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Ja’far Ibn Abi Talib, l’homme aux deux ailes

Ja‘far Ibn Abî Tâlib, frère aîné de l’imam ‘Ali et cousin du Prophète ﷺ, fut un compagnon de la première heure et le célèbre porte-parole des musulmans ayant émigré en Abyssinie. Surnommé « le Père des Pauvres (Abu Al-Masâkin) » pour sa générosité sans faille envers les démunis, son martyr héroïque durant la bataille de Mouta contre les Byzantins lui vaudra également le surnom de « Dhu al-Janâhayn (celui aux deux ailes) ». Portrait.

Son nom complet est Ja‘far Ibn Abî Tâlib Ibn ‘Abd al-Muttalib. Troisième fils d’Abû Tâlib, il était le frère aîné de l’Imâm ‘Alî, le cousin du Prophète ﷺ et l’un de ses compagnons les plus proches. Il naquit vingt ans avant la Révélation au sein du clan des Banû Hâchim, une branche illustre de la tribu des Quraychites. Son père, Abû Tâlib, comptait parmi les notables respectés de Qoraych, tandis que sa mère était Fâtima Bint Asad.

Ja‘far était le troisième enfant d’Abû Tâlib, après Tâlib et ‘Aqîl. Ses frères cadets étaient ‘Alî Ibn Abî Tâlib et Tulayq, et ses sœurs Fâkhita, Jumâna et Rayta. Il épousa Asmâ’ Bint ‘Umays Bint Nu‘mân, dont il eut quatre fils : ‘Abd Allâh, ‘Awn, Muhammad et Ahmad. Ja‘far fut parmi les premiers à embrasser l’Islam, par l’intermédiaire d’Abû Bakr As-Siddîq.

Jeunesse chez son oncle Al-‘Abbas et conversion précoce

Le jeune cousin du Prophète passa la plus grande partie de sa jeunesse chez son oncle Al-‘Abbâs, frère d’Abû Tâlib. Ce dernier, bien qu’ayant un statut noble parmi les Quraychites, souffrait d’une lourde charge familiale et de ressources limitées. Une terrible sécheresse s’abattit sur la péninsule arabique, aggravant encore la misère et détruisant les récoltes et le bétail. C’est alors que, avant la Révélation, le Prophète ﷺ dit à son oncle Al-‘Abbâs :

« Ton frère Abû Tâlib a une famille nombreuse. Comme tu le vois, les gens sont éprouvés par la sécheresse et la famine. Allons le trouver pour alléger un peu ses charges : je prendrai un de ses fils, et toi un autre, afin que nous en prenions soin. ». Al-‘Abbâs accepta et tous deux se rendirent auprès d’Abû Tâlib pour lui exposer leur projet. Ce dernier consentit, précisant toutefois qu’il souhaitait garder auprès de lui son fils ‘Aqîl.

Ja‘far demeura alors chez Al-‘Abbâs jusqu’à l’âge adulte. Il épousa ensuite Asmâ’ Bint ‘Umays, sœur de Maymûna, future épouse du Prophète ﷺ. Après son mariage, il quitta la demeure de son oncle. Lui et son épouse comptèrent parmi les premiers Musulmans ayant embrassé l’Islam suite à la prédication d’Abû Bakr As-Siddîq.

Profondément dévoué au message du Prophète ﷺ, Ja‘far et Asmâ’ supportèrent avec courage les brimades et persécutions des notables quraychites. Ils endurèrent les épreuves avec patience et constance. Lorsque les persécutions atteignirent leur apogée, plusieurs croyants émigrèrent vers l’Abyssinie. Avec l’autorisation du Prophète ﷺ, Ja‘far et sa famille rejoignirent le second groupe d’émigrants en l’an 616. Il quittèrent La Mecque pour la terre d’Abyssinie, où ils trouvèrent refuge sous la protection du Négus, roi chrétien juste et équitable.

