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Faouzia Zebdi-Ghorab : la vie commence à 40 ans

Faouzia Zebdi-Ghorab : la vie commence à 40 ans

De quoi le passage à l’âge de 40 ans est-il le nom ? Dans sa dernière chronique à lire sur Mizane;info l’écrivain et auteure Faouzia Zebdi-Ghorab exprime en des mots forts et réfléchis les enjeux existentiels qui se profilent dans ce passage vers la maturité. Avec comme moteur vibrant, l’exemple du Prophète lui-même.

Vous avez dit crise ? Et pourtant…
La vie commence vraiment à 40 ans. En apparence, cette affirmation paraît provocante. Elle dérange. Car elle va à l’encontre de tout ce que l’on nous martèle sous forme de mantras sociaux : « Il faut profiter tant qu’on est jeune », l’âge c’est dans la tête », «c’est maintenant ou jamais, après il sera trop tard ».

Mais après quand ou quoi, sera-t-il trop tard ? Précisément après 40 ans. Car la quarantaine est synonyme de « crise ». Une « crise de milieu de vie ». Cette crise ne prévient pas. Elle surgit comme un brouillard, obscurcissant le paysage familier de notre existence.

C’est une période troublante. Un entre-deux incertain, où les repères se brouillent. L’individu ne se sent plus tout jeune, mais pas encore vieux. Il erre entre deux âges, sans savoir vraiment où il se situe. Suspendu, paralysé sur un chemin qui, jusque-là, semblait couler de source, il vacille. Le doute s’est installé, insidieux. Le terrain autrefois familier devient soudain étranger. Cet âge ambigu suscite la panique. Une envie de fuite en avant, en l’occurrence plutôt vers l’arrière. Ainsi s’installe une angoisse sourde. Comme si quelque chose prenait fin, sans que l’on sache vraiment quoi.

Faux remèdes et vrai vertige : quand la crise s’impose

Surgissent alors deux tentations. Reconquérir, à coup de stratagèmes vestimentaires et d’artifices cosmétiques, une jeunesse qui s’efface. Ou au contraire, céder, dériver, et sombrer tel le Titanic.



Mais ces pseudo-solutions ne sont que des trompe-l’œil. En réalité, ces pseudo-solutions sont les réponses formatées d’une société infantilisante. Dès l’enfance, on nous a inoculé les nouveaux commandements : réussir socialement, consommer pour exister, se divertir pour oublier, exhiber pour être validé, et surtout ne jamais s’arrêter pour éviter de s’exercer à la pensée. Ainsi, les années défilent. Elles s’enchaînent comme les maillons d’une chaîne qui en définitive nous enchaîne.

Jusqu’au jour où, inéluctablement, les quarante ans frappent, sans discrétion ni préavis. Tout vacille alors dans le fracas silencieux des projets ajournés. Il restait tant à faire. Changer de voiture peut-être ? Répondre aux sirènes du tourisme mondialisé ? Ressusciter des amitiés en hibernation ? Ou, plus simplement, se terrer, aspirer à l’immobilité absolue, et attendre que le temps cesse d’exiger son tribut ? Peu importe. Le vertige s’est installé. Viscéral. Fuyant. Mais d’une implacable réalité.

Le programme social : une chaîne dorée

Depuis toujours, le rêve trace l’horizon, maquillant la réalité sous le vernis des accomplissements. Il faut faire, encore et toujours. Faire des études. Faire une carrière. Faire des enfants. Faire des vacances, mais aussi faire semblant, faire le malin, faire bonne figure, faire ce qu’il faut, faire illusion. Sans oublier de faire des selfies et surtout des projets ! et faire in fine comme si tout allait de soi. ! Le verbe « faire » impose sa loi, et règne en despote.

Et le verbe être ? Personne ne nous a jamais appris à le conjuguer. La norme ne souffre aucune ambiguïté. Nous savons ce qu’il faut applaudir. Ce qu’il faut haïr. Ce qu’il faut désirer. Notre identité ne se choisit pas : elle se fabrique. Standardisée. Fonctionnelle. Docile. Nous sommes des rouages ou pire, le combustible d’un système qui nous consume tout en feignant de nous promettre l’épanouissement. Pourtant, la crise de la quarantaine surgit, brutale, fissurant soudain cet enchaînement que l’on croyait indéfectible.

