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Imen Benhamadi : « La bienveillance est un facteur de régulation émotionnelle »

Imen Benhamadi : "La bienveillance est un facteur de régulation émotionnelle"

Seconde partie du texte d’Imen Benhamadi. Aujourd’hui, focus sur la manière de gérer ses émotions et réparer ses blessures psychiques.

Nous avons pu voir que notre perception et interprétation va lire d’une manière ou d’une autre notre passé et nos épreuves vécu. Tout ce qui peut nous arriver dans notre quotidien, les personnes que nous rencontrons, les épreuves que nous vivons ou mêmes les hasards pourraient nous aider à replacer notre passé dans un certain spectre et donc agir sur notre vision de celle ci.

Non seulement l’interprétation de nos actions jouera grandement sur le passé mais également nos propres actions quotidiennes vont avoir un effet assez important sur notre vie de manière globale.

Nous pouvons devenir des causes invisibles de transformation de notre propre passé, comme si nous agissons depuis une dimension supérieure à l’instar de Cooper dans interstellar. Etant persuadé que le temps est une illusion, je pense qu’il serait intéressant de l’utiliser comme une arme et non en le subissant.

Dans le cadre thérapeutique, c’est précisément ce qui se passe. En revisitant nos souvenirs, nous ne faisons pas que les raconter : nous les re-vivons, nous les re-signifions, et nous en reconfigurons l’impact émotionnel. C’est ce qu’on appelle la guérison psychique.

Le passé n’est plus une charge figée, mais une matière malléable, qu’on peut intégrer autrement.

Sur le plan neurologique, cela a été confirmé par les recherches en neuroplasticité. Contrairement à ce qu’on pensait autrefois, le cerveau n’est pas figé après l’enfance. Nos circuits neuronaux sont capables de se modifier à tout âge. Ce qu’on croyait inscrit de manière définitive – des réflexes émotionnels, des réactions conditionnées, schémas de pensée – peut évoluer.

C’est d’ailleurs l’une des bases de la résilience psychologique : des expériences positives, des prises de conscience profonde ou des relations bienveillantes peuvent littéralement re-câbler notre cerveau. Ce que nous vivons dans le passé transforme non seulement notre avenir, mais aussi notre manière d’être au monde et donc notre passé.

Cette lecture métaphysique et existentielle du lien entre le passé, présent et futur, nous offre une nouvelle dimension à proprement parlé : nous pouvons envoyer des messages à notre propre passé par le biais des autres mais aussi à notre propre enfant intérieur. Car, croyons le ou non, nous possédons tous une version enfant de nous-même qui ne demande qu’à être écouté. Alors, pour réparer mes besoins non répondus par exemple, je vais les alimenter en m’adressant directement à mon « inner child ». En transmettant ce qu’on a compris, en brisant des cycles, on répare des douleurs anciennes en empêchant la répétition.

Par la même occasion, en aidant les plus jeunes de notre familles, ou mêmes nos propres enfants, nous envoyons ces fameux messages à notre propre « passé ». Par exemple, en devenant un parent doux et à l’écoute pour quelqu’un qui a manqué de ça, tu « répares » ce que ton enfant intérieur n’a pas reçu. Et quelque part, tu modifies symboliquement ton propre passé.

Ce que nous vivons maintenant a un écho cosmique dans un temps  « au-delà » du temps, bien que notre vision fermé peut nous amener à penser le contraire. Nous pouvons donc rassurer notre ancien nous et nous apaiser de cette façon.

L’histoire de l’homme du poisson vient nous en apprendre d’avantage concernant cette conception du temps.

Jonas ou Yunus, était un prophète d’un peuple récalcitrant. Il a été envoyé à un peuple idolâtre qu’il appelait à l’unicité de Dieu. Malgré ses efforts, ils restaient fermés, moqueurs, méprisants. Blessé dans sa mission et épuisé, il finit par quitter son peuple.

Il monte alors à bord d’un navire. La mer devenant agité, les marins pensent qu’un passager est la cause de ce mauvais présage. Ils tirent au sort plusieurs fois et à chaque fois, c’est Yunus qui est désigné. Il est alors jeté à la mer, avalé par un énorme poisson – souvent identifié comme une baleine, sans être blessé.

Dans le ventre du poisson, Yunus est vivant et comprend son erreur au plus profond de l’obscurité – celle de la mer, du ventre du poisson et de la nuit. Il a quitté sa mission pensant fuir l’échec. Il se tourne alors vers Dieu avec des paroles sublimes qui sont devenues une invocation puissante.

« La ilaha illa Anta, soubhnaka inni kuntu mina-z-zalimin » « Il n’y a de divinité que Toi. Gloire à Toi ! J’ai été certes parmi les injustes ». Cette action neutre – reconnaissance d’une erreur, change alors sa destiné. Yunus est recraché sur une plage.

