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Imen Benhamadi : « Une action du présent peut agir sur le passé »

Psychologue, diplômée en psychologie clinique, spécialisée en Thérapie cognitive comportemental, Imen Benhamadi expose dans un article publié en deux parties sur Mizane.info, le rôle du temps et le caractère rétroactif que nous possédons sur nos souvenirs passés et nos expériences présentes.

Dans le film interstellar, on questionne la notion du temps. Ce moment linéaire que l’on ne peut capturer, que l’on ne le comprend pas totalement, mais auquel nous sommes soumis. Tout est désormais de l’ordre du temps. Nos horloges inondent nos foyers, et nos téléphones nous rappellent quotidiennement que nous sommes en retard : en retard sur notre vie, à notre rendez-vous, sur nos tâches quotidiennes, etc.

Pas un moment ne passe sans être conditionné par un repère temporel.

On s’interroge aussi sur la vitesse de ce temps : « le temps passe vite », comme s’il accélérait tout seul, comme un train qui déraille, dont les freins ne fonctionnent plus. Le temps défile, et nous sommes soumis à ce défilement.

Dans ce film, qui traite d’un voyage spatiale et de la recherche d’une solution pour l’humanité, le temps devient en grande partie un ennemi. Quand une seconde passée sur la planète fictive Miller équivaut à 73 jours sur terre, on ne peut plus se permettre de « perdre » du temps.

Mais lorsqu’ils accèdent à un trou noir, un basculement se produit : le temps s’étire. Il n’est plus linéaire comme nous le connaissions. Ils peuvent revenir en arrière, observer des scènes du passé, et même agir dessus — non directement, mais par des influences subtiles. Le personnage principal, Cooper, agit sur le passé pour aider sa fille, Murphy, à sauver l’humanité.

Le temps devient alors une ressource. Ce n’est plus un ennemi. Une action du présent peut agir sur le passé, bouleversant ainsi notre compréhension classique du temps. Et j’aime imaginer que le temps, tel que nous le connaissons, n’est qu’une illusion. Il nous semble linéaire, mais en réalité, il est peut-être bien plus complexe, rétroactif, modulable. Nos actions actuelles pourraient impacter notre passé, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Cette idée semble contre-intuitive de prime abord et pourtant tout ce que nous connaissons vient confirmer cette hypothèse.

Le temps, pour Dieu, n’est pas linéaire. Il est issu d’une toute autre logique. Ce que nous appelons passé, présent ou futur ne sont que des perceptions limitées, créées pour organiser notre expérience humaine. Mais Dieu n’est pas soumis au temps : Il le crée. Il l’entoure, le traverse, sans en être limité.

Et c’est justement parce que Dieu embrasse le temps dans son entièreté que rien ne Lui échappe. Chaque instant compte. Chaque geste s’inscrit dans une continuité qu’Il connaît déjà.

Chaque action — qu’elle soit minime ou significative — laisse une empreinte sur notre existence. Rien ne disparaît dans le néant : tout façonne, transforme, influence des éléments visibles ou invisibles de notre trajectoire.

Reconnaître cela, c’est impliquer une posture de responsabilité. Certes, nos actes sont conditionnées par de nombreux facteurs : nos dispositions biologiques, notre histoire personnelle, notre environnement social, notre sensibilité psychologique… Pourtant, dans cet enchevêtrement, demeure une zone de liberté, un espace de choix. Et chaque choix, chaque geste, aussi discret soit-il, engage une direction.

Cette conscience nous invite à ne pas attendre passivement que notre vie change d’elle-même. Rien de ce que nous faisons n’est totalement neutre : même si les conséquences ne sont pas immédiates, elles existent — qu’elles soient visibles, subtiles, positives ou négatives.

N’est-il pas dit dans le Coran :

« Quiconque fait le poids d’un atome de bien le verra, et quiconque fait le poids d’un atome de mal le verra. »

(Sourate 99, versets 7-8)

Ce verset ne doit pas être perçu comme une menace, mais comme une invitation à la conscience afin de comprendre la finesse du lien entre l’action et ses répercussions. Par exemple, parler mal sous l’effet d’un agacement en voiture, peut sembler banal. Pourtant, ce type de réaction peut générer une énergie intérieure — tension, frustration, irritation — qui, à son tour, influence d’autres gestes, d’autres paroles, d’autres décisions. Peut-être qu’on s’agacera plus vite plus tard, ou qu’on reproduira ce ton ailleurs sans s’en rendre compte.

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Il ne s’agit pas de voir dans chaque désagrément une punition cosmique, mais de reconnaître que chaque action enclenche une suite. Comme l’enfant qui touche une bougie : la brûlure n’est pas une punition, c’est une conséquence.