Emigration en Abyssinie

Les Qurayshites face au Roi d’Abyssinie

Pour la première fois depuis leur conversion, les musulmans purent, en terre d’Abyssinie, goûter à la liberté et se vouer sereinement à l’adoration de Dieu. Quand les notables qurayshites apprirent qu’un groupe de croyants s’était réfugié chez le Négus et vivait paisiblement sous sa protection, ils cherchèrent aussitôt à obtenir leur extradition vers La Mecque. Ils dépêchèrent, pour cette mission, Amr Ibn Al-Âs et ‘Abd Allah Ibn Rabî’a deux personnages influents de leur tribu.

Sur place, les émissaires remirent d’abord des cadeaux aux évêques et leur dirent : « Il y a des jeunes personnes malveillantes qui vont et viennent en toute liberté sur les terres du Roi. Ils ont attaqué la religion de leurs ancêtres et ont causé la division au sein de leur peuple. Lorsque nous parlerons d’eux au Roi, conseillez-lui de nous les livrer sans qu’il ne les interroge sur leur religion. Les nobles chefs de leur tribu les connaissent bien et sont mieux informés sur leurs croyances ». Les évêques donnèrent leur accord. Amr et Abd Allâh se rendirent ensuite auprès du Négus, lui offrirent leurs présents et expliquèrent :

« Ô Roi, un groupe de personnes maléfiques parmi nos jeunes s’est enfui vers votre royaume. Ils pratiquent une religion que ni vous ni nous ne connaissons. Ils ont renié notre religion et n’ont pas adopté la vôtre. Les notables de leur peuple nous envoient pour solliciter leur extradition ». Les évêques confirmèrent : « Ils disent vrai, Ô Roi. Leur peuple les connaît mieux et sait ce qu’ils ont fait. Renvoyez-les pour qu’ils soient jugés par les leurs ».

Le Négus, contrarié par cette demande, répliqua : « Non. Par Dieu, je ne les livrerai à personne, pas avant de les avoir moi-même interrogés sur ce dont on les accuse. Si ces deux hommes disent vrai, alors je vous les livrerai. Si ce n’est pas le cas, je les protégerai aussi longtemps qu’ils resteront sous ma garde ». Il convoqua donc les musulmans. Avant l’audience, ceux-ci décidèrent que seul Ja`far Ibn Abî Tâlib parlerait en leur nom.

Le discours mémorable de Ja’far Ibn Abi Talib

À la cour du Négus, devant les évêques et les émissaires qurayshites, les musulmans firent leur entrée et prirent place. Le Négus leur demanda alors : « Quelle est cette religion que vous avez adoptée et qui vous a conduit à renoncer à la religion de votre peuple ? Vous n’avez pas non plus embrassé ma religion ni celle d’aucune autre communauté ». Ja`far Ibn Abî Tâlib s’avança et prononça un discours éloquent, considéré comme l’une des plus belles définitions de l’islam et de l’appel du Prophète ﷺ. Il dit :

« Ô Roi, nous étions un peuple vivant dans l’ignorance et l’immoralité, adorant des idoles, commettant toutes sortes d’atrocités et de pratiques honteuses, brisant les liens de parenté, manquant aux règles de l’hospitalité, le plus fort d’entre nous exploitant le plus faible… Nous demeurâmes en l’état jusqu’au jour où Allah — Exalté Soit-Il — nous envoya un Prophète issu de notre peuple dont la lignée, la sincérité, le respect du dépôt et l’intégrité étaient connus de nous tous.

Il nous appela à adorer d’Allah, l’Unique et à abjurer les idoles que nos ancêtres et nous-mêmes adorions. Il nous a enjoint de dire la vérité, d’honorer notre parole, d’être aimables envers nos proches, d’aider nos voisins, de cesser tout acte illicite, de s’abstenir de verser le sang, d’éviter l’indécence et le faux témoignage, de ne pas s’approprier les biens des orphelins ni de calomnier les femmes honnêtes. Il nous a ordonné d’adorer Allah seul, sans rien lui associer, d’accomplir la Salât (prière), de s’acquitter de la Zakât (aumône légale) et de jeûner le mois de Ramadan.

