« Umm Ayman est ma mère après ma mère », soulignait le Prophète à propos de sa nourrice, Baraka Umm Ayman, d’origine éthiopienne. Elle fut la seule à accompagner le Prophète ﷺ tout au long de sa vie, de sa naissance jusqu’à sa mort. Umm Ayman fut notamment l’épouse de Zayd ibn Haritha et la mère de Ussama Ibn Zayd. L’envoyé de Dieu ﷺ la décrivit comme l’une des femmes du Paradis. Portrait.
On ignore les circonstances exactes de l’arrivée de la jeune fille abyssinienne à La Mecque. Rien n’est connu de ses origines, ni de ses parents, ni de sa lignée. Assujetti et mise en esclavage par les notables de Qoraïch, Baraka fut achetée par ʿAbd Allah, le fils d’Abd Al-Muttalib. Elle devint l’unique servante de sa maison et, lorsqu’il épousa Amina, la mère du Prophète Muhammad, elle prit également soin d’elle.
Deux semaines après leur mariage, d’après un récit rapporté par Baraka elle-même, le père d’Abd Allah rendit visite aux jeunes mariés et ordonna à son fils de rejoindre une caravane commerciale en route vers la Syrie. Le départ d’ʿAbd Allah fut un moment très douloureux, particulièrement difficile à vivre pour son épouse Amina.
« Amina resta longtemps allongée, sans parler à personne. Elle ne regardait personne, sauf ʿAbd Al-Muttalib ». Deux mois après le départ d’Abd Allah, Amina fit appeler Baraka un matin et lui annonça une nouvelle réjouissante : elle vit en songe des lumières émanant de son ventre « illuminant les montagnes, les collines et les vallées autour de La Mecque ». Baraka devina aisément qu’il s’agissait d’un présage bienheureux annonçant la venue d’un enfant béni.

Auprès d’Amina, la mère du Prophète ﷺ
Durant toute l’absence d’Abd Allah, Amina demeura attristée et mélancolique. Baraka ne la quitta pas et tenta de la consoler du mieux qu’elle put. Lorsque la première partie de la caravane revint de Syrie, elle fut accueillie avec joie par les familles des commerçants mecquois. Baraka se rendit discrètement chez ʿAbd Al-Muttalib pour y chercher des nouvelles d’Abd Allah, mais il ne put en fournir. Elle retourna auprès d’Amina sans lui révéler ce qu’elle avait appris, de crainte d’augmenter sa peine.
Plus tard, alors qu’elle se trouvait chez ‘Abd Al-Muttalib, elle entendit l’annonce du décès d’Abd Allah à Yathrib (Médine). Baraka raconte : « Quand Amina apprit cette terrible nouvelle, elle perdit connaissance. Je restai à ses côtés pendant qu’elle vacillait entre la vie et la mort. Il n’y avait que moi dans sa maison. Je la soignai et la veillai jour et nuit jusqu’à ce qu’elle donne naissance à son enfant, Muhammad ﷺ, durant une nuit où les cieux brillèrent de la Lumière divine ». À la naissance de Muhammad ﷺ, Baraka fut la première personne à le prendre dans ses bras.
Son grand-père, ‘Abd al-Muttalib, vint aussitôt et l’emmena à la Kaʿba. Toute la ville de La Mecque célébra l’événement. Baraka resta auprès d’Amina pendant que Muhammad fut envoyé à la campagne pour profiter de l’air pur du désert, confié aux soins bienveillants de Halima. Après cinq années écoulées, il fut ramené à La Mecque, où sa mère l’accueillit avec une grande affection. Lorsque Muhammad atteignit l’âge de six ans, sa mère décida de faire le voyage jusqu’à Yathrib pour visiter la tombe de son époux, ‘Abd Allah, malgré les objections de Baraka et d’Abd al-Muttalib.
Mais Amina restait résolue à accomplir ce périple. Un matin, elle prit la route avec Baraka et Muhammad. Tous trois prirent place au sein d’une grande caravane en direction de la Syrie. Il fallut dix jours à la caravane pour atteindre Yathrib. Pendant qu’Amina allait se recueillir sur la tombe de son mari, le jeune Muhammad ﷺ fut confié à ses oncles maternels appartenant au clan des Banû Najjar. Pendant plusieurs semaines, Amina visita chaque jour la tombe de son défunt époux.

« Baraka est tout ce qui me reste de ma famille »
Sur le chemin du retour vers La Mecque, Amina tomba malade. Son état de santé se dégrada très vite, et une forte fièvre s’empara d’elle. Dans un souffle, elle appela Baraka à ses côtés. Baraka relate ce moment : « Amina murmura à mon oreille : Ô Baraka, je vais bientôt quitter ce monde. Je te confie mon fils Muhammad. Il a perdu son père alors qu’il était encore dans mon ventre. Le voici qui perd sa mère sous ses propres yeux. Sois une mère pour lui, Baraka, et ne le quitte jamais ».
Puis Amina rendit l’âme. Elle fut directement enterrée sur place. Baraka repartit seule avec Muhammad, désormais orphelin, et le remit sous la garde de son grand-père, ‘Abd al-Muttalib, à La Mecque. Baraka resta auprès de Muhammad ﷺ pour prendre soin de lui. Deux ans plus tard, lorsque ʿAbd Al-Muttalib décéda à son tour, elle accompagna l’enfant chez son oncle Abu Talib et continua à veiller sur lui avec tendresse jusqu’à ce qu’il devienne adulte et épouse Khadîja. Baraka demeura alors dans leur foyer, aux côtés de Muhammad et de son épouse.
Un jour, le Prophète ﷺ l’interpella : « Ya Ummi (Mère), je suis désormais un homme marié et toi, tu es toujours seule. Que penserais-tu si quelqu’un demandait ta main ? » Baraka le regarda avec émotion et répondit : « Je ne te quitterai jamais. Une mère abandonne-t-elle son enfant ? » Muhammad lui sourit affectueusement et lui embrassa le front, puis se tourna vers Khadîja en disant : « C’est Baraka. C’est ma mère après ma véritable mère. Elle est tout ce qui me reste de ma famille. ».
Baraka demanda finalement : « Qui dois-je épouser ? » Le Prophète répondit : « Ubayd ibn Zayd, de la tribu des Khazraj de Yathrib. Il est venu te demander en mariage. Je t’en prie, accepte. » Baraka acquiesça. Elle épousa Ubayd ibn Zayd et partit vivre avec lui à Yathrib. Elle donna naissance à un garçon qu’elle nomma Ayman, ce qui lui valut le surnom d’« Umm Ayman », la mère d’Ayman. Cependant, son mari mourut peu après, et elle retourna vivre à La Mecque auprès de Muhammad ﷺ. À cette époque, vivaient également sous le même toit : ‘Ali ibn Abi Talib et Zayd ibn Haritha.

