La peur est-elle un obstacle au cheminement spirituel ou un levier ? La réponse dans une chronique synthétique de Rachid. T à lire sur Mizane.info.
Il peut sembler sévère de dire que la peur et l’angoisse sont disqualifiantes mais en réalité cela relève de l’évidence. Voilà pourquoi…
La peur existe, et même les Prophètes l’ont connue. Par exemple, Moïse a eu peur en voyant le serpent : il tourna même le dos pour fuir. Et Dieu lui dit simplement :« 𝑂̂ 𝑀𝑜𝑖̈𝑠𝑒, 𝑛’𝑎𝑖𝑒 𝑝𝑎𝑠 𝑝𝑒𝑢𝑟, 𝑡𝑢 𝑒𝑠 𝑑𝑢 𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑡𝑒́𝑔𝑒́𝑠. » (𝐶𝑜𝑟𝑎𝑛 : 28/31). Dans une autre situation, face à Pharaon, Moïse et Aaron disent : « 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑔𝑛𝑜𝑛𝑠 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑛𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑚𝑎𝑙𝑡𝑟𝑎𝑖𝑡𝑒 𝑜𝑢 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑑𝑒́𝑝𝑎𝑠𝑠𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑚𝑖𝑡𝑒𝑠. » Et Dieu les rassure en leur disant : « 𝑁’𝑎𝑦𝑒𝑧 𝑝𝑎𝑠 𝑝𝑒𝑢𝑟. 𝐽𝑒 𝑠𝑢𝑖𝑠 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑑𝑒𝑢𝑥 : 𝐽’𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑠 𝑒𝑡 𝐽𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑠. » (𝐶𝑜𝑟𝑎𝑛 : 20/46).
Idem pour la mère de Moïse, à qui Dieu dit : « 𝐴𝑙𝑙𝑎𝑖𝑡𝑒-𝑙𝑒. 𝐸𝑡 𝑞𝑢𝑎𝑛𝑑 𝑡𝑢 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑑𝑟𝑎𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑢𝑖, 𝑗𝑒𝑡𝑡𝑒-𝑙𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑓𝑙𝑒𝑢𝑣𝑒. 𝑁𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑟𝑖𝑒𝑛 𝑒𝑡 𝑛𝑒 𝑡’𝑎𝑡𝑡𝑟𝑖𝑠𝑡𝑒 𝑝𝑎𝑠. » (𝐶𝑜𝑟𝑎𝑛 : 28/7). Pareillement pour Sainte Marie (Saydat Maryam), à qui les anges dirent : « 𝑁’𝑎𝑖𝑒 𝑝𝑎𝑠 𝑝𝑒𝑢𝑟 ».
Et pour Abraham, qui est pris de frayeur en voyant que ses invités ne touchaient pas à leur nourriture : « 𝑁’𝑎𝑖𝑒 𝑝𝑎𝑠 𝑝𝑒𝑢𝑟, 𝑑𝑖𝑟𝑒𝑛𝑡-𝑖𝑙𝑠. 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑠𝑜𝑚𝑚𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑣𝑜𝑦𝑒́𝑠. » (𝐶𝑜𝑟𝑎𝑛 : 11/70).
On pourrait encore allonger la liste mais tous ces récits montrent que la peur est naturelle donc normale chez les Hommes — même chez les plus purs. Ce qui compte, ce n’est pas d’en être exempt, mais d’y répondre correctement c’est-à-dire en accueillant l’Assurance divine. Et c’est seulement dans cette acceptation que la peur devient un seuil et un moyen d’élévation. Celui qui reconnaît sa peur, qui ne la fuit pas, alors il entre dans l’indigence foncière de l’être (𝑎𝑙-𝑓𝑎𝑞𝑟), la pauvreté ontologique), et c’est là, dans la reconnaissance de sa fragilité, que Dieu peut saisir l’Homme.
Mais si cette peur se transforme en une espèce d’architecture mentale que l’Homme se construit, elle devient un voile (au mieux), sinon un précipice satanique qui, lui, est disqualifiant (Coran : 3/175). Il y a alors deux types de constructions mentales face à la peur :
– La première est dogmatique, sclérosée et figé : on s’enferme dans des lois, des règles, des structures rigides pour ne pas affronter le vide qui précède la liberté. On s’accroche à une illusion de sécurité religieuse ou moraliste pour ne pas lâcher la rampe. On se crée une forteresse (pour ne pas dire prison) mentale où tout questionnement devient une subversion ou une hérésie. Suivez mon regard à droite …
– La seconde est floue, nébuleuse et fuyante : sous prétexte de liberté zarma, on rejette toute rigueur doctrinale, on s’abandonne à un spiritualisme creux, nébuleux, qui finit par être une fuite devant l’effort réel de la connaissance (parfois, on se convint qu’au fond il n’y a « rien à connaitre »). On se perd dans des vapeurs de bien-être newageux, on pense que la moindre chiasse peut remplacer un rituel divinement établi dans le cadre de la purification de l’âme. Bref, on danse autour de concepts fumeux, souvent sans cadre, ni exigence, ni aucune maturité et c’est la confusion entre délivrance et dissolution… Et on se retrouve face à des gens avec qui toute tentative de discours structuré est pris pour un méchant durcissement et un assèchement de la réalité vivante, blablabla. Suivez mon regard à gauche …
Bref, … Dans les deux cas, la peur est déguisée qu’importe la modalité : rationalisée, sentimentalisée, coloriée avec des pseudo-concept, etc. Mais ni l’un ni l’autre n’a dépassé la peur ; tous deux s’y sont soumis minablement d’une manière ou d’une autre et sont restés bloqués dans l’individualité et rappelez vous la prison du fond de l’Enfer est nommée 𝑠𝑖𝑗𝑗𝑖̂𝑛, c’est la forme intensive de la notion de prison (𝑠𝑖𝑗𝑛), du lieu d’enfer-mement.
Et donc vous l’aurez compris, c’est à ce moment-là que la peur devient disqualifiante car c’est là le sujet ! Pas parce qu’elle est apparue, mais parce que la peur a gagné en faisant perdre à l’être son centre ; ce centre dont le Prophète dit qu’il est « plus fin qu’un cheveu et plus affûté qu’une lame » et qu’il s’est retrouvé enfermé dans les cellules périphériques fragmentées de l’ego – qu’elles soient solides ou fluides. (même si la solidification est moins grave dans le processus de dégénérescence, mais c’est un autre sujet)
Et pour finir, vous aurez compris, pourquoi le Coran nous dit plusieurs fois :
أَلاٰ إِنَّ أَوْلِيٰاءَ اَللّٰهِ لاٰ خَوْفٌ عَلَيْهِمْ وَ لاٰ هُمْ يَحْزَنُونَ
𝐶𝑒𝑟𝑡𝑒𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑤𝑙𝑖𝑦𝑎𝑠 (𝑎𝑙𝑙𝑖𝑒́𝑠 𝑑𝑒 𝐷𝑖𝑒𝑢), 𝑛𝑢𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑒𝑢r 𝑠𝑢𝑟 𝑒𝑢𝑥, 𝑒𝑡 𝑖𝑙𝑠 𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑜𝑖𝑛𝑡 𝑎𝑓𝑓𝑙𝑖𝑔𝑒́𝑠. (𝐶𝑜𝑟𝑎𝑛 : 10/62)
Ce n’est pas qu’ils ne ressentent pas la peur, mais c’est qu’ils l’ont transcendé, la peur n’est plus « sur eux », ils ont accepté de se laisser recouvrir par le Divin et donc de dépasser la dimension individuelle de leur être.
Rachid.T