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Le quartier des maghrébins, Jérusalem : 1187 – 1967

Le quartier des maghrébins, Jérusalem : 1187 - 1967

Il y a 58 ans, le quartier des Maghrébins à Jérusalem était rasé par les forces d’occupation sionistes en Palestine. Un crime historique à ne jamais oublier. Mehdi Bennani nous en retrace la filiation dans une chronique à lire sur Mizane.info.

10 juin 1967 : il y a 58 ans jour pour jour aujourd’hui, le quartier des maghrébins à Jérusalem, attenant au mur des lamentations, est rasé, dans un silence assourdissant, par des bulldozers israéliens. Une simple expropriation dans le cadre d’un projet de mise à niveau urbaine au bénéfice de tous, avec indemnisation juste et équitable des ayants droits…? En aucun cas. Plutôt une prise de guerre illégale, si longtemps convoitée, si sournoisement préparée, jusqu’au coup fatal porté au cours de la guerre des 6 jours. En jeu, un microcosme urbain protégé par une fondation pieuse, wakf, inaliénable, plusieurs fois centenaire, constituée de biens de mainmorte, et en charge par ses revenus d’une mission : offrir le gîte, le couvert, l’habit voire le linceul, aux ressortissants d’Afrique du Nord de passage ou résidents à Jérusalem.

Le rôle historique de Saladin

Le quartier des maghrébins, a été créé sur décision de Saladin en 1187 pour inciter les musulmans d’occident, de la Libye à l’Andalousie à l’époque, à s’installer en Palestine au vu de leur contribution effective à la lutte contre les croisés pour la prise de Jérusalem, puis la sécurisation de la Méditerranée orientale. Deux événements sans lien apparent ont été alors déterminant dans cet acte fondateur : la participation décisive à la bataille de Hattin de volontaires venus d’Afrique du Nord, puis à partir de 1190, le contrôle par la flotte du sultan almohade Yacoub Al Mansour, à la demande de Saladin, du détroit de Sicile contribuant ainsi à la levée du siège d’Acre. De cette union sacrée a découlé la création du quartier puis sa pérennité pendant presque huit siècles, comme élément central du wakf.

A l’échelle d’une si longue période, les événements se sont alors succédés, avec dans un premier temps la consolidation des éléments matériels de la fondation. On peut citer à ce titre séance tenante, la délimitation du quartier par le fils de Saladin, Al Afdal Ali, en 1193, puis par la suite l’ajout d’une zawiya en 1303, et enfin la donation en 1320 par un descendant de Abou Mediene (un andalou compagnon de lutte de Saladin, né à Séville et mort à Tlemcen), du village de Aïn Karem, dont l’usufruit a constitué la principale ressource du wakf jusqu’à la fin du mandat britannique sur la Palestine, en 1948. À ce patrimoine, sont venus s’agréger de nouvelles donations, au fil du temps, à Jérusalem ou dans d’autres localités, notamment à Gaza.

La gestion ottomane du quartier des Maghrébins

Sous l’empire ottoman, la fondation a connu une administration irréprochable tant sur le plan politique que financier, en plus d’une attention particulière de la part du Califat d’Istanbul. Le quartier maghrébin, parfaitement intégré dans son environnement, a cependant pu préserver sa spécificité culturelle et sa vocation première. Ainsi, il y a eu d’une part un afflux des pèlerins musulmans jamais interrompu favorisant les échanges et des liens permanent entre Jérusalem et l’ensemble du Maghreb, et d’autre part une protection juridique stricte, efficiente pour prévenir tout détournement des biens de la fondation.

Quant à la proximité du mur occidental dit mur des lamentations, il est important de noter que d’un point de vue historique, les communautés maghrébines ont élu domicile à cet emplacement trois siècles avant toute tentative de sanctuarisation juive de cette portion du mur au 16ème siècle, survenue pendant la période ottomane. Les pèlerins de confession juive avaient néanmoins « l’autorisation de venir vénérer cet endroit selon l’ancienne coutume » à en croire un courrier destiné au gouverneur de Jérusalem, Ahmed Agha Doustar, daté du 19 novembre 1840.

