les Quraychites.
Touché par les versets du Coran
Musʿab Ibn ʿUmayr naquit et grandit dans un milieu aisé et raffiné. Ses parents, très attentionnés, veillaient sur lui avec tendresse. Il portait des vêtements luxueux et des chaussures élégantes, symboles de son rang. Son comportement exemplaire et son intelligence lui valurent l’estime des notables mecquois. Bien qu’encore jeune, il assistait souvent aux débats et aux réunions des Quraychites, ce qui lui permit de connaître les questions qui agitaient La Mecque.
À cette époque, Muhammad ﷺ, surnommé « Al-Amîn » (le digne de confiance), provoquait de vives discussions parmi les habitants de La Mecque. Il affirmait que Dieu l’avait envoyé en tant que porteur de bonne nouvelle et avertisseur, et toute la cité parlait de lui. Les chefs quraychites, craignant son influence grandissante, cherchèrent des moyens de le réduire au silence et lancèrent une campagne de harcèlement et de persécutions.

Musʿab apprit que le Prophète ﷺ et ses compagnons se réunissaient dans une maison proche de la colline de Safâ, la maison d’Al-Arqam, afin d’échapper aux violences. Curieux, Musʿab s’y rendit discrètement. Là, il vit le Prophète prêcher, réciter les versets du Saint Coran et diriger la prière. Émerveillé, Musʿab fut profondément touché par la puissance spirituelle des paroles qu’il entendait. Un sentiment de sérénité envahit son cœur.
A découvert, le Prophète ﷺ l’accueillit et posa sa main bénie sur sa poitrine. Musʿab ressentit alors une paix indicible et décida d’embrasser l’Islam, sur le champ, sans hésitation.
Sous la tyrannie de Khannas Bint Malik
Cependant, sa conversion posait un grave problème : sa mère, Khannâs Bint Mâlik, femme de caractère et d’influence, avait en aversion la nouvelle religion prêchée par le Prophète. Musʿab préféra donc cacher sa foi jusqu’à ce que Dieu lui offre une issue. Il continua à fréquenter secrètement la maison d’Al-Arqam pour rencontrer le Prophète ﷺ et les croyants. Mais un jour, ʿUthmân Ibn Talha le surprit entrant dans la demeure et le vit prier comme le faisait Muhammad ﷺ.
La nouvelle se répandit aussitôt parmi les Quraychites et parvint aux oreilles de sa mère. Musʿab fut convoqué devant sa famille et les notables pour s’expliquer. Il ne chercha pas à dissimuler la vérité : il proclama fièrement son adhésion à l’Islam, récitant des versets du Coran. Sa mère, furieuse, voulut le gifler, mais son regard croisa celui de son fils, empreint de lumière et de sérénité, et elle s’en abstint. Elle choisit alors de l’enfermer dans sa propre maison, le retenant prisonnier sous surveillance.
Durant cette captivité, Musʿab fut privé de tout contact avec le Prophète ﷺ et les compagnons, mais sa foi resta ferme. Un jour, il apprit qu’un groupe de musulmans allait émigrer vers l’Abyssinie pour fuir la persécution. Il décida de tenter sa chance. Profitant d’un moment d’inattention, il réussit à s’échapper et rejoignit les croyants. Ensemble, ils traversèrent la mer Rouge et trouvèrent refuge sur les côtes africaines, en Abyssinie.

Exil en Abyssinie et retour à La Mecque
Protégés par le Négus, les musulmans vivaient en Abyssinie dans la paix et la sécurité. Pourtant, leurs cœurs demeuraient attachés à La Mecque et au Prophète ﷺ. Lorsque se répandit la rumeur selon laquelle la situation des croyants s’était améliorée à La Mecque, Musʿab fut parmi les premiers à vouloir rentrer. Mais à son retour, sa mère le menaça de l’enfermer à nouveau. Musʿab jura alors qu’il tuerait quiconque essaierai de le capturer.
La rupture entre eux devint inévitable. En le chassant de sa maison, sa mère lui ôtait tout le confort dont il avait joui. Elle lui dit : « Va à tes occupations. Je ne peux plus être ta mère ». Musʿab s’approcha d’elle et déclara : « Mère, je te conseille sincèrement, je ne suis pas indifférent à ton sort. Atteste qu’il n’y a de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager ». Elle répondit : « Je jure par les étoiles filantes que jamais je ne rentrerai dans ta religion, même si mon choix paraît insensé ».
Devant ce refus, Musʿab partit sans se retourner. Celui qui autrefois brillait par son élégance allait désormais revêtir les habits les plus simples. Quand Musʿab rejoignait désormais les compagnons du Prophète ﷺ, ceux-ci restaient saisis à la vue de son apparence modeste. Ils se souvenaient du jeune homme qu’il avait été : raffiné, soigné et admiré. Le Prophète posa sur lui un regard attendri, sourit, et dit : « J’ai vu Musʿab chez ses parents à La Mecque. Leurs soins lui assuraient une vie confortable. Il n’y avait pas de jeune Qurayshite comparable à lui. Puis il quitta tout pour rechercher l’agrément de Dieu et se dévoua au service de Son Prophète. »
Emissaire du Prophète à Médine
Lors de la douzième année après la Révélation (vers 609-610 C), à la suite du pacte d’al-ʿAqaba, plusieurs habitants de Yathrib (futur Médine) prêtèrent allégeance au Prophète ﷺ. Leur représentant, Sa’d Ibn Zurâra, demanda alors qu’un enseignant leur soit envoyé afin de leur transmettre le Coran et les principes de l’Islam. Le Prophète choisit naturellement Musʿab Ibn ʿUmayr, le désignant comme son émissaire à Yathrib, pour instruire le petit groupe de croyants qui lui avait juré fidélité et préparer Médine à la future hijra (grande émigration).

