À Gaza, la « ligne jaune », qui sépare les zones dites « sûres » des territoires contrôlés par l’armée israélienne, suscite une inquiétude croissante parmi la population. Cette frontière invisible concerne désormais 53 % de l’enclave, laissant de nombreux Gazaouis exposés et accentuant leur sentiment d’insécurité.
Sur les cartes diffusées par l’armée israélienne, une ligne tracée en jaune coupe désormais l’enclave en deux. D’un côté figure la « zone de combat dangereuse », contrôlée par Israël et interdite aux habitants de Gaza depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 10 octobre dernier. De l’autre, l’espace réduit où sont confinés près de deux millions de Gazaouis.
« La Ligne jaune est une nouvelle frontière »
Présentée initialement comme provisoire dans le cadre du plan américain ayant servi de base à l’accord de cessez-le-feu, cette démarcation tend à s’installer durablement. « La Ligne jaune est une nouvelle frontière », a déclaré le chef d’état-major israélien, Eyal Zamir, à ses soldats lors d’une visite à Gaza le 7 décembre. « Elle sert de ligne de défense avancée pour nos communautés et de ligne d’activité opérationnelle ».
Des images satellitaires analysées par l’organisation Forensic Architecture révèlent toutefois « des divergences entre l’emplacement de la “Ligne jaune” sur les cartes et le déploiement réel de ces blocs jaunes ». L’ONG, qui documente les effets du génocide à Gaza, précise : « Sur les 27 blocs que nous avons identifiés, tous se situaient au-delà de la “Ligne jaune”, empiétant jusqu’à 940 mètres supplémentaires à l’intérieur de Gaza ».
🔥 LA LIGNE JAUNE, C’EST UNE LIGNE DE COLONISATION
— Urgence Palestine (@urgence_pal) December 29, 2025
Ce n’est pas une « mesure de sécurité ».
Ce n’est pas un « accord ».
C’est une stratégie de dépossession, un outil de domination coloniale imposé par la force, avec la bénédiction des puissances impérialistes. pic.twitter.com/rH8KHQuHm9
Mort pour avoir franchi la ligne
Ces blocs, que l’armée affirme installer tous les 200 mètres à certains endroits, constituent le seul marquage concret d’une frontière largement invisible. « Les gens ont commencé à comprendre que ces lignes virtuelles existaient en s’en approchant. Au lieu de tirs de sommation, l’armée d’occupation tire directement sur les gens. C’est parce qu’il y a des morts que l’on sait où commence la zone », témoigne le journaliste gazaoui Rami Abu Jamous dans une chronique publiée par Orient XXI.
Le 2 décembre, deux frères, Fadi et Jumaa Abu Assi, âgés de 8 et 10 ans, ont été tués par un drone alors qu’ils cherchaient du bois au-delà de cette ligne invisible. L’armée israélienne a affirmé qu’ils étaient des « terroristes » représentant « une menace immédiate » car ils avaient « franchi la Ligne jaune et se sont approchés des troupes », un argument repris systématiquement dans ce type de communiqués.
Selon Amnesty International, au moins 93 personnes ont été tuées entre le 10 octobre et le 27 novembre pour avoir franchi cette « Ligne jaune ». Invisible mais aussi mouvante, cette ligne de démarcation ne cesse de se déplacer. « Les soldats déplacent les blocs comme ils veulent, ils les rapprochent de nous », raconte Samah Hamdan, redoutant qu’un nouveau déplacement de la ligne de cessez-le-feu ne l’oblige à fuir une fois encore.
Israel commence à installer des blocs de béton jaunes pour marquer physiquement la « Ligne jaune » à l’intérieur de Gaza où ses soldats se sont retirés en vertu du cessez-le-feu. Les Palestiniens de Gaza ont désormais l'interdiction de retourner sur plus de 50 % de leurs terres. pic.twitter.com/yKKG4nn4bM
— Mr. Propagande (@MrPropagande) October 21, 2025
Une fragmentation volontaire de Gaza
En deux mois, la part du territoire placée sous contrôle israélien est passée de 53 % à 58 %, englobant l’ensemble des zones agricoles et sept hôpitaux, dont plusieurs situés dans le nord, déjà gravement sous-doté en infrastructures de santé. Du côté israélien de la ligne, les destructions se poursuivent. Quatre nouvelles bases militaires se sont ajoutées à la quarantaine déjà déployée le long de la Ligne jaune, « consolidant ainsi la présence à long terme d’Israël le long de celle-ci », souligne Forensic Architecture.
Le Guardian révélait le 14 novembre que de nouveaux plans américains envisagent une division permanente de l’enclave calquée sur cette même ligne. À l’est, une « zone verte », placée sous contrôle militaire israélien et international, où la reconstruction pourrait débuter ; à l’ouest, une « zone rouge », vouée à rester en ruines.
« L’objectif est de pousser les Palestiniens “vérifiés” vers la zone verte en échange d’une protection relative, de l’accès aux services essentiels et à des logements », dénonce Mohammad Shehada, de l’ONG Euro-Med Monitor, qui évoque une véritable « ghettoïsation forcée ».
