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Baptiste Brodard : Le jeune imam « étonne par sa justesse »

Le film de Kim Chapiron, Le jeune imam, actuellement dans les salles a été diversement reçu par le public de confession musulmane. Baptiste Brodard nous livre son sentiment dans un article évoquant les points positifs du film, à lire sur Mizane.info.

Le film « Le jeune imam » nous plonge dans la vie d’une famille d’origine malienne résidant dans un quartier populaire de Clichy-sous-Bois en banlieue parisienne. Ali, le personnage principal, est envoyé par sa mère veuve au bled après qu’il ait commit une énième bêtise, cette fois difficilement pardonnable. Le film commence donc par retracer l’arrivée du jeune adolescent dans le pays de ses origines. Isolé, se sentant abandonné par sa mère, Ali ne montre d’abord aucun enthousiasme à sa nouvelle vie. À la suite d’un nouveau méfait, l’adolescent est « sauvé » par le maître de l’école coranique, Boubacar, qui le recueille avec une grande bienveillance.

Cet épisode plein d’humanité est le moment clé qui fera basculer symboliquement le jeune Ali du « mal » vers le « bien ». De retour en France une dizaine années plus tard, Ali impressionne par sa maîtrise de la lecture du Coran et sa personnalité. Il est vite choisi par les fidèles pour remplacer l’imam, jugé trop âgé. Mais Ali veut aussi renouer avec son milieu d’origine : il cherche à reprendre sa place dans la famille tout en tentant à s’intégrer dans le milieu professionnel. Très sollicité, il est vite surmené par ses nouvelles fonctions religieuses. Il met donc fin à toute activité pour se consacrer exclusivement à sa fonction religieuse.

Le réalisme social du film

S’en suit alors une certaine quête de popularité pour l’imam et ses fidèles, qui passe notamment par les réseaux sociaux et la recherche d’un public qui évoque par moment davantage un fan club que des fidèles dévoués à une religion. En pleine ascension, Ali semble ignorer les risques, malgré certaines mises en garde de son entourage. Finalement, c’est en organisant le pèlerinage à la Mecque pour des habitants de son quartier qu’il tombe dans une arnaque, ce qui provoquera sa fuite pour se cacher de la colère de son ancien groupe de fidèles.

Le film de Kim Chapiron étonne d’abord par sa justesse. On sent l’expérience du réalisateur et de son ami Ladj Ly, qui a co-écrit le film, dans la confection d’un scénario pertinent et surtout dans la justesse des différents détails qui lui donnent un si grand réalisme. De fait, les deux cinéastes savent de quoi ils parlent. Originaires de l’agglomération de Clichy-Montfermeil, tous deux ont su retranscrire cette réalité socioculturelle de la banlieue parisienne.

En évitant certains clichés habituels sur la cité, les réalisateurs sont parvenu à mettre le quartier au centre du film en relevant ses codes particuliers, son langage et ses normes spécifiques, qui en font un milieu socioculturel encore souvent méconnu par les Français d’autres horizons. Certains aspects particuliers dévoilés à travers le film méritent d’être développés ici.

D’abord, le départ de l’adolescent pour le Mali à la suite d’un mauvais comportement, qui marque le point de départ du film, est loin d’être une exception pour une génération dont beaucoup ont connu un camarade qui a été « envoyé au bled » pour un certain temps, souvent à la suite d’une bêtise plus ou moins grave. Cet exil forcé a pu être salutaire pour certains d’entre eux, mais aussi perturbants pour d’autres qui ne s’en sont jamais vraiment remis. Dans le cadre du film, il s’agit non seulement d’une expérience positive et salvatrice, qui marque une transition centrale dans la personnalité du jeune Ali, mais aussi d’une déchirure familiale douloureuse qui laisse au personnage quelques séquelles.

Un islam omniprésent

Bien qu’on puisse arguer que « Le jeune imam » n’est pas spécifiquement un film sur la religion, l’islam reste omniprésent tout au long de l’histoire. Toutefois, son incorporation dans la vie quotidienne des protagonistes en fait quelque chose de tout à fait naturel. Ainsi, on n’y verra aucun cliché, ni même d’angélisation ou de diabolisation. Et c’est là l’un des succès du film : parler de l’islam avec mesure, peut-être même sans chercher à en parler directement, en l’imbriquant aux réalités sociales et culturelles des musulmans du quartier. Et le film montrera justement tant des aspects positifs de la religion, que d’autres plus sombres et problématiques de la vie de certains musulmans, laissant le public libre de faire la part des choses.