Le choix du Prophète ﷺ fut motivé par le noble caractère de Musʿab, sa sagesse, et sa maîtrise du Saint Coran. Il arriva à Médine comme l’invité de Saʿd Ibn Zurâra, de la tribu des Khazraj. Ensemble, ils se rendirent auprès des habitants, dans leurs maisons et assemblées, leur parlant du Prophète, leur expliquant l’Islam et leur récitant le Coran. Par la grâce d’Allah, nombreux furent ceux qui embrassèrent la foi. Mais les chefs de Yathrib commencèrent à s’inquiéter.
Un jour, tandis que Musʿab et Saʿd étaient assis près d’un verger du clan de Zafar, entourés de croyants récents et de curieux, un notable respecté, Usayd Ibn Khudayr, surgit, lance à la main, le visage rouge de colère. Saʿd Ibn Zurârah aperçut Usayd et dit à Musʿab : « C’est le chef de ces gens. Puisse Dieu ouvrir son cœur à la vérité. ». Usayd, irrité, s’écria : « Pourquoi êtes-vous venus semer la discorde parmi nous ? Quittez ces lieux si vous tenez à la vie ! » Musʿab, avec douceur, lui dit : « Ne veux-tu pas t’asseoir et écouter ? Si ce que nous disons te plaît, accepte-le ; sinon, nous cesserons d’en parler et partirons. »
« C’est une bonne proposition » répondit Usayd, qui planta aussitôt sa lance et s’assit. Musʿab commença à lui parler de l’Islam et lui récita des versets du Coran. Avant même qu’Usayd ouvrit la bouche, son visage rayonnait de sérénité : la foi avait déjà touché son cœur. Il dit alors : « Que ces paroles sont belles et véridiques ! Que dois-je faire pour entrer dans cette religion ? », Musʿab répondit : « Prends un bain, purifie tes vêtements, récite l’attestation de foi et accomplis la prière (salât) ». Usayd s’absenta un instant, puis revint converti à l’Islam.
La grande Hijra et la bataille de Badr
Après sa proclamation de foi, Usayd Ibn Khudayr pria deux unités de prière et déclara : « Après moi, un homme viendra ; s’il vous suit, tout son peuple fera de même. C’est Saʿd Ibn Muʿâdh. Je vais te l’envoyer ». Saʿd Ibn Muʿâdh arriva à son tour, écouta attentivement Musʿab, et accepta l’Islam, bientôt suivi de Saʿd Ibn ʿUbâdah, un autre chef de Yathrib. La nouvelle se répandit vite au sein des notables de Yathrib qui se questionna alors: « Si Usayd, Saʿd Ibn Muʿâdh et Saʿd Ibn ʿUbâdah ont adopté cette religion, comment pourrions-nous ne pas la suivre ? ».
Ainsi, le premier ambassadeur du Prophète ﷺ réussit pleinement sa mission. L’Hégire pouvait désormais s’organiser. Moins d’un an après son arrivée à Yathrib, Musʿab retourna à La Mecque, accompagné de soixante-quinze croyants médinois venus pour le pèlerinage. À Al-ʿAqabah, près de Mina, ils rencontrèrent le Prophète ﷺ et lui promirent fidélité et protection. Ce second pacte (Bayʿah), connu plus tard comme le pacte de guerre, marqua le point de départ des grands événements qui allaient suivre.

