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Le Prophète : persécutions et émigration 4/6

Le Prophète : persécutions et émigration 4/6 Mizane.info

Dans ce quatrième épisode de la vie biographie d’Etienne Dinet et Slimane Ben Ibrahim consacrée au Prophète, « Muhammad, l’Envoyé de Dieu », publiée aux éditions Albouraq, retour sur la politique mecquoise de persécutions du Prophète et des primo-croyants.

Le Prophète a dit : « Allah créa le Paradis pour celui qui Lui obéit, fût-il un noir esclave abyssin et l’Enfer pour celui qui lui désobéit, fût-il un noble Quraysh. » L’Islam, visant ainsi à l’égalité parfaite des castes et des races, attirait naturellement en son sein tous les humbles de la cité. Et les maîtres idolâtres voyaient, avec un dépit croissant, leurs propres esclaves s’y convertir en masses empressées.

Mais, comme ceux-là étaient en leur pouvoir, ils assouvissaient sur eux la vengeance qu’ils n’osaient exercer sur les disciples du Prophète d’un rang plus élevé. Umayya ibn Khilaf, s’étant aperçu de la conversion de son esclave noir, Bilal ibn Hamama, n’eut de cesse de le martyriser avec les plus lâches raffinements.

Lui ayant entouré le cou d’une corde rugueuse en filaments de palmier, il le livra aux mains des gamins sans pitié qui le traînèrent derrière eux, comme une bête de somme, pour s’en amuser et la corde tiraillée en tous sens par les petits tortionnaires, creusa dans la chair de Bilal un sanglant sillon.

Mais celui-ci semblait indifférent à la douleur. Alors son maître le priva de nourriture et de boisson et l’entraîna hors de la ville, à midi, au cœur de l’été, pour le jeter sur la ramdâ’ (plaine de sable surchauffé à tel point qu’un morceau de viande, posé à sa surface, s’y cuisait instantanément).

Il le fit étendre sur le dos, avec une énorme pierre sur la poitrine et lui signifia : « Tu resteras ainsi jusqu’à ce que tu renies la doctrine de Muhammad, pour adorer Lât et ‘uzzâ. »

Mais le Musulman stoïque se contentait de lever l’index de la main droite, en répétant : « Ahad ! Ahad ! » Allah unique ! Allah unique ! Et témoignait ainsi tout son mépris pour son maître, qui osait attribuer des associés en bois ou en pierre au Maître des Mondes.

Et cette affirmation le rendait insensible à la souffrance car, à l’amertume des tortures, elle mélangeait l’ineffable douceur du sacrifice pour la Foi. Passant un jour du côté de la ramdâ’, Abû Bakr fut témoin de ce cruel spectacle : « Ne crains-tu pas la justice d’Allah le Très Haut, ô Umayya, lorsque tu infliges à ce malheureux de pareils traitements ? » s’écria-t-il, indigné, « C’est toi qui l’as corrompu ; c’est à toi de le sauver, » lui répondit le cynique personnage.

« Volontiers, je possède un jeune esclave noir, plus vigoureux, plus travailleur que le tien et, de plus, entièrement dévoué à tes idoles, je te l’offre en échange. » Umayya accepta et remit Bilal entre les mains d’Abû Bakr qui l’affranchit sur-le-champ.

En outre, cet homme généreux (qu’Allah l’accueille dans sa Grâce), acheta, pour les délivrer de leurs maîtres idolâtres et pour les affranchir, six autres esclaves, hommes et femmes convertis à l’Islam. Cependant, les persécutions continuèrent, de plus en plus barbares.

La tristesse du Prophète

Les Banû Makhzûm conduisirent Ammâr, avec son père Yaser et sa mère Sumayya, sur la ramdâ’, pour leur infliger les supplices que leur suggérait leur diabolique férocité. Ils revêtirent Ammâr d’une cuirasse de fer, le maintenant couché sur le sol, exposé aux rayons flamboyants du soleil au zénith et ses chairs crépitèrent comme au contact d’un métal en fusion. Mais, pas plus que de Bilal, les idolâtres ne purent arracher d’Ammâr ou de ses parents, suppliciés aussi, une parole de blasphème.

Alors, aveuglé par la rage, Abû Jahl perça de sa lance le cœur de Sumayya, en lui lançant cette dernière raillerie : « Si tu crois en Muhammad, c’est que tu es amoureuse de sa beauté ! » Sumayya fut la première des martyrs de l’Islam ; mais tous n’eurent pas une pareille constance ; quelques fidèles affaiblis par les privations et les tortures, au point de ne pouvoir se tenir debout, finirent par laisser échapper de leurs lèvres, malgré eux, le blasphème qui devait les livrer.