Yunus, en quittant son peuple, pense que l’histoire est terminée et c’est précisément cette fuite qui va transformer son propre être et qui, rétrospectivement, rend possible sa mission réelle. La fuite n’est plus une « erreur » mais elle devient une étape nécessaire à sa transformation. Le sens du départ est ainsi visible qu’à travers la réapparition. Le présent – prière dans le ventre du poisson, réécrit le passé de sa fuite. C’est une boucle d’apprentissage.

D’un point de vue psychologique, cette histoire est aussi le récit d’une transformation intérieure. Dans le ventre du poisson, à travers la triple obscurité, c’est un moment d’effondrement que Yunus vit.

Mais c’est précisément dans cet espace de repli que naît une lucidité nouvelle. Ce que les psychologues appellent une prise de conscience fondatrice : reconnaître sa part, ses limites dans une forme d’humilité active et non de culpabilité paralysante. En psychologie, on observe souvent que c’est lorsque l’on cesse de fuir l’épreuve et que l’on accueille dans toute sa signification, qu’elle cesse de nous engloutir. Ce n’est pas la fuite de Yunus qui le perd, c’est sa relecture dans le ventre du poisson qui le sauve.

A lire aussi : Imen Benhamadi : « Une action du présent peut agir sur le passé »

L’homme du poisson, Yunus, est donc un prophète qui nous enseigne que le temps n’est pas chronologique, il est transformationnel, et ce qui semble être un détour est parfois le coeur de l’histoire. Le présent peut donc guérir le passé. C’est ainsi une arctique de l’impact temporel rétroactif : le sens se révèle dans l’après et cette révélation réorganise l’avenir.

Alors, si nos propres actions quotidiennes et nos propres perceptions agissent sur notre passé, notre présent et notre futur, la grâce de Dieu ne peut être que rétroactive.

Celui qui se donne lui même les noms Ar Rahman, Ar Rahim – que Maurice Gloton traduit comme Le Tout Rayonnant d’Amour, Le Très Rayonnant d’Amour possède un Amour, une miséricorde tel qu’on ne peut s’arrêter à une vision figée du temps. Cette grâce – au sens amour miséricorde pardon bonté, pénètre le passé et le reconfigure. L’intervention divine ne va donc pas seulement toucher aux conséquences d’un acte précis mais va re configurer le sens y compris à posteriori.

On a donc pu voir que le passé n’est pas figé, ce n’est pas une pierre indélébile ancré dans une vision linéaire du temps, qui est certes humaine, mais étroite. Dans la perspective divine, le temps est autre : Dieu n’est pas enfermé dans notre chronologie. Il agit au-delà du passé, du présent et du futur. Et c’est précisément cela qui rend Sa grâce si éblouissante : elle n’est pas seulement réparatrice, elle est transformatrice.

Quand une personne change, sincèrement, en profondeur – qu’elle se reconnecte – alors ce changement rayonne vers l’arrière. Il requalifie ce qui a été. Il ne s’agit pas de nier les erreurs, mais de les intégrer dans un récit plus lumineux.

Comme une lumière qui éclaire des pièces oubliées de notre vie, la miséricorde de Dieu descend jusque dans nos souvenirs. Elle leur donne un autre goût, une autre couleur. Dieu ne fait pas que couvrir nos épreuves : Il les requalifie, Il les inverse et les intègre dans une dynamique de lumière.

Ce même rapport au temps peut également être observé dans nos relations interpersonnelles. En effet, nous sommes des êtres faits de défauts et ces défauts peuvent entraver certaines de nos relations par des comportements dysfonctionnels. La grâce de Dieu peut être rétroactive mais la nôtre aussi.

Si la grâce de Dieu est capable de venir guérir un passé brisé, d’englober nos fautes anciennes, alors pourquoi ne pas envisager que notre bienveillance envers les autres puisse suivre le même mouvement?

Nous entendons souvent « Je pardonne mais je n’oublie pas », comme si le passé devait rester figé, intouchable. Alors pourquoi notre bienveillance ne pourrait-elle pas, elle aussi, descendre dans le passé pour ne plus réduire quelqu’un à ses anciens gestes, pour croire en sa capacité de changement.

On changerait donc d’angle en posant un regard sur l’autre qui croit à la transformation. Ainsi, notre propre bienveillance (comportant amour, pardon, grâce) peut agir sur le passé, le présent et le futur également.

La bienveillance devient rétroactive à partir du moment où l’on choisit de voir les gens comme ils sont aujourd’hui et non plus uniquement comme ils ont été.

Carl Rogers, père de la psychologie humaniste, disait que l’une des conditions essentielles à la transformation personnelle est le regard inconditionnellement positif porté sur une personne. C’est en étant vu non plus comme celui qu’il a été, mais comme celui qu’il peut devenir, qu’un individu peut réellement se transformer.

La bienveillance envers soi et les autres devient alors un facteur de régulation émotionnelle, une clé pour écrire une autre histoire de soi.

Imen Benhamadi

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