Chaque acte, même infime, produit un effet. Il imprime une forme, une trace, une direction. Tôt ou tard, ce mouvement rejaillit — dans notre corps, nos émotions, nos relations, notre intériorité.

C’est pourquoi j’aime imaginer que chaque bonne action que nous accomplissons est comme une pierre jetée dans l’eau : on n’en voit peut-être plus la forme, mais les cercles qu’elle crée continuent de s’étendre. Et parfois, des vagues reviennent vers nous, portant les fruits de gestes que nous avons presque oubliés.

Cela vaut aussi pour les paroles. Parce qu’elles sortent souvent spontanément, sans réflexion, elles peuvent toucher profondément — en bien comme en mal. Elles peuvent blesser, apaiser, déclencher une prise de conscience, ou nourrir un malaise durable. Dans une époque saturée de discours, nos mots sont peut-être nos actes les plus négligés, mais aussi les plus puissants.

Si nos actions ont un impact direct sur notre vie, il en va de même pour notre manière de les percevoir. Car ce n’est pas seulement ce que nous faisons qui agit, mais aussi comment nous regardons ce que nous avons fait, ce que nous vivons, et ce que nous projetons.

Autrement dit : notre vision du présent — la façon dont nous interprétons ce que nous vivons ici et maintenant — agit aussi bien sur le passé, que sur le présent et le futur.

Ce que nous pouvons observer la plupart du temps en consultation est une lecture biaisée du quotidien et de notre ligne de vie. Une perception négative du futur : le monde ne vaut rien, l’avenir est sans espoir. Et cela en va de même pour notre passé : tout ce que nous avons pu vivre est généralement interprété à travers un spectre négatif sans y ajouter une notion de sens ou de fonction. Ainsi, sur toute une vie, rien ne vaut la peine et tout semble sans intérêt.

Notre perception de notre réalité impacte notre vie, notre passé et notre futur. Tout ce que nous faisons ou vivons est interprété par une partie de notre cerveau. Nous possédons donc tous une vision du monde, de nous-mêmes, de notre présent et de notre vie de manière générale.

Nous savons que dans la spiritualité, notamment islamique, la vision que nous avons de Dieu va impacter Sa manière d’être avec nous. Si notre vision est parsemée de Beau de Bien et de Vrai, que nous le voyons tel qu’Il est, c’est-à-dire comme une entité dont la Rahma embrasse toute chose (sourate 7 verset 156) et qu’Il S’est prescrit à Lui-même la Rahma (sourate 6 verset 12), alors Il sera ainsi. Reza Shah-Kazemi a d’ailleurs dédié un ouvrage à ce principe : Ma Miséricorde embrasse toute chose.

De la même manière, la façon dont nous lisons notre vie va façonner notre quotidien ; nous pouvons choisir de voir nos difficultés comme des tremplins par exemple ou comme des fatalités – ce qui amènera une flagellation, une inaction et de l’auto-sabotage.

Ainsi, même pendant que nous vivons une chose, notre interprétation de cette dernière va la façonner. Nous pouvons donc voir que notre perception du présent influence  non seulement notre expérience actuelle, mais aussi notre futur et notre passé.

En effet, le futur est une conséquence logique de la manière dont nous vivons  notre présent. De plus, le passé n’est pas figé : ce qui change, c’est le regard que nous portons sur lui. Si nous guérissons d’un traumatisme vécu des années auparavant, nous allons comprendre différemment ce que nous avons traversé. Nous re-signifions alors nos épreuves, et ce qui était une blessure devient une étape initiatique. L’échec devient un apprentissage et influence notre expérience présente. Cela forme une boucle parfait entre le passé le présent et le futur : ces trois dimensions s’influencent mutuellement.

Notre conscience actuelle agit comme un prisme : elle colore le passé, détermine nos choix pour le futur, et définit notre manière de ressentir le moment présent.

En psychologie cognitive, ce phénomène est bien documenté. Ce que nous appelons « souvenir » n’est pas un enregistrement neutre de notre passé: c’est une mémoire reconstructive. Ce qui signifie que chaque fois que nous nous rappelons un événement, nous le réinterprétons à la lumière de notre état émotionnel actuel, de nos croyances et du contexte présent.

Nos expériences passées forment des schémas cognitifs: ce sont des croyances fondamentales, souvent inconscientes, sur nous-mêmes, les autres et le monde. Ces schémas filtrent notre perception du présent. Ces schémas peuvent être modifiés lorsqu’on se reconnecte à une autre vision des choses – notamment grâce à une thérapie, on va requalifier rétroactivement ce que l’on a vécu.

En sortant d’un prisme linéaire du temps, nous comprenons donc que le passé n’est pas ce qui s’est passé dans la réalité mais ce que notre esprit en garde.

Imen Benhamadi

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