Pour ceux-là, accablés par la honte et sanglotant des larmes de repentir, est descendu ce verset consolateur : « Celui qui a renié Dieu après y avoir cru sauf celui qui y a été contraint tandis que son cœur est plein de la sérénité de la foi… mais ceux qui ont ramené la sérénité d’une poitrine par la mécréance, ceux-là ont sur eux une colère de Dieu et ils ont un supplice énorme. » 40

Néanmoins, le Prophète à la vue des supplices endurés par ses disciples qu’il se trouvait dans l’impossibilité de protéger, fut accablé d’une immense tristesse.

Le courage des martyrs lui prouvait combien les racines de la Foi s’étaient profondément implantées dans leur cœur, mais il jugea que de tels sacrifices devaient être évités.

Aussi conseilla-t-il à tous les faibles et même à ceux qui n’étaient pas retenus à la Mecque par d’impérieuses nécessités, d’émigrer en Abyssinie, pays habité par les chrétiens, dont le chef, le Négus (Nedjachi), était réputé pour sa tolérance et sa justice.

Emigration en Abyssinie (An 615 de l’ère Chrétienne)

Seize Musulmans partirent en premier. Parmi eux ‘Uthmân ibn ‘Affân et sa femme Roqayya, l’une des filles du Prophète. En secret, ils sortirent à pied de la Mecque. Ayant gagné le bord de la Mer Rouge, ils louèrent une felouque 41 qui les transporta sur l’autre rive et, de là, ils se rendirent à la cour du Négus qui leur fit un accueil bienveillant.

Une autre caravane ne tarda pas à les rejoindre et la petite colonie musulmane, réfugiée en pays abyssin, se trouva composée de quatre-vingt-trois hommes et dix-huit femmes. Exaspérés de voir leurs victimes leur échapper, plus furieux encore de compter au nombre des émigrants des membres de leurs propres familles, entre autres Uman al-Habîba, fille d’Abû Su- fyân, les idolâtres envoyèrent au Négus deux ambassadeurs, Amer ibn el Aas et ‘Abd Allah, fils d’Abû Rabî‘a, porteurs de riches présents, afin de réclamer les fugitifs qu’ils représentèrent comme de dangereux agitateurs, capables de révolutionner son royaume.

Le Négus avait constaté le contraire. Par leurs vertus, les réfugiés s’étaient attirés l’estime et la sympathie de ses sujets ; il était donc peu disposé à accueillir favorablement la requête des Ambassadeurs, malgré la valeur de leurs présents. Ceux-ci songèrent alors à éveiller les susceptibilités religieuses du monarque chrétien et à le mettre en garde contre le danger islamique. «

Sache, lui dirent-ils, quel est le but de ces imposteurs. Sache qu’ils sont venus dans ton empire pour détourner tes sujets de la religion de Jésus, de même qu’ils ont cherché à détourner les Quraysh de celle de leurs ancêtres. Et si tu désires une preuve de notre véracité, interroges-les sur leur opinion à l’égard de Jésus, votre Seigneur. »

Le Négus se rendit à leur avis. Il questionna les plus savants d’entre les émigrés et, de Ja‘far, cousin de Muhammad et fils d’Abû Tâlib, il reçut cette réponse : « Voici les versets révélés au Prophète : « …Le Messie-Jésus-fils-de-Marie n’est que le messager de Dieu, Son Verbe qu’Il a jeté à Marie et un esprit venant de Lui… » » 42

Cette réponse fut loin de déplaire au Négus : si elle ne contentait pas la reconnaissance de la divinité de Jésus elle lui démontrait du moins la profonde vénération que les Musulmans professaient à son égard et le rassurait pleinement sur leurs intentions. Et il renvoya les ambassadeurs, sans accepter aucun de leurs présents et sans leur accorder aucune satisfaction. Les infidèles étaient parvenus à persuader le farouche ‘Umar qu’il sauverait sa patrie en la débarrassant de Muhammad. Et ‘Umar, ceint de son épée, le regard chargé d’éclairs, se dirigea vers le quartier de Safâ, où il pensait trouver le Prophète.

