Maurice Gloton est l’un des grands spécialistes du Coran dont il a traduit une version publiée par les éditions Albouraq. Mizane Info publie un texte exclusif en hommage à cet auteur qui nous a quitté en 2017. Dans cette brève introduction, Maurice Gloton nous présente les différentes caractéristiques du Livre saint et dernière révélation divine descendue (nazala) sur le Prophète Muhammad en soulevant la question épineuse : faut-il traduire un texte sacré ?
Quand on parle de la Révélation islamique, on désigne très souvent et abusivement par Coran le Livre révélé qui en est la présentation écrite (mushaf ). Les feuillets, actuellement imprimés, qui le contiennent, comprennent l’ensemble des cent quatorze sourates que l’Archange Gabriel communiqua oralement au Prophète Muhammad, alors âgé de quarante ans, au cours des vingt-trois ans de son apostolat.
Pourtant le Qur’ân – qui, à l’origine, n’est pas un livre écrit ou imprimé – est primordialement la Parole divine orale récitée, par l’Archange de la Révélation, au Prophète qui le transmettra à sa communauté par voie orale. Outre ce mode de communication verbale, les paroles dictées par l’Archange Gabriel au Prophète Muhammad furent consignées par écrit, de son vivant même, par ses fidèles compagnons scribes. Aussitôt après sa mort, le texte écrit sur ces matériaux précaires fut utilisé pour constituer définitivement un Livre dénommé « Coran » qui servira de support commode pour la lecture, la récitation rituelle, l’étude et les commentaires du Texte qu’il contient.
L’événement inattendu de la Révélation coranique
Vers 40 ans, Muhammad pris l’habitude de faire des retraites spirituelles solitaires, près de La Mecque, dans une grotte située à l’extrémité supérieure du mont Hira, montagne appelée plus tard Jabal an-Nûr, la Montagne de la Lumière. C’est en ce lieu désertique qu’il eut sa première révélation vers la fin du mois lunaire de Ramadân. Un ange qui avait pris forme humaine se présenta soudainement à lui et lui ordonna : « Récite ! » (iqra’) et lui de répondre qu’il n’était pas apte à réciter. Par deux fois l’Ange le serra et le relâcha, double symbole de résorption en Dieu et d’épanouissement dans les trois mondes, spirituel, psychique et grossier.
Très tôt après la disparition du Prophète, une présentation écrite s’est avérée indispensable pour préserver de toute altération l’authenticité du texte révélé
C’est alors qu’il devint apte à recevoir la Parole de Dieu dans sa plénitude et à prononcer, à articuler, dans tout son être, dans une parfaite disponibilité, les premiers versets coraniques que lui communiquait l’Ange : « Récite au Nom de ton Seigneur qui a créé. -/- Il a créé l’humain d’une agglutination. -/- Récite ! Et ton Seigneur est l’infiniment généreux, -/- Lui qui a enseigné au moyen du Calame. -/- Il a fait connaître à l’humain ce qu’il ne savait pas… » (Qur’ân 96-1 à 5).
A la suite de cette révélation, le Prophète a dit : « C’est comme si ces paroles avaient été gravées dans mon cœur ».
Le Coran, 114 sourates et 6236 versets
Le texte coranique comporte des sourates révélées dans une première période à La Mecque et ses environs et ensuite à Médine et dans sa région. Le Coran, ainsi présenté sous son aspect formel n’est, en fait, que la transcription en caractères arabes de l’ensemble des révélations que le Prophète a reçues par voie orale. Très tôt après la disparition du Prophète, une présentation écrite s’est avérée indispensable pour préserver de toute altération l’authenticité du texte révélé, assurer sa mémorisation et rendre l’étude et la méditation plus faciles, donc plus accessibles à un grand nombre d’individus. Le texte coranique, tel que nous le trouvons dans les recueils reliés actuels, contient 114 chapitres ou sourates qui ont été classés approximativement par longueur décroissante peu après la disparition du Prophète mais ils ne sont pas dans l’ordre chronologique des révélations qu’il reçut pendant les 23 années de sa mission.
Dès les premières révélations, la récitation de versets par le Prophète et par certains compagnons provoquèrent la surprise de nombreux Mequois devant la beauté formelle du texte
Les 114 sourates ou chapitres, désignés chacun par un ou plusieurs titres, qui composent le texte coranique, contiennent 6236 versets de longueur très inégale, certains sont constitués d’un seul mot (cf. sourate 101), surtout dans les sourates mecquoises, et d’autres, dans les sourates médinoises, tiennent une page ou presque comme le verset 282 de la deuxième sourate intitulée « Al-Baqarah », la Génisse, la plus longue du Livre, qui contient 286 versets (50 pages dans certaines éditions qui en comportent 600), la plus courte ne possédant que trois brefs versets (sourate 108). Le Texte reste le même, seul l’ordre de son contenu est différent.