La beauté de l’islam est notamment retranscrite dans le film à travers la personnalité du Cheikh Boubacar, dirigeant de la madrasa dans laquelle est accueilli le jeune Ali au Mali. L’homme sage, doté d’une aura lumineuse, prend en charge Ali avec patience, chaleur et dévouement, en exprimant à travers son comportement les enseignements de l’islam. Sa personnalité rayonne la lumière de la foi, et les quelques scènes du film autour de la madrasa sont particulièrement émouvantes.

Plus loin, le film replonge dans l’univers de la cité en montrant que l’islam y est fortement implanté, omniprésent dans la vie de nombreux habitants, sans pour autant apparaître comme contraignant ou envahissant. On devine qu’il représente un repère moral central en ces lieux, en jouant un rôle central dans l’expérience de nombreux Français jeunes et moins jeunes qui ont vécu dans des quartiers populaires ou au-delà.

En outre, on y voit autant de personnes originaires d’Afrique subsaharienne que de descendants de Maghrébins ou de Turcs, ce qui relativise l’imaginaire collectif d’un islam français parfois perçu à tort comme une réalité spécifiquement « arabe ». On y retrouve alors autant de communautés ethniques et nationales différentes, dont la cohésion semble tant découler d’une foi partagée que d’une expérience sociale commune à travers le quartier.

Réseaux sociaux et arnaque au hadj

Mais au-delà de cette présentation finalement positive (et réaliste) de l’islam, le réalisateur du film n’a pas hésité à mettre en scène des aspects plus problématiques de la « vie religieuse » des musulmans. D’abord, le rapide succès du jeune imam va s’illustrer par certaines désapprobations et jalousies de son entourage. Ensuite, l’imam va être confronté à sa popularité en cédant par moment à des comportements qui remettent en question l’intégrité et la sincérité de son engagement.

On le sent notamment lorsqu’il compte le nombre de « vues » sur les réseaux sociaux, et qu’il semble se soucier de la popularité de ses discours davantage que de Dieu. D’aucuns coreligionnaires auront reconnu certaines dérives communes dans diverses mosquées et associations musulmanes du pays. Finalement, c’est la crise principale du film autour d’un scandale survenu dans l’organisation du Hadj qui rappellera des escroqueries commises au nom de l’islam par certains « musulmans » peu scrupuleux : le jeune imam Ali se fait avoir par des jeunes musulmans avenants et visiblement engagés dans l’associatif fisabîli-Llah auxquels il avait fait confiance. Jugé coupable par ses paires, il ne trouve d’autres solutions que de fuir et se cacher.

L’escroquerie est d’autant plus choquante qu’elle lèse des migrants âgés qui avaient pour certains passé toute leur vie à attendre l’opportunité d’accomplir leur devoir religieux du pèlerinage. En outre, ses auteurs se font passés pour des musulmans pieux et engagés pour la communauté. Les auteurs du scénario du film ont ici tapé fort en osant parler de ce genre d’arnaques, encore trop souvent occultées et considérées comme taboues. Pourtant, de telles escroqueries au nom de la religion se sont multipliées au fil des ans.

Certains sont en effet prêts à tout et n’ont plus aucun scrupule pour arnaquer ou profiter de la crédulité des gens : ils n’hésitent même plus à invoquer le nom de Dieu et à manipuler leurs coreligionnaires en jouant sur la connivence culturelle et la fraternité religieuse. En bref, le film a su dénoncer ces dérives « musulmanes », sans à aucun moment s’en prendre à l’islam en tant que religion.

Un film et non un documentaire

Malgré cela, certaines voix communautaires critiques ont jugé négativement le film en invoquant quelques passages « problématiques » au niveau du contenu des prêches religieux. Certains ont par exemple reproché au réalisateur « non musulman » de dénaturer l’islam en mettant en scène un discours religieux qui serait trop laxiste, relativisant par exemple l’importance du port du voile ou qui décentraliserait la problématique de l’islamophobie ambiante pour appeler à la responsabilisation des musulmans.

Pour mettre fin à ces controverses stériles, ne suffit-il pas de rappeler qu’il s’agit là d’un film de fiction, et non pas d’un documentaire religieux à visée normative ? Si tout est critiquable et si le film en question souffre naturellement de quelques faiblesses, il est dommage qu’il fasse déjà l’objet de rejet de la part de certains musulmans, en plus de subir le boycott de la part des citoyens habituellement allergiques à tout traitement équitable et mesuré de la question musulmane en France…

Mais peut-être que finalement, ces critiques ne feront que donner plus de crédit au récit de ce film qui a su illustrer la beauté de cet islam « populaire » tout en dénonçant certaines dérives de personnes qui prétendent agir en son nom.

Baptiste Brodard

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