L’opportunisme des Français

L’émergence de mouvements sionistes à la fin du 19ème siècle n’ont eu aucune incidence sur la vie des maghrébins de Jérusalem, ni sur la fondation, jusqu’au début du mandat britannique en 1917. Commence alors un travail de sape ayant pour objectif de démembrer la fondation pieuse sous couvert de réformes administratives et de mise à niveau urbaine. Aïn Karem a fait alors l’objet d’une triple action : inscription au cadastre, fiscalisation des recettes, et enfin forfaitisation des revenus, créant ainsi les conditions de la spoliation sous un couvert légal, en conférant aux locataires un droit de propriété.

Le quartier maghrébin quant à lui est devenu, ni plus ni moins, qu’un projet de jardin public à mettre en chantier dès que possible. Le tremblement de terre de 1927, l’attentat à proximité du mur orchestré par l’Irgoun la même année, les émeutes de 1929, ou encore la révolte palestinienne de 1936, ponctueront cette période trouble.

En 1948, avec le départ des anglais, la France, puissance occupante d’Afrique du Nord récupère pleinement la gestion de ce qui s’apparente de plus en plus à un bateau à la dérive, privé de ses vivres, après l’annexion, sans autre forme de procès, des terres agricoles et du village de Aïn Karem par les israéliens. La diplomatie française se retrouve alors en première ligne, avec la volonté d’articuler, par opportunisme politique, les enjeux du maintien de la présence française en Algérie (et accessoirement au Maroc et en Tunisie) avec l’affirmation de la pleine souveraineté de la France sur l’ensemble de ses possessions en Terre Sainte.

Le don de Mohammed V

Se succèdent alors les visites de responsables du wakf en Afrique du Nord, et inversement d’émissaires algériens ou d’universitaires orientalistes français à Jérusalem, avec pour objectif de collecter autant des soutiens que de l’argent. Ainsi, Louis Massignon, professeur émérite au Collège de France et fin connaisseur de la situation des maghrébins d’orient, s’essayera dans un article publié dans la Revue des Études Islamiques au début des années 1950, à une démonstration étymologique à même de clarifier la situation du mur occidental qu’il traduira plutôt par « mur des occidentaux » ce qui veut dire « mur des maghrébins », deux termes qui sont synonymes, autant en arabe qu’en hébreux.

Par ailleurs, le roi du Maroc, Mohammed V se rendra également sur place en 1960, après avoir lui-même accordé un don à visée humanitaire quelques années auparavant et bien avant l’indépendance du Maroc. En regard de tous ces efforts, la situation du wakf s’est caractérisée par une érosion progressive des revendications d’indemnisation pour la dépossession de Aïn Karem suite à un recours judiciaire inopérant. Maintenue à flot jusqu’en 1962, la fondation s’est retrouvée progressivement dans l’incapacité de remplir ses missions fondamentales, malgré l’implication volontariste de la Jordanie, suite au désengagement français après l’indépendance de l’Algérie.

La mainmise sioniste

Arrive alors la date fatidique du 10 juin 1967 avec le passage à l’acte de la machine de guerre israélienne sous couverts d’allégations mensongères (soi-disant « taudis en ruine » occupés par des « mendiants », détruits « à l’initiative » de quelques entrepreneurs en bâtiment…), par l’anéantissement de 780 ans d’histoire et l’annulation pure et simple d’un droit imprescriptible des maghrébins sur ce quartier devenu l’esplanade que l’on connaît aujourd’hui.

135 maisons rayées de la carte en une nuit, 350 familles chassées définitivement de leur logement en quelques minutes. En guise d’épilogue, commence alors un feuilleton consistant à indemniser à minima sans réparer, à déplacer sans possibilité de retour, à manœuvrer face à toutes les mobilisations médiatiques, humanitaires, et diplomatiques, avec l’espoir de faire oublier un hold-up documenté dans ses moindres détails. Peine perdue.

Mehdi Bennani

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