Nous avons cru en lui et au message qu’il nous a apporté, nous observons tout ce qu’il nous demande de faire, et rejetons ce qu’il nous a interdit de commettre. Suite à cela, Ô Roi, notre peuple nous a attaqués et infligé le plus sévère des châtiments afin de nous faire renoncer à notre religion et nous ramener aux anciennes pratiques immorales et à l’adoration des idoles. Ils nous ont opprimés, rendu notre vie impossible, et nous ont empêchés d’appliquer notre Religion. C’est alors que nous sommes venus dans votre pays, et que nous vous avons choisi parmi tant d’autres, avec le désir de gagner votre protection et dans l’espoir de vivre dans la justice et la paix, parmi vous. »

Illustration du discours de Ja’far face au Négus

Le Négus, touché, voulut en savoir davantage et demanda à Ja`far : « Auriez- vous quelque chose que votre Prophète vous a apporté concernant Dieu ? ». « Oui, » répondit Ja`far.« Alors lisez-le pour moi », demanda le souverain. Le compagnon récita le premier passage de sourate Maryam, qui a pour sujet Jésus et sa mère Marie. À l’écoute des mots du Coran, le Négus fut ému aux larmes. Il dit aux Musulmans : « Le message de votre Prophète et celui de Jésus  ont une seule et même source ». Puis s’adressent à ‘Amr et à ses compagnons, il ordonna : « Partez, car par Dieu, je ne vous les livrerai jamais ».

Dix années paisible sous la protection du Négus

L’émissaire Amr Ibn Al-Âs ne s’avoua pas vaincu pour autant. Le lendemain, il se présenta de nouveau devant le Roi et lui dit : « Ô Roi, ces gens à qui vous avez accordé l’asile et que vous protégez tiennent des propos terribles à propos de Jésus, fils de Marie. Faites-les venir et interrogez-les sur ce qu’ils disent de lui ». Le Négus convoqua alors, une fois encore, les musulmans. « Que dites-vous de Jésus, fils de Marie ? » demanda-t-il.

Ja`far répondit : « À son sujet, nous ne disons que ce qui nous a été révélé par notre Prophète. Il dit que Jésus est le serviteur de Dieu, Son Prophète, Son Esprit et Sa Parole qu’Il a insufflée à la Vierge Marie ». Le Négus fut ébloui par cette réponse et déclara : « Par Dieu, Jésus fils de Marie est exactement comme l’a décrit votre Prophète ». Malgré la frustration des évêques, le souverain d’Abyssinie se tourna vers les musulmans et leur dit : « Allez en paix. Quiconque vous tourmentera en subira les conséquences, et quiconque s’opposera à vous sera puni ».

Devant cette décision ferme, les émissaires qurayshites rentrèrent humiliés à La Mecque. Ja`far et Asmâ, son épouse passèrent dix années en Abyssinie qui devint leur deuxième patrie. Asmâ y donna naissance à trois enfants qu’ils nommèrent `Abd Allâh, Mohammad et `Awn.

En l’an 7 de l’hégire, Ja’far et sa famille quittèrent l’Abyssinie avec un groupe de musulmans pour rejoindre Médine. Lorsqu’ils arrivèrent, le Prophète ﷺ revenait de la victoire de Khaybar. À la vue de Ja`far, il s’exclama : « Je ne sais ce qui me rend le plus heureux, la conquête de Khaybar ou la venue de Ja`far ». Le séjour de Ja`far à Médine fut bref.