L’union avec Zayd Ibn Haritha
Dans cette maison, le jeune Zayd développa un profond attachement envers le Prophète ﷺ, devenant son serviteur fidèle. Leur lien était semblable à celui d’un père et son fils. Lorsque Muhammad ﷺ reçut la révélation divine, Baraka et Zayd figurèrent parmi les tout premiers à croire en son message. Ils endurèrent avec les premiers musulmans les persécutions menées par les chefs Qoraïchites.
Un soir, les opposants Qoraïchites bloquèrent les voies menant à la maison d’Al-Arqam où le Prophète réunissait ses Compagnons pour leur enseigner les fondements de l’Islam. Khadîja chargea alors Baraka de transmettre un message important à Muhammad. Bravant le danger, elle s’aventura courageusement et réussit à atteindre la maison. Lorsqu’elle transmit le message, le Prophète ﷺ lui dit avec reconnaissance : « Tu es bénie, Umm Ayman. Tu as assurément une place au Paradis ».
Après son départ, il se tourna vers les Compagnons et dit : « Si l’un d’entre vous souhaite épouser une femme des gens du Paradis, qu’il épouse Umm Ayman ». Tous gardèrent le silence, hésitant en raison de son âge – elle avait environ cinquante ans – et de son aspect chétif. Mais Zayd ibn Haritha se leva avec détermination et dit : « Messager de Dieu, je me marierai avec Umm Ayman ». Ils se marièrent, et de leur union naquit un fils, Ussama.
Le Prophète ﷺ avait pour Ussama une affection toute particulière, le considérant comme son propre enfant. Il jouait avec lui, l’embrassait, et lui donnait lui-même à manger. Les Compagnons disaient de lui : « Il est le fils bien-aimé du bien-aimé ». Dès son jeune âge, Ussama se fit remarquer par son engagement au service de l’Islam, et plus tard, le Prophète ﷺ lui confia des responsabilités importantes.

Voyage et installation à Médine
Umm Ayman faisait partie des premiers musulmans ayant fui les persécutions en émigrant en Abyssinie. À son retour à La Mecque, elle participa à la seconde émigration vers Médine. Lorsque le Prophète partit pour Yathrib — qui deviendra plus tard Médine —, Umm Ayman ne le rejoignit pas directement. Elle partit, plus tard, pour Médine par ses propres moyens. Elle traversa seule le désert et les montagnes, malgré la chaleur étouffante et les tempêtes de sable.
À son arrivée à Médine, ses pieds étaient douloureux, gonflés, et son visage couvert de sable. En la voyant, le Prophète ﷺ s’écria : « Yâ Umm Ayman ! Yâ Ummi ! (Ô Umm Ayman ! Ô ma mère !) Il y a pour toi une place au Paradis ! » Il essuya alors son visage, lui massa les pieds et les épaules avec tendresse. À Médine, Umm Ayman joua un rôle actif auprès de la communauté. À la bataille d’Uhud, elle apporta de l’eau aux combattants et soigna les blessés. Elle accompagna aussi le Prophète ﷺ dans certaines expéditions, comme celles de Khaybar et de Hunayn.
Son fils Ayman, compagnon fidèle du Prophète, mourut en martyr à Hunayn, la huitième année de l’Hégire. Quant à son époux, Zayd, il fut tué lors de la bataille de Mu’tah, en Syrie, après avoir servi loyalement l’Islam et le Prophète. Baraka avait alors environ soixante-dix ans. Le Prophète, accompagné d’Abû Bakr et de ʿUmar, venait souvent lui rendre visite et lui demandait : « Yâ Ummi ! (Ô Mère !) Comment vas-tu ? » Elle répondait : « Je vais bien, Ô Messager de Dieu, tant que l’Islam va bien. ».
Une vie au service de l’Islam et du Prophète ﷺ
La mort du Prophète ﷺ bouleversa profondément Umm Ayman, encore plus que celle de son mari ou de son fils. Malgré sa disparition, les Compagnons continuèrent à lui témoigner leur respect. On raconte que durant son califat, Abu Bakr disait souvent à ʿUmar : « Allons rendre visite à Umm Ayman comme le faisait l’Envoyé de Dieu. ». Chaque fois qu’elle les voyait, elle fondait en larmes au souvenir du Prophète.
Baraka Umm Ayman fut la seule à accompagner le Prophète ﷺ tout au long de sa vie, de sa naissance jusqu’à sa mort. Elle consacra sa vie entière au service de sa maison, restant profondément liée à lui et à sa famille. Son amour pour l’Islam, sincère et indéfectible, ne faiblit jamais. Elle décéda durant le califat de ʿUthman.