Ninon de Buchet nous explique par quels mécanismes Cuba et l’Iran ont résisté au blocus américain décrété depuis des décennies pour obtenir un changement de régime dans ces deux pays.
Cet essai s’appuiera sur les exemples de l’embargo américain contre Cuba et des sanctions anti-iraniennes pour analyser les mécanismes internes qui conduisent à la résilience des États ciblés. Il soutiendra que les régimes cubain et iranien ont consolidé leur pouvoir et leur légitimité, d’abord par des réformes économiques et l’adoption sélective de politiques néolibérales visant à atténuer les effets des sanctions, puis par des discours nationaux de résistance idéologiquement soutenus.
En mettant en œuvre des mesures propices à la survie économique et à la cohésion sociale, les deux pays ont enduré des décennies de sanctions et résisté aux tentatives extérieures de changement de régime.
Endurance et résilience
La première partie de l’essai explorera la résilience aux sanctions en théorie et examinera comment l’absence de prise en compte de certains mécanismes au sein des États ciblés peut rendre les régimes de sanctions contre-productifs. La deuxième partie se penchera sur les exemples de Cuba et de l’Iran.
Elle commencera par analyser les effets de changements politiques spécifiques, tels que la légalisation du travail indépendant à Cuba et la diversification économique en Iran, ainsi que l’émergence d’économies de résistance dans les deux pays.
Il se penchera ensuite sur les réformes sociales centrées sur la population, en particulier dans le secteur de l’éducation, et conclura que les deux mécanismes clés permettant la résilience cubaine et iranienne aux sanctions sont l’atténuation de l’insécurité politique par des réformes économiques et le renforcement du discours national anti-occidental par l’idéologie.
Contexte historique des sanctions
L’analyse suivante des mécanismes de résilience se concentrera sur l’Iran post-révolutionnaire de 1979 et sur Cuba depuis sa « période spéciale », la crise économique qui a débuté après la chute de l’Union soviétique et a marqué l’intensification du régime de sanctions américain (Hove, Ndawana et Nhemachena 2020, 181).
Objectifs et enjeux des sanctions
Dans les deux cas, l’objectif principal des sanctions a été de créer suffisamment de difficultés pour induire un changement de politique : à Cuba, les sanctions américaines visaient à mettre fin au régime de Castro (Rodríguez 2024, 187) ; en Iran, bien que les objectifs aient changé depuis la mise en œuvre des sanctions, les principaux objectifs ont été la démocratisation et l’empêchement de l’acquisition d’armes nucléaires par la République islamique (Esfandiary et Fitzpatrick 2011, 143).
Si les recherches sur la résilience aux sanctions sont abondantes, moins d’attention a été accordée aux réformes internes qui aident les régimes à résister à la pression économique. Cet essai vise donc à contribuer à la littérature croissante sur ce sujet, en adoptant une approche interprétative pour explorer les mesures de renforcement de la résilience prises par Cuba et l’Iran au niveau national. De plus, en comparant un petit État insulaire et un pays riche en ressources, l’essai va au-delà des types de régimes et des relations commerciales extérieures, se concentrant plutôt sur la réponse des États sanctionnés aux pressions extérieures par la mobilisation sociale.
Définition de la résilience économique
L’essai se référera à la définition de la résilience économique donnée par l’Organisation mondiale du commerce : « la capacité d’un système […] à prévenir les chocs, à s’y préparer, à y faire face et à s’en remettre » (OMC 2021, 7). Il faut reconnaître que résilience ne signifie pas prospérité économique.
Selon le Rapport mondial de Human Rights Watch (2023, 171), la population cubaine souffre de pénuries de nourriture et de médicaments, de coupures de courant régulières et d’une détérioration des conditions de vie. De même, les sanctions américaines compromettent régulièrement la capacité de l’Iran à fournir des services sociaux de base, notamment pendant la pandémie de Covid-19 (Abdoli 2020, 1464).
La résilience des sanctions en théorie
Pour analyser les mécanismes qui font échouer les sanctions, il est d’abord essentiel d’identifier ceux qui les rendent efficaces. La littérature dominante sur les sanctions postule qu’une fois un certain seuil de souffrance économique atteint, une population sanctionnée fera pression pour un changement politique de la part du gouvernement (Hove, Ndawana et Nhemachena 2020, 176).
Nephew (2017, 9) souligne que la douleur peut être gérée, tolérée et adaptée, même au profit de celui qui la reçoit. L’interaction des forces entre les gouvernements signifie que la souffrance humaine généralisée ne conduit pas nécessairement aux concessions politiques souhaitées.
Perspectives critiques sur les sanctions
Les théories critiques sont donc précieuses pour éclairer la nature réciproque des sanctions et les processus par lesquels les États ciblés deviennent résilients aux pressions extérieures. La reproduction du régime de l’État-providence, par exemple, décrit les tendances contre-hégémoniques qui peuvent résulter des sanctions, notamment la mobilisation populaire d’origine institutionnelle et la consolidation de l’identité nationale au sein d’une société ciblée (Kirkham 2022, 352).
La théorie gramscienne de l’État offre également une perspective utile pour analyser l’efficacité des sanctions au fil du temps. Dans Societies Under Siege, Lee Jones (2015, 40) s’intéresse aux sociétés sanctionnées elles-mêmes et aux relations dynamiques entre les forces sociales.
Réformes économiques néolibérales à Cuba
La section suivante examinera la manifestation de la résilience aux sanctions dans les cas de Cuba et de l’Iran, en commençant par les mécanismes économiques de résilience. L’embargo américain, instauré en 1952 et renforcé dans les années 1990, a exclu Cuba de larges pans de l’économie mondiale.
Deux réformes économiques majeures adoptées par le régime de Castro en 1993 — la légalisation de la détention de devises étrangères et celle du travail indépendant — ont permis de stabiliser le pays après la crise de 1989.
Résilience iranienne et économie de résistance
L’essai se penche maintenant sur la République islamique d’Iran, soumise depuis sa création en 1979 à un système fluctuant de sanctions économiques. L’adoption de l’économie de résistance comme stratégie codifiée en 2018 a permis de renforcer la stabilité politique et d’assurer la survie du régime.
Les réformes iraniennes reflètent celles de Cuba dans leur objectif de maximiser les capacités nationales et de réduire l’insécurité politique. Ces stratégies partagent la volonté d’autosuffisance et d’opposition à l’hégémonie occidentale.
Réformes dans le secteur de l’éducation à Cuba
La dernière partie de cet essai aborde les réformes menées à Cuba dans le secteur de l’éducation et leur rôle dans la cohésion sociale et la légitimité du régime. Les revenus du tourisme ont permis de financer une éducation de qualité et un système de santé prestigieux, servant la diplomatie internationale.
Un processus similaire s’est développé en Iran, où l’éducation religieuse soutient la cohésion sociale et renforce l’identité islamique. Cela favorise la continuité du pouvoir théocratique et renforce la résistance idéologique face aux sanctions.
Cet article soutient que les principaux mécanismes internes de résilience dans les États ciblés sont la stabilisation politique par des mesures économiques et la construction d’une identité nationale par des réformes sociales idéologiques. Des recherches plus approfondies devraient examiner comment des mécanismes externes, tels que les partenariats commerciaux, ont également contribué à la résistance de ces États aux sanctions internationales.
Ninon de Buchet