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Gaza et la crise morale du monde musulman

Face au génocide en cours à Gaza, et sous la pression des dirigeants arabes, « les autorités religieuses musulmanes restent en proie à la peur et au silence », constate l’universitaire Oussama Al-Azami. Pour étayer son analyse, le théologien, cite en exemple – dans un article publié sur Middle East Eyes – le message rapidement supprimé, fin juillet, du Cheikh d’Al-Azhar dénonçant le silence des gouvernements sur le drame des Palestiniens.

Près de deux ans après le début d’un génocide diffusé en direct, sans précédent par sa visibilité et son impunité, les dirigeants mondiaux n’ont toujours pas pris de mesures significatives pour y mettre un terme. Le massacre systématique des Palestiniens par Israël, se poursuit sans relâche. Depuis des semaines, l’UNRWA, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, rappelle à qui veut l’entendre qu’elle dispose de réserves alimentaires pour trois mois, stockées à quelques kilomètres de Gaza, de l’autre côté de la frontière, en…Égypte. 

Guerre froide entre Ahmed Tayyeb et Sissi

L’Égypte, qui abrite la mosquée et l’université millénaire d’Al-Azhar, a joué un rôle déterminant au fil des ans dans le maintien du blocus israélien à la frontière sud de Gaza. Aujourd’hui, elle contribue activement au génocide en empêchant l’acheminement de l’aide humanitaire vers le nord, conformément aux souhaits du régime sioniste.Le président égyptien Abdel Fattah Sissi est arrivé au pouvoir en 2013 à la suite d’un coup d’État ouvertement soutenu par Washington et Tel-Aviv. Il n’est donc guère surprenant que le sentiment d’engagement mutuel soit profond.

Cependant, Ahmed Al-Tayyeb, le grand cheikh d’Al-Azhar, a montré ces dernières années une certaine indépendance vis-à-vis de Sissi, exprimant même périodiquement son inquiétude pour le peuple de Gaza dans des déclarations publiques. Bien qu’il soit dépourvu de pouvoir politique, il exerce une autorité symbolique considérable en tant que chef de l’un des plus anciens centres d’enseignement religieux islamique au monde. Il a donc le potentiel de parler non seulement au nom de la conscience morale des Égyptiens, mais aussi de celle de toute la communauté musulmane. 

Aucune de ses déclarations n’a suffi à empêcher le massacre des Gazaouis, mais au cours des 22 derniers mois, Ahmed Al-Tayyeb a au moins refusé d’approuver tacitement la complicité de l’Etat Égyptien dans le génocide. Mais cela a changé récemmente lorsque al-Tayyeb a émis sa condamnation la plus ferme du génocide à ce jour, pour finalement changer de cap quelques heures plus tard sous la pression de l’État égyptien. 

Ahmed Al-Tayyeb

Une critique de courte durée

Mardi 22 juillet, le Grand Cheikh d’Al-Azhar a publié une déclaration puissante appelant les personnes de conscience du monde entier à prendre des mesures immédiates pour mettre fin au « génocide barbare et brutal » perpétré par l’occupation israélienne. Dans une longue déclaration, al-Tayyeb a condamné sans relâche non seulement la brutalité du « génocide systématique » d’Israël, mais aussi le silence des puissants – des gouvernements, et même de l’État égyptien – qui lui permettent de persister.

Il s’est conclu par un « appel retentissant à tous les peuples libres et honorables du monde pour qu’ils rompent le silence, adoptent une position ferme et immédiate et fassent pression sur leurs gouvernements et les organisations internationales afin qu’ils ouvrent le point de passage de Rafah et tous les autres points de passage possibles pour permettre l’entrée de l’aide humanitaire, médicale, pharmaceutique et alimentaire ». 

Etant donné que le côté égyptien du passage de Rafah abrite les camions d’aide et les installations de stockage, où les fournitures de l’ONU attendent depuis des mois, cela pourrait être considéré comme une critique implicite du cheikh de la complicité de l’État égyptien dans la famine à Gaza. Mais la critique a été de courte durée. En quelques minutes, la déclaration a été retirée.

