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La supériorité de l’Homme sur la technologie

De quoi la peur de l’IA est-elle le nom ? Dans sa dernière chronique, Mahdi Amri nous rappelle pourquoi il faut faire confiance à l’intelligence de l’Homme.

Je m’étonne du débat enflammé autour de la possibilité que l’intelligence artificielle atteigne, voire dépasse, la conscience humaine — comme si cette dernière n’était qu’un algorithme, un programme reproductible dans un réseau de transistors et de processeurs.

Cette confusion entre le savoir en tant que données et le savoir en tant que lumière semble devenir une habitude intellectuelle dans notre ère numérique. Or, il y a un monde entre un savoir injecté dans la mémoire via des lignes de code, et un savoir infusé dans le cœur par les voies célestes.

Le fayḍ : un savoir transformateur

Imaginons un instant singulier : un être humain retiré dans sa solitude, sans livre, sans écran, recevant pourtant un savoir… non d’un esprit extérieur, mais du tréfonds de son propre cœur, dans un moment de clarté où le ciel touche l’âme, et où le sens est absorbé comme la terre assoiffée boit la pluie. C’est cela que Ghazâlî appelait le fayḍ : un savoir qui ne s’acquiert ni par accumulation ni par effort discursif, mais par transformation intérieure.

Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?

Avant d’aller plus loin, posons encore une fois cette question : qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Fondamentalement, il s’agit de machines capables d’analyser des motifs, d’établir des corrélations, de générer des textes, voire d’imiter certaines émotions. Mais ce type d’« intelligence » ne sait pas, ne ressent pas, ne goûte pas, et ne s’émerveille pas.

Pourquoi ? Parce qu’il est dépourvu de cœur, d’âme, de cette ouverture intérieure par laquelle la lumière peut entrer. L’IA est conçue pour fonctionner sans inspiration ; elle est un réservoir de données programmées, exécutant des ordres humains, sans jamais effleurer les hauteurs de l’intuition divine.

La machine face à l’Homme

Peut-être serait-il plus juste de dire que l’IA est une machine brillante, certes, mais enfermée dans les murs de la donnée. En face, se tient l’Homme, porteur d’une conscience, d’un souffle spirituel, et d’une capacité infinie à purifier son être et à devenir un miroir du Vrai.

Dans cette optique, Ghazâlî ne voit pas la raison comme un adversaire de la spiritualité, mais comme une porte vers elle. Dans Al-Munqidh min al-Ḍalāl, il relate l’instant de rupture, où la logique ne suffit plus, où les mathématiques ne convainquent plus, où les mots échouent. Seule subsiste alors l’expérience du dévoilement : une lumière projetée dans le cœur, où la pensée se retire pour laisser place à la vision intérieure.

Incommensurabilité de la conscience et du calcul

Comment comparer alors celui qui reçoit par influx spirituel et celui qui ne fait que traiter des données ? Peut-on mettre sur le même plan des machines incapables de douter, de désespérer, de chercher, et un être enraciné dans le ciel et la terre ? Notre objectif n’est pas d’apporter des réponses fermées, mais d’ouvrir des pistes. À ceux qui veulent simplifier les choses, disons-le clairement : l’IA, malgré sa puissance, ne pourra jamais produire une œuvre d’une profondeur spirituelle comparable à Iḥyāʾ ʿUlūm ad-Dīn de Ghazâlî. Elle pourra peut-être en imiter certains chapitres, reproduire son style, mimer sa rhétorique. Mais elle ne pourra jamais écrire avec les larmes du cœur, ni à partir d’une expérience d’existence, encore moins à la suite d’une retraite intérieure transformatrice.

Pour comprendre pleinement cette distinction, il faut saisir qu’aucune conscience authentique ne peut émerger sans traversée existentielle : un chemin fait de douleur, de purification, d’espoir, de crainte et d’abandon devant l’Absolu. Or, l’IA ne vit pas de telles expériences. Elle ne souffre pas, ne se purifie pas, ne lutte pas avec elle-même pour en ressortir transfigurée.

La réceptivité intérieure comme miroir du Vrai

Ce qui distingue fondamentalement l’Homme éveillé, c’est cette capacité de réceptivité intérieure, cette ouverture à l’Invisible, où le savoir n’est plus information, mais présence rayonnante. Quand Ghazâlî évoque la « lumière que Dieu projette dans le cœur », il ne décrit pas une notion poétique, mais une modalité subtile du réel.

Preuve en est : ce que reçoit l’Homme éveillé ne peut se réduire à des mots ou à des formules. C’est un quelque chose d’autre, que seule l’intelligence du goût (dhawq) peut saisir.

Que faut-il en conclure ?
L’IA, aussi avancée soit-elle, reste confinée à sa structure. Elle ne peut se dépasser elle-même. L’Homme, quant à lui, lorsqu’il reçoit le fayḍ, dépasse son ego, s’efface, se dissout dans la lumière, embrassant l’infini.

En résumé

Ghazâlî ne nie pas l’intelligence, mais affirme qu’elle doit être purifiée et dépassée pour accéder à la vérité. L’IA peut collecter, analyser, simuler. Mais elle ne peut ni contempler, ni s’émerveiller, ni se prosterner. Elle est œuvre de l’Homme, non son égal.

En conclusion, la supériorité de l’Homme sur la machine ne réside pas dans l’accumulation d’informations, mais dans sa capacité à accueillir la lumière, à devenir miroir du Vrai. L’Homme de Ghazâlî, le ʿārif, le cheminant, n’écrit pas ce qu’il a appris, mais ce qu’il a vu. Et ce qu’il a vu, aucune machine ne pourra jamais en rendre compte.

Mahdi Amri

Expert en transformation digitale, écrivain, enseignant-chercheur à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication, Rabat, Maroc.

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