Sur sa route, il croisa Na‘îm, islamisé à l’insu de son qawm : « Où vas-tu donc ainsi, ô ‘Umar ? » lui demanda ce dernier. « À la recherche de ce Muhammad qui a jeté la discorde au milieu des Quraysh. Oh ! Par nos dieux ! Il faut que je le tue ! » – « Par Allah ! Ton âme t’entraîne vers un acte de démence, ô ‘Umar ! Crois-tu que les ‘Abd al-Manâf te laisseront tranquille sur la face de la terre, si tu mets à mort leur parent Muhammad ? » Puis, pour le détourner de son abominable projet, il ajouta : « Que ne vas-tu pas plutôt demander des explications à certaines personnes de ta propre maison ? » – « À quelles personnes de ma maison ? » – « Mais à ta sœur Fâtima et à ton beau-frère Sa‘îd ibn Zayd ; ils sont Musulmans, eux aussi. »

À ces mots, ‘Umar s’arrêta net, sa fureur ayant changé de but et, en toute hâte, il courut vers la demeure de sa sœur Fâtima. À son arrivée, un disciple fervent, Khabbâb, lisait la sourate Tâ-Hâ, écrite sur un feuillet de parchemin. Au bruit des coups furieux frappés par ‘Umar sur la porte, Khabbâb s’enfuit dans une pièce voisine et Fâtima dissimula le feuillet sous sa draperie.

Mais ‘Umar avait entendu la voix de Khabbâb et, d’un ton impérieux, il demanda : « Quelle était cette récitation à voix basse que j’ai entendue et que vous avez interrompue à mon arrivée ? » – « Tu n’as rien entendu », protestèrent ensemble son beau-frère et sa sœur. « Mais si et même j’ai appris que vous suiviez la religion de Muhammad ! »

Puis, sans attendre d’explication, il se rua sur son beau-frère, le renversa, s’assit sur sa poitrine et le saisit par la barbe. Fâtima se jeta devant son frère, avec des efforts désespérés, pour dégager son mari, en criant : « Tu dis vrai, nous sommes Musulmans ! »

À cet aveu, ‘Umar perdit la raison et d’un coup brutal à la figure, il renversa la courageuse Fâtima qui, toute inondée de sang, lui répéta de nouveau, en le regardant bien en face : « Oui, nous sommes Musulmans, ô ennemi d’Allah ! Oui, nous croyons en Allah et en son Prophète ! Et maintenant fais de nous ce qu’il te plaira. »

Lorsque ‘Umar vit couler le sang de sa sœur, impressionné par le courage indomptable de cette faible femme, honteux de son acte, il lui demanda d’un ton radouci : « Donne-moi ce feuillet que je vous ai entendu lire ; je désirerais me rendre compte de ce qui été révélé à Muhammad. » – « Nous craignons que tu le détruises. » – « Ne crains rien : par Allah, je te rendrai aussitôt après l’avoir lu. »

Fâtima, malgré son désir de tenter la conversion de son frère, objecta : « Ô mon frère, je ne puis le remettre, car tu es en état d’impureté et seules les mains purifiées ont le droit de toucher au Livre sur lequel sont inscrites les paroles d’Allah. »

‘Umar se leva docilement et accomplit ses ablutions. Fâtima lui remit alors le feuillet sur lequel était inscrite la sourate Tâ-Hâ qui débute par ces mots : « Tâ-Hâ. Nous n’avons pas fait descendre sur toi le Coran pour que tu sois malheureux. Mais uniquement comme rappel à celui qui craint (Dieu). » 43

La conversion de ‘Umar et la joie du Prophète

Aussitôt après la lecture des premiers versets, ‘Umar, qui était un lettré remarquable, ne put retenir un cri d’admiration : « Que cela est beau ! Que ce langage est sublime ! » – « Ô ‘Umar, s’écria Khabbâb, sortant de sa cachette, j’avais le ferme espoir que le Tout-Puissant réaliserait par toi le souhait que j’entendis son Prophète formuler hier : « Ô Allah ! disait-il, fortifie l’Islam par la conversion de l’un de ces deux : Abû Jahl ou ‘Umar. » »

– « Conduis-moi tout de suite auprès de Muhammad, lui répondit ‘Umar, afin que devant lui, je professe l’Islam. Où est-il ? » Et Khabbâb, triomphant, lui indiqua la maison d’Arquam, dans le quartier de Safâ. Dans cette maison, les disciples réunis autour du Prophète buvaient ses paroles, lorsque des coups impérieux furent frappés à la porte. Un des compagnons se leva et par une des fentes, il aperçut le terrible guerrier, le sabre au côté.