Consternation et déception pour les observateurs qui y avaient vu un rare moment de lucidité morale. Nombre d’entre eux ont exprimé leur indignation et leur incrédulité sur les réseaux sociaux. Au plus fort du génocide, alors que la force morale des dirigeants est plus que plus nécessaire, une lueur d’espoir était apparue dans l’une des rares institutions égyptiennes qui avait fait preuve d’un minimum d’indépendance – pour disparaître quelques instants plus tard, sans explication. 

Le cas Gazaoui doit transcender les machinations politiques

Quelques heures plus tard, le service de presse officiel d’Al-Azhar a publié un communiqué alternatif, bref mais défensif. Avec un ton digne d’un attaché de presse de la Maison Blanche, le message décrivait cette suppression comme un acte accompli « avec courage et responsabilité devant Dieu », affirmant qu’il ne souhaitait pas compromettre les efforts égyptiens pour négocier une trêve. 

Des rapports suggèrent que le retrait de la déclaration initiale a été effectué sous la pression de l’État égyptien. Bien entendu, rien ne prouve que ce retrait ait rapproché le génocide de sa fin, et il ne faut pas s’attendre à une telle mesure. Sissi est en conflit depuis des années avec al-Tayyeb sur des questions d’autorité religieuse et morale, mais il n’a pas eu suffisamment de capital politique pour le destituer.  

Pourtant, dans un cas comme celui de Gaza, où la politique, la religion et la morale sont inextricablement liées, l’impératif religieux et moral de s’exprimer en faveur de ses coreligionnaires musulmans menacés d’extermination devrait transcender les machinations politiques qui ont permis ce génocide. Le retrait d’Al-Tayyeb contraste particulièrement avec la position inébranlable d’une autre figure religieuse de premier plan dans le monde arabe : le cheikh mauritanien Muhammad al-Hassan al-Dadow. 

Le cheikh mauritanien Muhammad Al-Hassan Al Dadaw

Le cas du cheikh Muhammad Al Dadaw

Le jour même où al-Tayyeb a publié sa condamnation, désormais supprimée, du génocide, al-Dadow a publié une vidéo de cinq minutes sur ses pages de médias sociaux, appelant le monde à faire tout ce qui est en son pouvoir pour y mettre fin. Al-Dadow fait partie des rares universitaires de renom qui ont systématiquement dénoncé les puissants de la région pour avoir facilité ce qu’il a appelé une « solution finale » contre les Palestiniens. 

Dès le début du génocide, il a lancé un avertissement frappant : les dirigeants musulmans et leurs armées, pratiquement dans leur intégralité, seront tenus responsables devant Dieu pour « chaque goutte de sang tombée à Gaza » en raison de leur abandon de son peuple. C’est un message qu’il répète depuis qu’Israël a lancé sa guerre génocidaire contre Gaza, citant parfois l’exemple du seul président démocratiquement élu d’Égypte, Mohamed Morsi, qui a contribué à mettre fin à l’assaut israélien de 2012 grâce à une intervention diplomatique déterminée.

Dans un discours prononcé début 2024, al-Dadow a soutenu que tout chef d’État musulman – que ce soit en Turquie , en Arabie saoudite ou ailleurs – pourrait faire de même, s’il le souhaitait. Ses commentaires sont une réprimande directe des dirigeants musulmans, dont les condamnations du génocide ont été aussi nombreuses que futiles – une rhétorique vide non accompagnée d’une quelconque action significative contre Israël.

Lire sur le sujet : Egypte : Al-Azhar publie puis supprime un « appel » à aider Gaza 

Les démons du corps politique musulman

Les propos d’Al-Dadow constituent également un défi pour les personnalités musulmanes comme le grand cheikh d’Al-Azhar, qui doivent reconnaître leur responsabilité de parler au nom des Palestiniens sans voix, assassinés avec la complicité du gouvernement qui cherche à le réduire au silence. La classe politique n’a plus rien à dire ; il ne lui reste plus qu’à agir. Et pour les autorités religieuses comme Al-Tayeb, il est temps de se mobiliser pour Gaza.  

Son récent refus de tenir tête à un dirigeant musulman complice du génocide de Gaza est un rappel brutal que les racines de ce crime sont profondément ancrées en lui. C’est un véritable courage – et non une lâcheté – qui est le plus nécessaire pour affronter les démons de la complicité qui hantent le corps politique musulman. 

Ousaama Al-Azami 

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