Peu après le pacte d’Al-ʿAqabah, le Prophète ﷺ ordonna à ses compagnons persécutés d’émigrer à Yathrib, où les nouveaux croyants — les Ansars (les partisans) — avaient promis de leur offrir asile et protection. Après leur installation, survint la bataille de Badr. Elle fut remportée par les musulmans, qui firent de nombreux prisonniers qurayshites. Les captifs étaient présentés devant le Prophète et confiés, chacun, à un musulman pour être gardé. « Traitez-les bien. », recommanda le Prophète.
Parmi les prisonniers se trouvait Zurâra Ibn ʿUmayr, le frère de Musʿab. Zurâra rapporta lui-même cet épisode : « J’étais détenu parmi un groupe d’Ansars. Lorsqu’ils mangeaient du pain ou des dattes, ils m’en donnaient, appliquant fidèlement les recommandations du Prophète. Un jour, mon frère Musʿab passa devant moi et dit à l’homme des Ansâr qui me gardait : “Attache-le solidement. Sa mère est une femme aisée, peut-être paiera-t-elle une rançon « . Je n’en crus pas mes oreilles et lui dis : “Mon frère, est-ce là ton conseil à mon sujet ?, il répondit : “Lui est mon frère, pas toi.” ». Par ce comportement, Musʿab démontra qu’en Islam les liens de foi surpassaient les liens de sang.
« Muhammad n’est qu’un messager. Des messagers sont passés avant lui ! »
Lors de la bataille d’Uhud, le Prophète confia à Musʿab, surnommé dorénavant « Mus’ab Al-Khayr » (Musʿab le Bon), l’étendard de l’Islam. Au début du combat, les musulmans dominaient leurs ennemis, mais un groupe désobéit aux ordres du Prophète et quitta son poste, permettant aux Qurayshites de contre-attaquer. Leur objectif principal était clair : atteindre et tuer Muhammad ﷺ. Musʿab comprit le danger.
Il leva haut l’étendard de l’Islam, tout en criant le takbîr : « Allâhu Akbar ! ». Brandissant l’étendard d’une main et son épée de l’autre, il s’élança contre les Qurayshites. Un cavalier ennemi lui trancha la main droite. Alors qu’il saignait, Musʿab répétait : « Muhammad n’est qu’un messager. Des messagers sont passés avant lui ». Ces mots montraient que, par-delà son amour pour le Prophète, il combattait pour la cause de Dieu.
Son bras gauche fut à son tour tranché, mais il persista à tenir l’étendard entre les moignons qui lui restaient, tout en répétant inlassablement : « Muhammad n’est qu’un messager. Des messagers sont passés avant lui ». Puis, une lance le transperça, et Musʿab tomba au sol, l’étendard tombant avec lui. Les paroles qu’il répétait avant de mourir furent révélées plus tard au Prophète ﷺ et mentionnés dans le Saint Coran, dans le verset : { Muhammad n’est qu’un messager. Des messagers avant lui sont passés } S.3 – V.144.

Le modeste linceul de Mus’ab
Après la bataille, le Prophète ﷺ et ses compagnons parcoururent le champ de bataille pour faire leurs adieux aux martyrs. Le Prophète ressentit une immense tristesse à la vue du grand nombre de compagnons tombés à Uhud. Parmi les victimes se trouvait également son oncle Hamza, dont le corps avait été atrocement mutilé. Lorsqu’ils arrivèrent devant la dépouille de Musʿab, les larmes du Prophète se mirent à couler.
Le compagnon Khabbâb rapporta qu’ils ne purent trouver aucun linceul complet pour couvrir son corps, si ce n’est le vêtement qu’il portait. Quand ils le placèrent sur sa tête, ses jambes restaient découvertes, et lorsqu’ils le descendirent pour couvrir ses pieds, sa tête se découvrait. Alors le Prophète ﷺ leur dit : « Placez le tissu sur sa tête, et couvrez ses pieds avec les feuilles de la plante d’ikhkhir ».
Lorsque les compagnons portaient son corps, le Prophète évoqua son souvenir et dit : « Je n’oublie pas t’avoir vu à La Mecque, quand personne n’avait de plus beaux vêtements que toi. Et aujourd’hui te voilà, la tête poussiéreuse, enveloppé d’un simple tissu ». Puis, se tournant vers les compagnons, le Messager de Dieu déclara : « Ô gens ! Visitez-les et saluez-les en leur souhaitant la paix. Par Celui qui détient mon âme, tout musulman qui les saluera jusqu’au Jour du Jugement, ils lui rendront le salut ». Musʿab Ibn ʿUmayr avait quarante ans au moment de sa mort.
Ibrahim Madras