Naissance du mushaf uthmânien
Les éléments révélés au fur et à mesure, ainsi retenus dans les mémoires et consignés par écrit, furent en grande partie structurés par le Prophète qui indiquait à ses compagnons scribes l’ordre des sourates. Vers la fin de sa mission terrestre, il fit rassembler l’ensemble de ces fragments qui formeront, peu après sa mort, un recueil complet dont Uthmân, le troisième calife, fit terminer une recension définitive qui circulera très vite dans l’ensemble du monde musulman déjà très étendu.
Dès les premières révélations, la récitation de versets par le Prophète et par certains compagnons provoquèrent la surprise de nombreux Mequois devant la beauté formelle du texte ainsi entendu. Le Qur’ân, ne provenant ni d’un poète, ni d’un oracle, ni d’un individu, mais bien de Dieu, ne peut être imité dans son style et dans sa vertu spirituelle et opérante, même par une personne très douée.
Le Qur’ân étant la Parole de Dieu éternelle et infinie et son « style » étant inimitable, le Livre révélé peut-il être traduit ?
Dans plusieurs versets, Dieu précise le caractère inimitable du Qur’ân qui réduit à l’impuissance (i`jâz) quiconque prétendrait produire l’équivalent : « Si vous vous trouviez dans le doute au sujet de ce que Nous avons fait descendre sur Notre serviteur, venez donc avec une sourate semblable à ceci et appelez vos témoins à la place d’Allâh si vous deviez être véridiques. -/- Si alors vous ne le faisiez pas – et vous ne le ferez point – protégez-vous du Feu qui a pour combustible les humains et les pierres et qui a été préparé pour ceux qui s’enfoncent dans la mécréance » (Qur’ân 2-23 & 24).
Est-il légitime de traduire le Coran ?
Une question importante alors se pose : le Qur’ân étant la Parole de Dieu éternelle et infinie et son « style » étant inimitable, le Livre révélé peut-il être traduit ? Cette interrogation a déjà été formulée du temps même du Prophète. En effet, la langue de Révélation étant l’arabe pur, elle est le véhicule du Qur’ân et elle seule sert de support de grâce dans tous les éléments du culte musulman.
Dans la prière rituelle gestuelle (salât), la langue arabe est utilisée exclusivement et une traduction ne sera tolérée qu’à titre provisoire, comme cela se passa avec Salmân al-Farissî, célèbre compagnon du Prophète, d’origine persane, qui traduisit la première sourate du Qur’ân, al-Fâtiha, dite « l’Ouvrante« , en sa langue natale, avec l’autorisation du Messager de Dieu lui-même, pour une communauté de Persans nouvellement convertis à l’Islam. Par cet exemple, la traduction s’avère très profitable, provisoirement ou durablement, pour des individus non familiarisés avec l’arabe et spécialement l’arabe coranique. Elle permet de comprendre le sens immédiat du texte arabe d’origine présenté dans un autre langage que l’arabe ; elle a donc une fonction pédagogique importante et indéniable qu’il ne faut ni sous-estimer ni condamner.
Voici quelques-uns des thèmes coraniques fondamentaux :
- – L’Unicité divine
- – Les Noms divins
- – L’Amour
- – La Hiérarchie cosmique
- – La Création de l’Humain, sa fonction
- – Prophètes et Messagers de Dieu
- – L’Humain et la nature – les paraboles
- – La Foi et les œuvres – l’éthique sacrée et la Loi
- – Les Gens du Livre
- – Après la mort – L’eschatologie
Sans entrer dans le détail, on peut classer les commentaires du Qur’ân en trois grandes périodes : 1/ la période qualifiée de primitive, Ibn ‘Abbâs 2/ la période des grands commentaires classiques, Tabarî ou Ibn Hazm, Râzî et Qurtubî et 3/ la période dite moderniste, Muhammad ‘Abduh, Rashid Rida ou Tâbatabâ’i. Puisse cet exposé concis donner le goût aux musulmans et aussi aux non musulmans intéressés par la Révélation coranique d’étudier en profondeur ce texte jamais épuisé et toujours nouveau.