Médecin français, chirurgien, écrivain, Christophe Oberlin revient sur la position de Jean-Pierre Filiu concernant Gaza dans un texte reproduit par Mizane.info.
L’invité du matin de France-Inter, le 26 mai 2025, était Jean-Pierre Filiu, à l’occasion de la sortie mondiale de son dernier livre « Un historien à Gaza ». La France apprenait en effet par la déferlante médiatique que l’auteur, incorporé à une équipe de Médecins sans Frontières 1, avait passé un mois dans la Bande de Gaza. D’où l’entretien tant attendu.
Décryptage, au fil de la discussion avec les célèbres journalistes Léa Salamé et Nicolas Demorand. Journalistes : Bonjour Jean-Pierre Filiu, vous êtes professeur des universités à Sciences-Po.
Erreur : Malgré des diplômes de grande qualité obtenus (diplôme de l’INALCO puis thèse de doctorat à l’Institut d’études politiques de Paris sur les événements de mai 68), Jean-Pierre Filiu ne s’est jamais présenté devant un Conseil National des Universités 2, seule instance habilitée à délivrer le titre de professeur des Universités en France.

Journalistes : Vous publiez votre dernier ouvrage « Un historien à Gaza ».
Nouvelle erreur : Sans entrer dans les détails, il ne suffit pas d’avoir écrit un livre pour être écrivain ni une histoire pour être historien.
Puis Jean-Pierre Filiu place d’emblée le niveau du débat : « Je suis le seul au monde à avoir écrit une histoire de la Bande de Gaza ».
Troisième erreur : une histoire de la Bande de Gaza a été écrite en anglais en 1999 par Gerald Butt 3, et traduite en français en 2011 4. Cette traduction figure d’ailleurs, discrètement, dans la bibliographie de l’Histoire de Gaza de Filiu. S’en suit un long développement sur les risques encourus par notre héros qui a bénéficié tout de même de l’appui du gouvernement français, de l’autorisation de l’armée israélienne (on ne s’introduit pas incognito depuis Israël dans la Bande de Gaza, même muni d’un diplôme de « docteur »).

Puis, séquence émotion : Léa Salamé ne manque pas de déployer son vibrato : «Racontez-nous le moment le plus émouvant de votre séjour ». Et l’auditeur, stupéfait, découvre les souffrances imposées aux Gazaouis. Il faut dire que nous n’étions absolument pas au courant.
Vient alors la question essentielle, toujours posée avec solennité par Léa Salamé : « Quels mots posez-vous sur ce qu’il se passe à Gaza ? Vous n’employez pas le mot de génocide » ? Et bien non, le professeur rappelle, pour ceux qui l’auraient oublié, qu’il est un scientifique raisonnable, et que, comme le soulignait récemment un grand ministre de l’Intérieur, « le choix des mots est important ».
Et donc Filiu nous annonce la naissance d’un nouveau mot, dont il est l’inventeur avisé, celui de « guerre inhumanitaire ». Déjà que le concept de guerre « humanitaire » 5 était peu clair, celui de guerre inhumanitaire » devient, pour les ignorants que nous sommes, carrément abscons.
Evidemment, on pourrait en rire, mais là apparait la rhétorique d’Emmanuel Macron qui affirmait il y a quelques jours : « Ce sera aux historiens de nous dire si le mot est approprié ou pas ». Tiens, aux historiens ! En voilà justement un, hasard ou partage de communication ? Evanoui, évaporé le droit international. Le génocide devient une opinion. Effacée la définition juridique parfaitement reprise par la Cour internationale de justice : Israël coche toutes les cases 6.
Effacées les obligations d’appliquer les accords internationaux qui s’imposent au droit local, comme l’obligation de remettre à la justice les criminels contre lesquels la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt. Et « l’immunité » accordée par notre exécutif à Mr Netanyahou et ses collaborateurs (alors que le mot immunité ne figure nulle part dans le Statut de Rome).

Filiu s’inscrit ici exactement dans la ligne de notre génial président. Il y a du Chateaubriand chez Filiu : toujours du côté du manche. Mais le temps presse, l’entretien ne dure que vingt minutes. Et Jean-Pierre Filiu ne peut s’empêcher de signaler lui-même, pour les auditeurs, qu’il porte un sweet-shirt à cagoule très particulier. Ce qui effectivement m’a sauté aux yeux lorsque j’ai visualisé le podcast : exceptionnellement le professeur ne porte pas le costume-cravate. Il ressemble plutôt à un étudiant. Tiens au fait, ceux de Sciences po qui ont longuement lutté pour Gaza ont-ils été gratifiés du soutien de ce professeur ?
Léa Salamé reprend la main et se fait pardonner son oubli : « Sur votre sweet, est écrit une formule : « Combattez pour les Ukrainiens » 7. Le professeur rebondit alors sur l’incidente qu’il a lui-même déclenchée et annonce avec gravité : « J’ai tenu à terminer mon livre à Kiev » …
Suit une tortueuse explication de texte. Mais il faut être de Gaulle 8 pour lancer des comparaisons historiques audacieuses qui ne soient pas immédiatement démenties par les événements. Et il n’est pas sûr que la capitale ukrainienne soit marquée définitivement par la rédaction des dernières lignes de l’ouvrage d’un immense auteur, comme Sainte-Hélène par les mémoires de Napoléon.
Dans l’ambiance actuelle de violence extrême, il y a quand même une bonne nouvelle : le ridicule ne tue plus. Il y a aussi du BHL chez Filiu.
Christophe Oberlin
Notes :
1 Ce qui n’est pas sans soulever un problème, comme l’avait fait Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères en déclarant : « Nous savons ce qu’il se passe à Gaza par les ONG».
2 Je n’entrerai pas ici dans le détail des titres de « professeurs associés » constructions purement locales de certaines universités créées initialement, et à titre temporaire, en faveur de certains universitaires étrangers en bise-bille avec leur pays d’origine.
3 Gerald Butt, Life at the crossroads: History of Gaza, Scorpion Cavendish 1995, nouvelle édition Rimalbooks 2010.
4 Gerald Butt, Gaza au carrefour de l’histoire, traduction française de Christophe Oberlin, Erick Bonnier, Paris, 2011.
5 Que l’exécutif français voudrait limiter au droit humanitaire c’est-à-dire, pour lui, le droit de boire manger et avoir accès aux soins médicaux pour les populations civiles. Erreur monumentale : le droit international et le droit humanitaire (ancien « droit de la guerre ») c’est, en droit, la même chose. Ce droit ne concerne pas que les populations civiles, mais aussi les combattants, les types d’armes, la notion de proportionnalité, d’intention, etc. Toutes notions enrichies progressivement depuis le droit coutumier, par notamment les conventions de La Haye, le droit à l’autodétermination issu de la décolonisation, les conventions de Genève, etc.
6 A l’exception de celle de la déportation massive d’enfants, pour l’instant (encore que la simple déclaration d’intention constitue un crime).
7 « Fight for the Ukrainians ».
8 Par exemple : « L’Algérie restera française comme la Gaule est restée romaine ».