La perspective d’un ordre de frappe américain sur l’Iran fissure les rangs de la base MAGA, longtemps unie par son rejet des interventions prolongées à l’étranger. Entre pressions internes et inquiétudes stratégiques, Trump navigue à vue.
Des anciennes convictions en tension
La perspective que le président Donald Trump puisse ordonner une attaque contre les installations nucléaires iraniennes a déchiré les dirigeants de sa base politique, une coalition en partie forgée par l’opposition de Trump aux précédentes guerres au Moyen-Orient.
Lorsqu’il s’est présenté dans le hall de la Trump Tower et a lancé sa première campagne présidentielle il y a dix ans cette semaine, Trump a promis « d’empêcher l’Iran d’obtenir des armes nucléaires », une posture qu’il a maintenue. Mais il s’est aussi démarqué des faucons des deux partis, critiquant les « guerres sans fin », en particulier les conflits au Moyen-Orient qui ont marqué les deux premières décennies du XXIᵉ siècle, consolidant ainsi une coalition d’électeurs opposés aux dépenses militaires à l’étranger.
Une base solide, mais divisée
Aujourd’hui, certaines figures historiques du mouvement Make America Great Again – des alliés de droite qui ont défendu ses positions les plus tranchées et l’ont soutenu après 2020 – mettent en garde : aider Israël contre l’Iran serait franchir une ligne rouge.
« En ce moment, je peux vous dire que le président Trump subit une pression énorme », a affirmé au Washington Post Stephen K. Bannon, ancien conseiller de Trump, anime une émission influente auprès des fidèles. Bannon compte parmi ceux qui s’opposent clairement à l’engagement militaire américain.

Les sondages de son premier mandat et de cette année montrent que les Républicains sont plus enclins que le reste des Américains à soutenir une action contre l’Iran, même si 25 à 30 % des Républicains rejettent une frappe militaire. Toutefois, les stratèges de la Maison-Blanche mesurent les risques : une guerre pourrait fragiliser la base MAGA.
J.D. Vance : une voix critique aux côtés de Trump
Le vice-président J.D. Vance, opposé à toute forme d’intervention étrangère, a souligné dans un long message sur les réseaux sociaux la pression exercée sur Trump. Défendant le bilan de son mentor, il a estimé que « les gens ont raison de s’inquiéter de l’implication étrangère après 25 ans de politique étrangère absurde ». Mais selon lui, « le président a acquis une certaine légitimité sur ce sujet ».
Ces derniers jours, Trump a montré peu de tolérance envers ses alliés devenus critiques. Lundi, il a qualifié Tucker Carlson de « bizarre », quelques heures après que ce dernier ait exprimé ses réserves sur le risque d’une guerre. Trump a aussi attaqué publiquement Tulsi Gabbard, directrice du renseignement national, défendue par des figures MAGA comme résistante aux « fauteurs de guerre » au sein des services de renseignement.
En mars, Gabbard avait témoigné que l’Iran ne semblait pas construire d’arme nucléaire. Trump a balayé ces propos : « Peu m’importe ce qu’elle a dit… Je pense qu’ils étaient très proches d’en avoir un. »
Dilemme stratégique au sommet
La porte-parole de la Maison-Blanche, Anna Kelly, l’a confirmé : « l’objectif de Trump est de garantir que l’Iran n’accède pas à l’arme nucléaire ». Mais la méthode – diplomatie ou frappe – pourrait bien fracturer la base. Une issue négociée pourrait renforcer l’aura du négociateur Trump, tandis que le recours à la guerre serait vécu comme une trahison par certains.
« Je pense que c’est un tournant pour ce que l’on peut appeler le mouvement ‘America First’ », confie à titre anonyme un ancien haut responsable du Pentagone. « Les militants MAGA qui ont tant investi dans l’élection de Trump seront terriblement déçus si tout cela débouche sur un conflit élargi, et cela créera des divisions. » Il évoque une « frustration latente envers Israël », peu vocale, par crainte d’être taxée d’antisémitisme.
Pression politique au Capitole
Fox News conserve des voix pro-intervention fortes, comme celles des sénateurs Lindsey Graham et Tom Cotton. Graham a même proposé d’armer Israël pour « renverser ce régime » iranien. Au Congrès, certains républicains comme Rand Paul et Marjorie Taylor Greene, et des démocrates comme le sénateur Tim Kaine, appellent à la retenue, soulignant que « la diplomatie naît de la retenue ».

Malgré son scepticisme affiché contre les guerres, Trump a ordonné pendant son premier mandat plusieurs interventions : renforts de troupes en Afghanistan, lutte contre l’État islamique, et la frappe de drone ayant tué le général Soleimani.
Une offensive contre les sites nucléaires serait de tout autre ampleur – ciblant des installations sensibles et risquant une riposte iranienne d’une toute autre échelle.
Un risque pour l’héritage Trump
Tucker Carlson a prévenu : « Je pense que nous allons assister à la fin de l’empire américain… mais aussi à la fin, je crois, de la présidence de Trump – et c’est pourquoi je dis cela ». Charlie Kirk, influent auprès des jeunes conservateurs, rappelle que le refus d’interventions étrangères est une « ligne rouge du mouvement MAGA » et affirme que Trump cherche un compromis stratégique.
Bannon rappelle la fameuse tirade de Trump en 2016 contre Jeb Bush : « De toute évidence, la guerre en Irak a été une énorme erreur ». Trump avait alors déclaré que la guerre ne serait jamais son « premier réflexe », insistant sur « la prudence et la retenue » comme signes de force.
Ambivalence de l’opinion publique
Même en pleine montée des tensions, l’opinion américaine reste divisée. En 2019, seuls 18 % des adultes (25 % des républicains) souhaitaient une action militaire contre le nucléaire iranien ; 72 % des républicains privilégiaient surtout des démarches diplomatiques et économiques.
En 2025, 69 % des républicains soutiendraient des frappes aériennes contre les installations nucléaires iraniennes si le pays relance son programme nucléaire, contre seulement 36 % des démocrates.
Le sénateur Jim Banks (R‑Indiana) résume : « J’ai confiance en Trump et en ses décisions, quelles qu’elles soient. Je sais qu’il y aura de bonnes raisons de le faire. » « Nous soutenons Israël, toujours » ajoute‑t‑il, tout en rappelant que ces décisions sont « complexes et réservées au commandant en chef ».