Atterré par cette apparition, il revient avertir le Prophète qui lui dit sans s’émouvoir : « Introduis-le ; s’il vient dans une intention louable, nous l’accueillerons avec générosité et s’il vient dans un mauvais dessein, nous le tuerons avec sa propre épée. »

Le Musulman ayant obéi, ‘Umar entra. Muhammad se porta à sa rencontre dans le vestibule et, le saisissant par le col de son vêtement, l’attira d’une brusque saccade, au milieu de l’assemblée : « Dans quel but es-tu venu, ô fils d’al-Khattâb ? Lui demanda-t-il, persévéreras-tu dans l’impiété jusqu’à ce que le Tout-Puissant abatte sur toi son châtiment ? » – « Ô Prophète, lui répondit ‘Umar avec une humilité peu conforme à ses habitudes, je suis venu pour proclamer ma foi en Allah, en son envoyé et en sa révélation. »

– « Louanges à Allah, qu’Il soit glorifié !», s’écria Muhammad; et, informés par cette exclamation de la soudaine conversion de ‘Umar, les compagnons se séparèrent remplis de reconnaissance envers celui qui l’avait décrétée. ‘Umar n’était pas homme à patienter et à dissimuler ses convictions ; dans la rue, il arrêta le premier passant, un certain Jamîl ibn Mâamar, de la tribu des Jumhs, pour lui dire : « Sais-tu, ô Jamîl, que je suis devenu Musulman ? »

Il n’avait pas achevé sa phrase que Jamîl, bavard incorrigible, rassembla les plis de son manteau pour courir vers le Temple et crier aux idolâtres qu’il y trouva réunis : « Ô assemblée des Quraysh, quelle stupéfiante nouvelle !

Le fils d’al-Khattâb vient d’être frappé dans sa raison ! » – « Tu mens, interrompit ‘Umar qui l’avait suivi, tout au contraire, je suis entré dans la voie du salut ; je témoigne qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Muhammad est son Prophète ! » À ces mots, comme une insultante provocation, les Quraysh bondirent d’un même mouvement pour se jeter sur ‘Umar qui les attendait sans broncher et une affreuse bagarre s’ensuivit.

Le soleil, dardant ses rayons sur les combattants, les obligea à une courte trêve. ‘Umar s’assit à terre et, entouré de ses ennemis qui dressaient leurs bras menaçants au-dessus de sa tête : « Faites de moi ce que vous voudrez, leur dit-il avec le ton de la plus dédaigneuse insouciance, mais, par Allah ! Si nous étions seulement trois cents Musulmans, nous aurions bientôt arraché ce Temple d’entre vos mains et jamais vous ne pourriez le reprendre ! »

À ce moment, un vénérable vieillard, vêtu d’un manteau à rayures et d’une tunique somptueusement brodée, s’approcha, attiré par le tumulte et en demanda la cause : « ‘Umar a été frappé dans sa raison », lui fut-il répondu. « Eh ! Quoi ? dit-il aux idolâtres, si cet homme a choisi pour lui-même une religion différente de la vôtre, n’en avait-il pas le droit et que lui réclamez-vous ? Et puis, pensez-vous que les Banû ‘Adi ibn Ka‘b, ses parents, seraient disposés à vous l’abandonner ? »

Impressionnés par la crainte des représailles plus que par la sagesse de ces paroles, les assaillants qui enserraient ‘Umar le relâchèrent et se dispersèrent, semblables à un manteau qu’on aurait enlevé de ses épaules.

Personne, hormis Muhammad n’osait prier en public. ‘Umar n’ayant cure des colères qu’il pourrait soulever, résolut d’imiter le Prophète et comme lui, chaque jour, tourné dans la direction du Bayt al-Moqueddas (Le Temple saint de Jérusalem) et placé entre l’angle de la Kâ‘ba où se trouve enchâssée la Pierre Noire et l’angle qui regarde le Yémen, il fit publiquement ses prières.

Encouragés par son exemple, de nombreux Musulmans vinrent prier en public à ses côtés, sous les regards indignés des mécréants, tenus en respect par la réputation de ‘Umar, qui mérita le surnom de al-farouq (le Pourfendeur), parce qu’il fendit en deux un Arabe refusant de s’incliner devant un jugement du Prophète.

Etienne Dinet et Slimane Ben Ibrahim

Notes :

40 Sourate 16, verset 106.

41 Petit navire à voiles, long et étroit, de la Méditerranée.

42 Sourate 4, verset 171.

43 Sourate 20, versets 1 à 3.

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