Face à la récente ingérence militaire d’Israël en Syrie, dans le conflit opposant le gouvernement syrien à la minorité druze, l’universitaire turc Ahmet Vefa Rende revient, via le site Middle East Monitor, sur l’histoire des relations entre Israël et les Druzes. Le chercheur analyse les efforts déployés par Israël pour intégrer cette communauté ainsi que leur stratégie politique visant à utiliser ce groupe comme levier d’influence dans la région.
Israël, malgré sa faible population, présente une structure sociale et politique fragile en raison de la diversité de ses groupes minoritaires. Le fait que les Arabes constituent le groupe minoritaire le plus important a conduit Israël à établir des relations plus prudentes avec les autres groupes et à tenter de renforcer les liens entre ces minorités et les éléments juifs. Dans ce contexte, il convient d’examiner les relations d’Israël avec les Druzes, ses efforts pour les intégrer dans la société et la manière dont ce groupe est utilisé comme levier politique.
On compte environ 150 000 Druzes intégré à la société israélienne ; ils vivent principalement dans les régions du Carmel, de Galilée et du Golan. Apparu en Égypte au XIe siècle, la doctrine druze est considérée comme un schisme de l’islam, proche de l’ismaélisme incorporant des préceptes de divers courants philosophiques. Les Druzes, qui ne se marient pas avec d’autres groupes religieux, ont une structure sociale très fermée. Leur nombre exact est inconnu, mais ils constituent aujourd’hui une minorité à part en Palestine, en Syrie, au Liban et en Jordanie.

Les Druzes au sein de la société israélienne
Après le retrait de l’Empire ottoman de Palestine, les dirigeants sionistes cherchèrent à nouer des relations étroites avec les Druzes afin de bénéficier de leur soutien dans le processus d’établissement d’un État juif. Ils présentèrent les Druzes comme un groupe distinct des Arabes et tentèrent de gagner le soutien de cette minorité en affirmant l’existence d’une proximité religieuse entre eux. Bien qu’une alliance paramilitaire entre Juifs et Druzes ait débuté à la fin des années 1930, elle n’englobait pas pour autant l’ensemble de la minorité druze.
En effet, une partie de cette minorité a participé au soulèvement arabe qui a débuté en 1936, puis a combattu les sionistes en 1948. Israël, compte tenu de sa structure démographique, a cherché à renforcer ses liens avec les petits groupes minoritaires autres que les Arabes. Les politiques et privilèges de l’État envers les Druzes visaient à séparer cette communauté de la communauté arabe et à la rapprocher de la communauté juive. Dans ce contexte, les Druzes ont été définis comme une nationalité distincte, séparés de leur identité arabe, en 1962.
Cette situation a créé le sentiment que les Druzes étaient favorisés tant dans les institutions étatiques que dans la société israélienne. De plus, en 1976, cette communauté a été soumise au service militaire obligatoire. Israël a appliqué cette politique inclusive contre les Druzes palestiniens et, après avoir occupé le plateau du Golan, l’a également appliquée aux Druzes syriens.
Après avoir occupé le Golan syrien, Israël a contraint une grande partie de la population, forte de 130 000 habitants, à s’exiler, tout en autorisant 6 396 Druzes à rester dans la région, adoptant une approche modérée similaire à celle adoptée envers les Druzes palestiniens afin de les séparer des Arabes. Cependant, les Druzes syriens n’ont pas réagi de la même manière à la politique israélienne. Bien qu’ils furent hostiles au régime syrien, ils continuèrent de se considérer comme faisant partie de la Syrie.

Intégration dans l’armée israélienne et discrimination étatique
En Israël, l’armée est considérée comme une institution qui unit les différents segments de la société. Elle sert à renforcer les liens entre l’État et les Juifs immigrés en Israël, ainsi que les autres minorités appelées à servir sous les drapeaux. Après octobre 2023, de nombreux soldats druzes ont servi dans l’armée israélienne entrée à Gaza, et plus de 430 druzes ont perdu la vie lors des offensives du Hamas.
En réaction à la politique inclusive israélienne, les dirigeants druzes se sont également montrés réceptifs à l’idée de servir dans l’armée afin d’obtenir certains avantages. Par cette approche, ils espéraient surmonter des problèmes structurels tels que le manque d’investissements dans les villages arabes druzes et les difficultés d’emploi résultant de la discrimination institutionnelle de l’État. Malgré la politique du gouvernement israélien à l’égard des Druzes, ils continuent tout de même d’être victimes de discrimination de la part de la communauté juive.
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Bien que les Druzes aient cherché à échapper à la discrimination en servant dans l’armée, beaucoup déclarent avoir subi de la discrimination de la part de la communauté juive après avoir quitté le service militaire. Le député druze Saïd Nafaa a d’ailleurs déclaré : « Nous espérions que le service militaire nous donnerait les mêmes droits que les autres Israéliens. Cependant, nous avons vite découvert que c’était une illusion. » C’est pourquoi certains hommes druzes refusent aujourd’hui de faire leur service militaire.
Par exemple, bien que les Druzes ne rencontrent pas de difficultés en matière d’éducation, la plupart éprouvent des difficultés à trouver un emploi. De plus, les Druzes qui souhaitent vivre dans des quartiers juifs doivent payer un loyer supérieur à la moyenne. Ces problèmes, et d’autres similaires, auxquels les Druzes sont confrontés ne constituent pas actuellement une menace pour la sécurité en Israël.

Israël utilise les Druzes comme levier politique en Syrie
Tout comme lors de son occupation du Golan, Israël tente actuellement d’intervenir dans les zones syriennes à forte population druze. D’une part, Israël monte la population druze de la région contre le nouveau gouvernement syrien, et d’autre part, il tente de gagner son soutien en lui offrant certaines opportunités. Dans ce contexte, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a récemment annoncé que les Druzes syriens seraient bientôt autorisés à entrer en Israël pour y travailler.
De plus, lors des récentes tensions dans le quartier druze de Cermana à Damas, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a proposé d’envoyer des forces militaires à Cermana pour protéger les Druzes. Cependant, ces derniers ont rejeté cette offre. Lors des récents événements de Souweïda, Israël a lancé des attaques contre l’armée syrienne pour soutenir les Druzes dans leur conflit avec elle.
Israël souhaite utiliser les Druzes en Syrie à ses propres fins stratégiques, tout comme il l’a fait avec les Druzes en Palestine, en leur offrant diverses opportunités. Ainsi, Israël, qui voit la stabilité en Syrie comme une menace pour ses intérêts, attise la question druze qui a surgi dans la nouvelle Syrie et soutient les Druzes afin de déstabiliser la région et de la préparer à une nouvelle occupation.