La bataille de Mu’ta contre les Byzantins

L’expédition militaire contre les Byzantins à Mouta

Au début de la huitième année de l’Hégire, le Prophète prépara une expédition contre les Byzantins en Syrie. Après qu’un de ses émissaires, envoyé en paix, eut été tué par un gouverneur byzantin. Il nomma Zayd Ibn Hâritha commandant de l’armée et ordonna : « « Si Zayd est blessé ou tué, le commandement reviendra à Ja`far. Si Ja`far est blessé ou tué, alors votre commandant sera `Abd Allâh Ibn Rawâha. Si `Abd Allâh est tué, il appartiendra alors aux musulmans de choisir leur commandant »

Lorsque l’armée islamique atteignit Mouta, un village des collines jordaniennes, elle découvrit que les Byzantins avaient mobilisé cent mille soldats, tandis que les musulmans n’étaient que trois mille. Malgré cet écart, ils engagèrent le combat. Zayd Ibn Hâritha, compagnon bien-aimé du Prophète ﷺ, fut parmi les premiers à tomber. Ja`far Ibn Abî Tâlib prit alors le commandement.

Monté sur son cheval, il se jeta dans les rangs ennemis en criant : « Comme le Paradis est merveilleux lorsqu’on s’en approche ! Comme ses breuvages sont délicieux et désaltérants ! Le châtiment envers les Byzantins est tout proche ! ». Il se battit vaillamment jusqu’à la mort. Après lui, `Abd Allâh Ibn Rawâha prit le commandement et tomba à son tour.

C’est alors que Khâlid Ibn al-Walîd, converti à l’islam depuis peu, fut désigné chef. Il ordonna un repli tactique, réorganisa les troupes et lança une attaque de plusieurs côtés. Finalement, les Byzantins prirent la fuite dans la confusion.‘Abd Allâh Ibn ‘Omar, qui prit part à cette bataille, rapporta : « J’étais avec Ja’far lors de la bataille de Mouta. Nous l’avons cherché et fini par le trouver : son corps portait plus de quatre-vingt-dix blessures ».

La tombe de Ja’far Al-Tayyar, Jordanie

Ja’far Al-Tayyar, le père des pauvres

À Médine, lorsque le Prophète ﷺ apprit la mort de ses trois commandants, une profonde douleur s’empara de lui. Il se rendit à la demeure de Ja’far, où il rencontra Asmâ, l’épouse du martyr, qui se préparait encore à accueillir son mari. Asmâ rapporta le récit de cette visite :

« Lorsque le Messager d’Allah ﷺ entra chez nous, je vis son noble visage assombri par la tristesse. Je fus troublée, mais je n’osai pas l’interroger au sujet de Ja’far, craignant d’entendre une nouvelle affligeante. Il nous salua et demanda : “Où sont les enfants de Ja’far ?” Je les appelai, et ils accoururent vers lui, joyeux, s’accrochant à lui de toutes parts. Il se pencha, les embrassa, et je vis les larmes couler de ses yeux. “Ô Messager d’Allah, pourquoi pleures-tu ?” demandai-je. “As-tu appris quelque chose à propos de Ja’far et de ses deux compagnons ?” Il répondit : “Oui, ce sont désormais des martyrs ».

Les rires des enfants s’éteignirent aussitôt, tandis que leur mère éclatait en sanglots. Des femmes se rassemblèrent autour d’Asmâ. Le Prophète ﷺ lui dit alors : « Ô Asmâ, ne dis rien de blâmable et ne te frappe pas la poitrine ». Après son martyre, Ja’far fut surnommé at-Tayyâr (« le volant ») et Dhu al-Janâhayn (« celui aux deux ailes »), en souvenir de ses deux mains perdues au combat. Abû Hurayra rapporta à ce propos que le Messager de Dieu ﷺ déclara : « J’ai vu Ja’far voler au Paradis avec les anges ». 

Les musulmans, et en particulier les plus pauvres d’entre eux, furent profondément attristés par sa disparition. Ja’far était connu pour sa grande générosité et sa compassion envers les démunis. Abû Hurayra dit : « Le meilleur des hommes envers nous, les nécessiteux, était Ja’far. Nous l’appelions le Père des Pauvres. Lorsqu’il passait devant nous en rentrant chez lui, il nous donnait toujours de quoi manger. » Autre distinction éclairante de sa stature et de son mérite, le Prophète ﷺ  dit un jour à Ja’far : « Tu partages avec moi une certaine ressemblance physique et morale ». 

Ibrahim Madras

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