Quarante ans : l’heure du jugement

Face à ce théâtre absurde, la crise de la quarantaine n’a rien d’étonnant. Bien au contraire, elle s’impose comme inévitable, et peut-être même salutaire.

Le mot « crise », du grec krisis, signifie décision, séparation, jugement. Tout est dit ou presque. À cet instant charnière, nous nous tenons à la croisée des chemins. D’un côté, il est encore possible d’ignorer les signaux, de persister dans l’illusion, de rejouer la comédie pour quelques décennies de plus. De l’autre, il faut peut-être accepter d’entendre l’appel de l’abîme, et comprendre que l’heure est venue de s’arrêter.

L’appel de l’intériorité : briser le simulacre

J’ai tout validé. J’ai coché les cases une à une, sans en oublier aucune. Pourtant, au fond de moi, quelque chose crie ou du moins gémit. Cette voix étouffée ne réclame ni objets ni divertissements. Elle exige ce que nos identités empilées ont rendu inaudible, ce que notre mode automatique refuse d’affronter. La tentation de nier est grande. S’accrocher au vacarme du monde, prétendre que tout va bien. Or rien de tout cela ne tient. La crise est là et impose le face-à-face. Le miroir. L’épreuve.

Vieillir en Occident : le règne du jeunisme et de l’isolement

Dans d’autres régions du monde, vieillir reste un honneur, ou à tout le moins, une évidence intégrée. En Orient, la vieillesse apaise. En Occident, elle déshonore. Le jeunisme y règne en tyran. L’individu est sommé de rester séduisant, actif, consommateur, branché, connecté. Sortir du jeu ? Impensable. Celui qui refuse le rituel devient suspect.

Le Prophète à 40 ans : l’exemple absolu de la traversée

Pourtant, à quarante ans, le Prophète de l’islam vécut lui aussi une « grande crise ». Comme tant d’autres à cet âge, il a déjà beaucoup appris : les relations humaines, le commerce, la paternité, la reconnaissance sociale… et les valeurs morales. On le surnommait très justement, « le Véridique ».

Mais à ce moment précis, une convocation le transcende. Tout en lui est décuplé. Son rôle devient surhumain. Il doit traverser toutes les expériences, souffrir toutes les douleurs, endurer toutes les pertes pour incarner le modèle. La crise devient alors messianique. Elle ne révèle pas seulement un message : elle le révèle, lui, en tant que Messager.

Alors vient le temps du retrait. Le silence. L’abandon des identités épuisantes.

Mais l’émancipation a un prix. La fureur des hommes s’abat sur lui. Moqueries, calomnies, rejet. Non parce qu’il rejette l’humanité, mais parce que son affranchissement insulte ceux qui se sont pétrifiés dans leurs habitudes. En se libérant, il dévoile, malgré lui, leur servitude. Et cela, on ne le lui pardonne pas. Ghettoïsation, Boycott, Oppression, mort des êtres qui lui sont les plus chers… Mais rien ne semble y suffire. Il faut encore l’exiler, et le traquer jusque dans l’exil, pour le réintégrer au berceau de l’asservissement volontaire.

Révolution intérieure : franchir le seuil ou rester dans la comédie sociale

La crise de la quarantaine n’est pas une fin. C’est au contraire, un passage. Une initiation. Une mort symbolique. En témoignage suprême, le Saint Prophète Mohammed vécut la sienne. Et, elle l’a transformé en Messager, porteur d’une révélation destinée à déchirer les voiles d’une réalité profane et profanée.

A notre mesure, nous traversons, nous aussi, cette étape de rupture. Certes, aucun Livre ne nous est confié pour guider l’humanité. Mais la crise nous intime de quitter le masque. De cesser de faire. Et, de commencer à être. C’est une révolution intérieure. Solitaire. Souvent douloureuse. Mais nécessaire. Car l’alternative est sans appel : rester l’acteur pathétique d’une comédie sociale, ou naître enfin à soi-même. La crise de la quarantaine n’est pas un effondrement. C’est une convocation à renaître.

À quarante ans, la vie commence vraiment. Cependant, cela n’est vrai que si l’on accepte de mourir à tout ce que l’on a finalement jamais été.

Faouzia Zebdi-Ghorab

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